Zoom sur la Société Francophone de Pédagogie Innovante en Santé<br>(Laure Abensur Vuillaume)

Entre initiatives personnelles et produits high-tech, les innovations foisonnent dans le champ de la pédagogie médicale. La Société Francophone de Pédagogie Innovante en Santé veut soutenir ces efforts en proposant son expertise scientifique.



Laure Abensur Vuillaume partage son temps entre la pratique clinique aux Urgences (praticien hospitalier au CHR-Metz-Thionville) et ses missions d'enseignante-chercheuse. Titulaire d’un DU «Pédagogie de la santé», elle est présidente et membre fondateur de la Société Francophone de Pédagogie Innovante en Santé (SFPIS), association à but non lucratif créée en 2021.

Sa double passion pour le jeu et la pédagogie l'avait déjà amenée à réunir une équipe pour développer un escape game didactique. L'expérience a débouché sur la publication dans le Journal of Medical Internet Research d'une méthodologie en six étapes pour construire ce type de jeu dans le cadre de la formation médicale.


Dr Abensur Vuillaume, qu'est-ce que la Société Francophone de Pédagogie Innovante en Santé ? 

C’est une toute jeune société savante qui s’intéresse spécifiquement aux innovations dans le champ de la formation initiale et continue des professionnels de santé. Cela nous distingue d’autres sociétés dédiées à la pédagogie médicale, qui ont une approche plus large. 

Une autre particularité de la SFPIS, c’est qu’elle s'adresse à l’ensemble des professionnels de santé, et particulièrement à l’interconnexion entre eux. Nous pensons qu’il faut absolument décloisonner certaines formations et raisonner en termes d’équipe. Parmi nos membres figurent des infirmières, des internes, des kinés, des médecins, des pompiers, des universitaires ou des formateurs... et des étudiants. Ce sont eux les premiers concernés or les étudiants sont souvent les grands oubliés des sociétés savantes.  


Qu’entendez-vous par «innovations» ?  

Le terme est à prendre au sens large. Tout ce qui s’écarte du traditionnel cours en amphi retient notre attention. L’innovation c’est savoir se renouveler en permanence, ce n’est pas que le numérique. Nous travaillons bien sûr sur la réalité augmentée ou virtuelle, mais nos recherches portent aussi sur ce que nous appelons la «ludopédagogie», c'est-à-dire l’utilisation du jeu pour l’apprentissage. La SFPIS ne se limite pas aux outils pédagogiques “high tech”, car nous savons qu’un apprentissage efficace repose sur la combinaison de différentes méthodes. 

Concernant les technologies numériques en santé, leur développement est actuellement vertigineux. Tout concourt à cet essor, depuis la pandémie qui a boosté la télémédecine jusqu’au déficit de médecins spécialistes dans certains territoires. 

Dans le champ de la  formation aussi de nouveaux besoins émergent. Avec la pandémie de Covid-19, il a fallu modifier rapidement certaines techniques pédagogiques. Des ateliers pratiques ont dû être repensés par crainte du risque contagieux. Quant aux cours en visioconférence, ils sont bridés par le manque d'interactivité. Les étudiants sont souvent passifs.  


Les formateurs et enseignants sont-ils prêts à utiliser ces innovations ? 

Les étudiants sont friands d’immersion en 3D ou de "serious games" mais les enseignants ont du mal à suivre. L’innovation fait peur. Pourtant les professeurs devront prochainement manier des outils pédagogiques basés sur l’intelligence artificielle – comme ceux qui définissent un plan d’apprentissage ciblé – ou former leurs étudiants dans des hôpitaux virtuels, voire dans le Metaverse.  

Second Life a maintenant vingt ans. Les formateurs actuels se sont peut-être baladés dans cet univers parallèle. À l’époque, des expérimentations avaient d’ailleurs montré que les actions de pédagogie en santé menées dans Second Life étaient efficaces, car les participants étaient très motivés. Mais en vingt ans, les univers virtuels ont énormément changé. Le matériel de 3D par exemple arrive à maturité, avec la sortie annoncée de simples lunettes qui remplaceront les casques actuels.   


Concrètement, que propose la SFPIS ? 

Nous avons trois axes de travail. D’abord, nous souhaitons adapter un contenu pédagogique pour le rendre plus attractif. C’est ce que nous avons déjà fait avec la Société Française de Médecine d’Urgence (SFMU), en créant un cas clinique interactif à partir d’un powerpoint. 

Sous l’impulsion de Virginie-Eve Lvovschi, présidente du Board Douleur de la SFMU, nous avons aussi co-développé un jeu de plateau à objectif pédagogique, sur la thématique de l’apprentissage de la prise en charge de la douleur aiguë. Nous sommes actuellement en train de publier les résultats.

Toujours dans le domaine de la ludopédagogie, nous avons également contribué à l'adaptation aux standards français d’un jeu de simulation de médecine de catastrophe développé par le centre de simulation médicale CARE de l’Université de Liège. Les ateliers organisés autour de ce jeu sont en cours d’évaluation et feront l’objet d’une publication scientifique. Si le résultat est probant, nous pourrons les dupliquer. Ces projets utilisent l’aspect ludique comme facteur d’attractivité et d’augmentation de motivation. Ils ont aussi en commun le fait de réunir plusieurs catégories de professionnels de santé autour d’un même objectif.  

Notre deuxième axe de développement consiste à aider les start-up qui conçoivent des dispositifs pédagogiques en santé. Concernant le transfert de connaissances, la technologie ne fait pas tout. Prenons l’exemple des avatars. On en trouve partout, mais sont-ils pour autant de bons communicants ? Faut-il privilégier leur expression faciale ou leur gestuelle ?

Actuellement, les travaux scientifiques se multiplient pour évaluer l’efficacité de ce mode d'interaction. Notre expertise nous permet de conseiller les start-up en amont, depuis la phase de conception de leur produit jusqu’à son développement. Nous pouvons ensuite diffuser cette innovation au sein de notre communauté et l’évaluer scientifiquement.

Enfin, nous proposons d’appliquer systématiquement aux innovations pédagogiques une démarche et une rigueur scientifique. Dans le champ de la formation en santé, il règne un certain flou. De nombreux médecins ont de bonnes idées mais sont isolés. Ils n’ont pas les compétences pour évaluer leur dispositif et le promouvoir. Nous pouvons les aider pour préparer une publication scientifique et la diffuser. 

L’objectif de la SFPIS est de soutenir la pédagogie médicale. Nous ne nous limitons donc pas à la création ou à l’accompagnement à la création de nouveaux outils pédagogiques. Ce que nous voulons, c’est construire des référentiels d’évaluation pour proposer ensuite des recommandations de bonnes pratiques. Pour cela, nous devons mutualiser nos connaissances et nos expériences. La SFPIS participe déjà à certains congrès, mais en attendant que nous puissions organiser le nôtre… Rejoignez-nous


(Propos recueillis par Benoît Blanquart)


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Note :

1- Notamment : 
- La Société internationale francophone d'éducation médicale (SIFEM), qui s’adresse dans l’espace francophone à toutes les personnes intéressées par la formation dans les professions de la santé.
- La Société francophone de simulation en santé (SoFraSimS), qui a pour objectif de «promouvoir plus largement l’utilisation de la simulation dans tous les domaines de la santé en particulier par la formation, la recherche et la diffusion de recommandations afin d’améliorer la qualité et la sécurité des soins.»