Escape game et pédagogie en santé

Focus sur un «escape game» imaginé par des médecins pour améliorer la démarche clinique et la communication entre soignants.



Laure Abensur Vuillaume partage son temps entre la pratique clinique aux Urgences (praticien hospitalier au CHR-Metz-Thionville) et ses missions d'enseignante-chercheuse. Titulaire d’un PHD en sciences de la vie et de la santé et d’un DU «Pédagogie de la santé», elle est présidente et membre fondateur de la Société Francophone de Pédagogie Innovante en Santé.


Les "escape games", ou jeux d’évasion, ont le vent en poupe. Dans leur version classique, deux à six joueurs disposent d’un temps limité pour sortir d’une salle. Pour cela, ils doivent résoudre des énigmes. Enquêtes policières, chasses au trésor… Les scénarios sont multiples. Laure Abensur Vuillaume nous présente un escape game pédagogique destiné aux équipes soignantes. Dans un article1 paru récemment, elle décrit avec ses coauteurs la méthodologie permettant de construire un tel jeu.        



« Un avion de ligne vient de se poser en catastrophe sur une base militaire. À son bord, une jeune femme a tenu des propos inquiétants avant de sombrer dans le coma. Vingt passagers sont soudainement tombés malades. Empoisonnement ? Acte bioterroriste ?
Vous faites partie d’un groupe d’experts dépêchés en urgence pour comprendre ce qu’il se passe. Dans trente minutes le Préfet doit informer le Président de la République. Les conséquences pour les passagers et l'équipage pourraient être lourdes. Nous comptons sur vous.

À vous de jouer….»



Je suis joueuse, de très longue date : jeux de société, jeux de rôle «sur table» et «grandeur nature», jeux vidéos. Lorsque la Société française de médecine d’urgence (SFMU) a demandé fin 2018 à sa Commission jeunes, dont je faisais partie, de faire des propositions pour animer son congrès, j’ai tout de suite pensé à créer un escape game éducatif. Travailler en équipe sous une forte pression temporelle… C’est le quotidien des équipes en médecine d’urgence,  notamment en milieu préhospitalier. 

J’ai d‘abord rassemblé une équipe, avec un autre médecin, un infirmier-anesthésiste titulaire d’un Master 2 en sciences du jeu et un «gamer» averti. Il nous a fallu des mois pour peaufiner le concept et tester le jeu. Finalement, nous l’avons présenté lors du congrès de la SFMU en juin 2019. 120 participants ont joué, dont les organisateurs d’un congrès régional de médecine d’urgence ; ils ont été conquis et nous avons proposé l'escape game à leur propre congrès. Sans la pandémie, nous aurions ensuite réitéré l’expérience au congrès 2020 de la SFMU, avec un nouveau scénario.

Que de chemin parcouru depuis… Cette innovation a fait l'objet d'un article1 que nous avons publié récemment dans le Journal of Medical Internet Research, revue dédiée à la santé numérique. L’utilisation de l’escape game à des fins pédagogiques, en médecine, a déjà été documentée. Mais à ma connaissance c’est la première fois que les créateurs d’un tel jeu livrent leur «recette» dans un article. L’objectif de cet article, c’est d’apporter notre expertise aux collègues intéressés par la création d’un escape game utilisable en pédagogie médicale et que chacun puisse s’approprier l’outil.       


Jeux et pédagogie médicale 

Outre le jeu, je suis férue de pédagogie depuis de nombreuses années. J’ai commencé à m’y intéresser il y a treize ans, quand j’enseignais en école de sages-femmes. C’était ma précédente profession. J’ai d'ailleurs cofondé la Société Francophone de Pédagogie Innovante en Santé 2, que je préside. L'intérêt du jeu dans le champ de la pédagogie médicale n'est plus à démontrer, que ce soit en formation initiale –  le jeu permet de mieux fixer les compétences / connaissances – ou en formation continue pour améliorer la cohésion et la communication au sein des équipes soignantes. Par ailleurs, les patients aussi disposent de plus en plus de tels jeux, qui permettent par exemple d’améliorer l’observance.   

Différentes sortes de jeux sont utilisés en éducation médicale. Les plus connus sont les «serious games» déclinés sous forme de jeux vidéo. L’apprenant est généralement seul face à son écran et peut observer immédiatement l’impact de ses décisions. La simulation haute fidélité, qui peut être également assimilée à une «ludification», se  concentre sur des situations techniques et médicales. Le scénario est fixe et les apprenants réalisent des gestes techniques sur un mannequin, dans une ambiance et une situation superposables à la réalité. Le travail en équipe y est aussi mis en avant mais le sérieux l’emporte sur le ludique. Autre application, l'apport de connaissances théoriques. Récemment, une équipe suisse a mis au point un jeu en ligne3 destiné au personnel médical et soignant. Il s’est avéré trois fois plus efficace que la lecture de directives sur l’observation des consignes de prévention contre le Covid-19. 

L'escape game a un objectif différent : il ne s’agit pas de réaliser un acte technique ou de transmettre des connaissances, mais de faire travailler les joueurs sur l'apprentissage du processus de diagnostic et sur leurs compétences en communication. Jusqu’à présent, les escape games ciblaient notamment les étudiants en médecine ou en soins infirmiers, afin d’évaluer leur démarche clinique. 

Concernant la formation continue, ces jeux d'évasion sont surtout utilisés par des équipes soucieuses d’améliorer leur communication. Nous savons qu’une communication efficace est associée à une réduction significative des événements indésirables. Or les compétences en termes de communication sont peu enseignées en formation initiale. Idem pour la formation médicale continue. D'ailleurs, il n'existe pas de consensus sur la manière d'enseigner efficacement ces compétences. La réforme en cours du second cycle des études médicales devrait permettre aux futurs médecins d'être mieux préparés.

Notre escape game est novateur dans la mesure où il combine l’apprentissage de la démarche clinique et l’amélioration de la communication. Les participants ne jouent pas forcément leur propre rôle : dans le jeu, tous sont considérés comme «experts», peu importe qu’ils soient médecins ou aides-soignants. Mais au final c’est leur collaboration qui permet d’aboutir à une démarche clinique et de comprendre la situation. Je m’explique : lors d’une partie, une infirmière avait compris un élément clé du scénario, mais elle n’avait pas osé en faire part à l’équipe. Résultat, tous sont restés bloqués dans le jeu.     
 


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12m2 suffisent


Notre escape game  

Je précise d’emblée que le dispositif est mobile. C’est rare, et c’est un réel atout car l’ensemble du matériel nécessaire tient dans deux valises. Le principe du jeu est simple : 5 à 10 joueurs sont «enfermés» dans une pièce de 12 m2 avec un animateur. Ils doivent collaborer pour résoudre des énigmes en moins de trente minutes. 

Une courte vidéo présente la situation. Les joueurs disposent aussi des dossiers médicaux de la terroriste présumée et des passagers, ainsi que de certains effets personnels. Ils doivent être capables, par déduction, de se prononcer en un temps limité sur un éventuel risque pour la population locale. Les joueurs ne peuvent accéder à l'étape suivante qu’après avoir résolu la précédente. 

Au fil du jeu apparaîssent des indices ou objets, comme par exemple le journal intime de la jeune femme, verrouillé par un code à quatre chiffres, lui-même caché au dos d'un puzzle dont les pièces sont réparties dans les affaires de la jeune femme. L'animateur apporte des informations au fur et à mesure de la progression… tout en ajoutant de la pression. Par exemple, il informe les joueurs de l'évolution des symptômes cliniques des autres passagers toutes les 5 minutes. L’animateur peut aussi fournir des éléments médicaux complémentaires : résultat de laboratoire, électrocardiogramme, radiographie. 

Juste après le jeu, le débriefing est un moment clé. Lui aussi dure trente minutes.  L’animateur reprend l’histoire clinique du jeu et apporte des éléments contextuels de réponse. Il demande ensuite l'avis du groupe sur sa communication et cherche ensuite à mettre en évidence les forces et les faiblesses (via une auto puis une hétéro-évaluation, comme dans les jeux de simulation). 



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Le matériel nécessaire


Construire un escape game en six étapes

Nous avons souhaité mettre à disposition de toute personne intéressée notre «recette» pour créer un escape game. Dans l’article, nous présentons une méthodologie détaillée, en six temps. En voici les grandes lignes.


1- Constituer une équipe

Menée par un leader, elle regroupe d’une part des personnes qui travaillent sur le design du jeu et d’autre part celles qui réfléchissent au contenu scientifique.Tous doivent travailler ensemble. 


2- Définir les objectifs pédagogiques

Ils sont de deux types : ceux qui sont communs à tous les membres de l'équipe et ceux qui sont spécifiques aux professions des membres de l'équipe.


3- «Gamifier», c’est-à-dire passer de ces objectifs au scénario. 

Pour développer un jeu, il est possible soit de partir d'un synopsis (scénario dans lequel sera inséré un cas clinique), soit de partir d'un cas clinique et d'imaginer un synopsis. Pour créer le scénario, le groupe doit : 


4- Les ressources humaines et matérielles

L’animateur est un personnage clé. Placé soit dans la salle soit à l’extérieur avec une liaison vidéo, il oriente les joueurs, apporte de nouveaux éléments, contrôle le timing du jeu. Il doit connaître l'ensemble du déroulement du jeu et tous les chemins possibles. Cet animateur n'est pas forcément médecin ; le candidat idéal serait plutôt un habitué des jeux doté de quelques talents de comédien. Dans tous les cas il doit être formé et disposer d’un guide. 

La liste du matériel est élaborée au fil de l’écriture du scénario. Cadenas de différents types, boîtes, livres, labyrinthes, jeux d'aimants, etc. permettent de récolter des indices.  


5- Briefing et débriefing

Le briefing plonge les joueurs au cœur de la situation et leur permet de connaître les questions auxquelles ils devront répondre. Le débriefing, quant à lui, est une étape primordiale : il renforce le processus d'apprentissage. Ces deux phases sont soigneusement préparées, avec la rédaction de règles du jeu et d’un pas-à-pas pour le débriefing. 


6- Tester le jeu    

Un test répété en conditions réelles permet de vérifier que le matériel est opérationnel... et surtout que le jeu peut se terminer dans le temps imparti ! C’est l’occasion d’identifier les points clés du jeu, les moments où les joueurs pourraient avoir besoin d'aide. 


Quelles perspectives pour cet escape game pédagogique ?  

Le jeu peut être adapté pour d’autres spécialités que la médecine d'urgence. L'infirmier-anesthésiste (et ingénieur pédagogique) qui travaillait avec nous a déjà lancé des projets de ce type auprès du personnel infirmier de l'AP-HP.  J’ai de mon côté plusieurs projets avec ma faculté de médecine référente et le CHR Metz-Thionville. N'hésitez pas à nous contacter, nous apporterons volontiers notre expertise !

Une piste qui me semble intéressante serait de coupler ce jeu avec la réalisation d’actes techniques en vue d’obtenir un jeu hybride incluant la simulation haute fidélité. Par exemple, la résolution d’une énigme pourrait  impliquer de réussir une intubation, seule possibilité pour obtenir la clé. Autre évolution possible, le format numérique. Pendant le confinement, ce type d’escape games en distanciel a émergé. Les éléments physiques sont alors remplacés par des messages vocaux, des vidéos… On peut tout à fait imaginer une version «éducation médicale». 

L’évaluation du dispositif est en cours, à l'aide de données recueillies auprès des joueurs le jour même et de questionnaires remplis trois mois plus tard. Cette évaluation fera l'objet d'une publication ultérieure. 

Mais au fait, vous voulez savoir ce qu’il s’est passé dans cet avion ? Acte terroriste ou pas ? Quel diagnostic médical ? Vous trouverez les réponses dans notre article !



Laure Abensur Vuillaume



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Notes :

1- Abensur Vuillaume L, Laudren G, Bosio A, Thévenot P, Pelaccia T, Chauvin A
A Didactic Escape Game for Emergency Medicine Aimed at Learning to Work as a Team and Making Diagnoses: Methodology for Game Development – JMIR Serious Games 2021;9(3):e27291
DOI: 10.2196/27291
2- À retrouver sur LinkedIn et Facebook.

3- HUG – Covid-19 : le « jeu sérieux » plus efficace pour prévenir le Covid-19 à l’hôpital.