Facultés de médecine – L'intelligence artificielle, prometteuse mais trop absente

L'intelligence artificielle est encore très discrète sur les bancs des facultés. Pourtant, l'adaptive learning pourrait être un outil précieux pour les étudiants.



Joris Galland est spécialiste en médecine interne. Après avoir exercé à l'hôpital Lariboisière (AP-HP) il a rejoint le CH de Bourg-en-Bresse. Passionné de nouvelles technologies, il se propose dans notre blog «Connexion(s)» de nous en expliquer les enjeux. 



Le stéthoscope a été inventé par le médecin français René Laennec en 1816. Son utilisation est toujours enseignée, dans toutes les facultés de Médecine à travers le monde. Pourtant, le stéthoscope est dans l’antichambre du musée.

L’émergence des appareils d’échostéthoscopie portable s’apprête à révolutionner l’auscultation. Tenant dans une poche, ils permettent l’exploration des organes, avec images et sons, directement au lit du patient. Une IA peut ensuite interprèter les images en temps réel. Parmi ces appareils, citons l’echOpen1 développé en partenariat avec l’AP-HP.

IA, assistants numériques, jumeaux numériques, robotique, quantified self, objets connectés… Les facultés de médecine sont-elles prêtes pour ce virage numérique ? On peut en douter. 

Sur la forme et le fond, l'enseignement de la médecine n’a que trop peu évolué depuis plus d’un siècle : toujours les mêmes matières, toujours les mêmes cours magistraux… Si l’on parle d’IA, c’est encore dans les couloirs et cela tient plus du chuchotement. Pourtant, cette technologie devrait rapidement bouleverser la formation médicale initiale et in fine modifier en profondeur la profession médicale.


Xiaoyi, une élève (presque) comme les autres 

Xiaoyi est une IA chinoise2  qui a brillamment réussi le concours de médecine de son pays. L’algorithme a terminé l'épreuve en une heure, versus dix heures pour ses concurrents humains. Xiaoyi a même obtenu un résultat plus qu'honorable. Avec 456 points, elle se classe bien au-dessus de la moyenne nationale, et obtient 96 points de plus que la note minimale requise pour être admis.

Cette anecdote peut faire peur. Elle est aussi une excellente nouvelle. Pourquoi ? Parce que Xiaoyi ne sera jamais un véritable médecin. Si elle connaît un programme universitaire par cœur, elle ne peut pas pour autant diagnostiquer un cancer de la prostate ou une leucémie. Tout simplement parce que Xiaoyi, comme toute IA, est monotâche.

Par contre, cet exemple chinois montre que le programme de médecine peut être assimilé par une machine. Les IA pourraient-elles d‘ici peu l’enseigner ? Oui... et non. Je m’explique : les professeurs «humains» continueront probablement à transmettre les fondements de la médecine, laissant les IA se charger de leur assimilation via l’adaptive learning (AL).


Les promesses de l’apprentissage adaptatif 

L’AL (en français, «apprentissage adaptatif») est un concept pédagogique qui s’appuie sur les connaissances en neurosciences cognitives. Le but ? Adapter le parcours pédagogique aux compétences, aptitudes et objectifs de chaque apprenant. Un enseignement à la carte, donc, mais sans avoir besoin d’un enseignant par élève.3

L’idée est simple : la machine teste l’étudiant pour apprendre à connaître le fonctionnement de sa mémoire et ses schémas cognitifs. S’il excelle en médecine interne mais peine en cardiologie, alors l’IA essaye de comprendre pourquoi le cerveau de l’étudiant éprouve ces difficultés. Puis, grâce aux neurosciences, elle utilise la méthode d’apprentissage la plus appropriée.

De nombreuses facultés se sont lancées dans l’enseignement par MOOC (Massive Online Open Course), c’est-à-dire des plateformes numériques d’enseignement où les apprenants peuvent suivre des cours en ligne et tester ensuite leurs connaissances. La crise sanitaire n’a fait qu’accélérer leur développement. Malheureusement, peu de facultés en Europe mettent à disposition l’adaptive learning sur leur plateforme de MOOC. 

De tels outils pédagogiques sont bien plus développés dans les pays anglophones. Une étude australienne portant sur des étudiants en mathématiques a montré que l’incorporation de l’AL au sein d’un MOOC augmentait de 18% les taux de réussite aux examens, et diminuait de 47% les abandons de cours.4

Nous disposons à ce jour de peu de recherches formelles sur l’utilisation de l’AL pour l’enseignement de la médecine. Cela devrait rapidement changer. La version anglophone d’Elsevier dispose d’une interface nommée Cerego. Son algorithme propose à l’étudiant un parcours d'apprentissage personnalisé, en lui suggérant le prochain module à travailler.

Cerego est même capable d’étudier le «profil» de la mémoire de l’étudiant, par exemple de déterminer le délai avant l’oubli d’une connaissance. L’algorithme peut donc proposer à l’étudiant de revoir un  module juste avant l’expiration de ce délai. Un tableau de bord permet à l'étudiant de savoir à chaque instant où il en est, et de visualiser ses progrès.

Les résultats sont là. Kellman et al.5 ont mis à l'essai un parcours pédagogique utilisant l’AL pour l'enseignement du programme d'histopathologie dermatologique à l'université californienne UCLA. Des améliorations significatives dans les notes obtenues ont été observées.  


Adaptive learning et simulation

Notons qu’on peut très bien faire de l’AL sans IA. C’est le cas lors des séances de simulation, qui par contre nécessitent de mettre un enseignant à disposition d’un groupe restreint d'étudiants. Le coût est forcément limitatif. 

Toujours dans le domaine de la simulation, les serious game pourraient grandement bénéficier des apports de l'adaptive learning. Ces jeux vidéo mettent en scène un cas clinique, afin d’évaluer le raisonnement des apprenants. Actuellement, en cas d’erreur, le scénario n’avance pas (ou peu) et l’étudiant doit s’auto-corriger immédiatement. L’IA permettrait de faire évoluer constamment les scénarios, en fonction des décisions des étudiants, permettant une immersion bien plus réaliste. 


L’IA au coeur de la formation médicale

L’IA peut donc être un outil pédagogique. Mais elle devrait aussi devenir un objet d’enseignement. Selon un sondage Odoxa-UNESS 6 , 79% des étudiants en médecine se sentent démunis et insuffisamment formés à l’arrivée de l’IA dans leur pratique professionnelle.

L’apparition dans les facultés de médecine européennes de Diplômes Universitaires dédiés à l’IA devrait nous réjouir. En France, il est possible désormais de se former à Paris, Nice ou encore à Dijon. Mais quel dommage que l’IA ne soit abordée que via des formations payantes et facultatives ! Le risque, c’est d’accroître encore le clivage entre les médecins «pro-IA» et ceux qui s’en méfient, souvent par manque de connaissances.  

Intégrer l’IA précocement dans la formation des médecins nécessite un rapprochement avec les cursus d'ingénierie en informatique. C’est d’ailleurs ce que propose l’OMS dans son rapport7 sur l’IA appliqué à la santé : «Les gouvernements et les entreprises devraient anticiper les bouleversements qui seront occasionnés au niveau du travail, notamment la formation des agents de santé qui devront se familiariser avec l’utilisation des systèmes d’IA.» 

À mon sens, trois types d’actions devraient donc être mises en œuvre sans tarder. Tout d’abord, la création d’une discipline spécifique «Médecine et IA», visant à former les étudiants sur les progrès technologiques, leur application dans la pratique quotidienne et l’impact global sur la profession médicale. Ensuite, l'adaptive learning devrait être largement démocratisé. Enfin, les cursus médicaux devraient systématiquement se rapprocher de ceux spécialisés dans certains domaines de l’informatique.


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Références :

1- l’echOpen est à découvrir en vidéo ici.
2- Enrique Moreira – «Un robot chinois réussit son concours de médecine»
(Les Echos, 2017)
3- Thomas Blanc – «L’adaptive learning, définition et idées reçues»
(Tactileo, 2018)
4- Sharma N, Doherty I, Dong C.
Adaptive Learning in Medical Education: The Final Piece of Technology Enhanced Learning? Ulster Med J. 2017 Sep;86(3):198–200.
5- Kellman PJ.
Adaptive and perceptual learning technologies in medical education and training.
Mil Med. 2013 Oct;178(10 Suppl):98–106.
6- Enquête en ligne réalisée fin 2018 auprès de 752 professionnels de santé (médecins, pharmaciens, aides-soignants, sages-femmes), 978 étudiants et 258 enseignants (médecine, pharmacie, odontologie et sports).
7- Ethics and governance of artificial intelligence for health.
WHO guidance (2021)