Scientifiques et journalistes spécialisés : les uns avec les autres

La crise sanitaire... Un magnifique crash-test de la relation entre journalistes et scientifiques. Les premiers ont besoin d'interlocuteurs, les seconds de confiance. La nature a horreur du vide : les experts autoproclamés guettent les places laissés vacantes pour asséner leurs vérités.

Dès son apparition à Wuhan en décembre 2019, le SARS-CoV-2 a bouleversé l’agenda des médias. Les journalistes spécialisés en santé ou en sciences ont eu quelques jours pour se familiariser avec des concepts de virologie et d’épidémiologie. Depuis, ils s’efforcent de se mettre quotidiennement à niveau, à mesure que les connaissances évoluent. Cette situation hors normes a mis en exergue l’importance d’une communication fluide et d’une confiance mutuelle entre scientifiques et journalistes, afin que les informations qui parviennent au public soient aussi claires, intelligibles et objectives que possible.


Une crise qui rebat les cartes

Depuis février, de nouveaux noms sont apparus : Karine Lacombe, Antoine Flahaut, Arnaud Fontanet, Yvon Le Flohic, Dominique Costagliola, Élisabeth Bik… Autant de médecins et scientifiques qui sont sortis du bois à l’occasion de cette pandémie. «C’est une excellente nouvelle que de voir des experts répondre présents lorsque l’on traverse une crise sanitaire» commente Sarah Sermondadaz, journaliste scientifique et responsable du flux sciences de Heidi.news. «Ils ont permis aux médias de ne pas s’en tenir aux personnalités déjà connues du grand public et de montrer la diversité des disciplines scientifiques requises pour comprendre la crise sanitaire : virologie ou microbiologie bien sûr, mais également épidémiologie, ou même sociologie

Cette crise a aussi contraint les institutions à renouveler leurs méthodes de relations presse : «Le CNRS et l’Inserm ont fait tourner des listes d’experts par thématiques. Cela a été extrêmement salutaire pour nous. Ils avaient certainement fait un travail en amont pour mobiliser leurs chercheurs.» rapporte Victor Garcia, journaliste Sciences et Santé à L’Express. Une initiative précieuse, bien qu'en avril-mai-juin ces experts, saturés de demandes, ont eu bien du mal à se rendre disponibles pour la presse.

Certains experts ont également compris le rôle prépondérant de Twitter comme moyen de toucher les journalistes mais aussi de lutter directement contre les fake news en santé. «La présence de médecins et de chercheurs sur Twitter facilite grandement la communication» témoigne Victor Garcia. «Ils font souvent des threads [suite de tweet qui se suivent] clairs et intéressants et il nous suffit de leur envoyer un message pour demander quelques précisions.» Cet avis est partagé par Sarah Sermondadaz : «Il y a sur Twitter des scientifiques et des médecins qui parlent de leurs propres travaux, d’autres qui font de la vulgarisation. C'est très utile, pour nous autant que pour le grand public. Pendant la pandémie, Twitter m’a permis d’identifier de nouveaux experts, sur des thèmes que j’avais peu traités auparavant.»


«J’ai un vrai souci du respect de la parole scientifique»

Si la crise a ouvert la voie à de nouveaux échanges, reste qu’un certain nombre de hiatus demeurent entre journalistes et experts du monde médical ou scientifique. «Je ne pense pas qu’il existe une défiance généralisée envers les journalistes.» témoigne Soline Roy, rédactrice en chef adjointe Sciences et Médecine au Figaro. «Je n’ai pas souvenir que l’on ait refusé de me répondre en me disant "Vous écrivez n’importe quoi." Toutefois, il existe parfois une crainte de voir ses propos déformés.» Sarah Sermondadaz précise : «Certains chercheurs peuvent avoir eu de mauvaises expériences par le passé avec la presse. Nous devons alors leur montrer patte blanche. Pour nous, il s’agit de nouer des relations de confiance avec eux, dans la durée

À ce besoin de confiance, les journalistes répondent unanimement, lorsque les délais le permettent, par la possibilité pour les experts de relire leurs citations. «Lorsque je travaillais dans d’autres domaines, je refusais de faire relire» explique Victor Garcia. «En sciences, je refuse uniquement lorsqu’il y a quelque chose de politique mais c’est très rare. Si je ne fais pas relire systématiquement, je le fais avec plaisir lorsque la personne demande et ce d’autant plus volontiers quand il s’agit de sujets techniques.»

Soline Roy met en lumière les bénéfices de ces relectures : «Ce n’est pas comme des politiques à qui on demande une sincérité dans l’instant. J’ai un vrai souci du respect de la parole scientifique. Quand je sais que je suis relue, je m’autorise à aller plus loin dans la vulgarisation car je sais que ce sera contrôlé. Je trouve ça bien d’avoir une relecture, ça permet de vérifier que l’on ne dit pas de bêtise. Selon type de sujet et de complexité, je n’hésite pas à demander une relecture sachant que les modifications proposées ne seront que des suggestions.» Pour les médias en ligne et les quotidiens, Sarah Sermondadaz rappelle qu'il existe une contrainte temporelle : «Sauf exception, je fais volontiers relire avant publication lorsque j’ai le temps ou que l’interviewé me le demande. Mais la chance des médias web est de pouvoir facilement corriger une citation.» 

Afin de faire en sorte qu’ils soient davantage en confiance et que leurs propos ne soient pas susceptibles d’être déformés, Victor Garcia suggère aux chercheurs et aux médecins de «privilégier les échanges avec des journalistes spécialisés en santé ou en sciences ou avec des rédactions qui ont investi dans ces domaines - surtout sur les sujets les plus techniques - et de faire preuve de beaucoup de pédagogie s’ils s’expriment dans des médias généralistes.»

Force est de reconnaître qu’avoir des bases communes facilite les échanges. «Ma première formation est en ingénierie, ce qui aide pour parler à des ingénieurs.» constate Sarah Sermondadaz. «Cela simplifie les choses de parler le même langage. C’est la raison pour laquelle les écoles de journalisme, même généralistes, devraient intégrer une sensibilisation au journalisme scientifique : méthodologie scientifique, différents niveaux de preuve… Je pense que la quantité d’articles produits par la presse pendant cette pandémie leur fournira d’excellentes études de cas ! » 


Quand la chaise est vide

Pour autant, les journalistes même spécialisés ne sauraient être experts en tout. Ils et elles se passent volontiers du mépris parfois affiché par des professionnels de santé, ou de critiques qui n’ont pas lieu d’être. Ces professionnels devraient entendre au contraire le besoin de travailler main dans la main. «Si des experts ne se rendent jamais disponibles - ou que ça ne les intéresse pas - ils ne peuvent pas critiquer le travail qui est fait. Nous ne sommes pas là pour tout savoir. Et non, ils ne feraient pas mieux que nous, ce n’est pas leur job» fulmine quelque peu Soline Roy. «Nous, on doit changer de sujet tout le temps. Il nous est impossible d’être expert ou d’avoir lu toute la littérature sur un sujet avant d’écrire. Nous avons besoin de leur expertise

Communiquer sur ses recherches fait-il partie des fonctions imparties aux scientifiques ? Sarah Sermondadaz nuance : «Par définition, les communiqués de presse ne suffisent pas. Mais il faudrait accorder du temps aux chercheurs pour nous répondre. Certains le font sur leur temps libre, car ils pensent que cela fait partie de leur devoir envers la société. Mais nous savons que les chercheurs sont souvent débordés, et qu’ils n’ont pas toujours le temps de répondre. Peut-être faudrait-il formaliser cette fonction.» 

Le danger est de laisser la chaise vide : «Les charlatans bombardent de mails les journalistes qui ne sont pas spécialistes et occupent ainsi l’espace médiatique» explique Victor Garcia. «Le risque est que les médias généralistes fassent appel à des faux experts auto-déclarés» abonde Sarah Sermondadaz. Pour autant, la journaliste ne veut pas fermer la porte aux bonnes volontés. «Nous souhaitons montrer les sciences et la médecine dans leur diversité. Nous donnons volontiers la parole aux chercheurs les plus reconnus, mais dans un contexte où la science est malmenée, ne pensez pas que vous n’êtes pas légitime à expliquer quelque chose dont vous êtes spécialiste à la presse sous prétexte que vous n’êtes pas professeur.» Pour Victor Garcia, l’expression d’informations divergentes doit assurer une régulation. «La science n’est pas une opinion. Venez nous chercher. Quand un de vos confrères raconte n’importe quoi sur votre spécialité, n'hésitez pas à prendre la parole et à nous contacter

Avis aux spécialistes… Plusieurs journalistes sollicités vous transmettent cette requête : «Lorsque vous n’avez pas le temps de nous répondre, que vous n’êtes pas qualifié ou par intéressé : dites-le-nous et éventuellement orientez-nous vers un confrère plutôt que de nous laisser sans nouvelles.» Face aux défis sanitaires actuels, journalistes et scientifiques ou médecins doivent plus que jamais marcher main dans la main, plutôt que de se tirer dans les pattes.


Laure Dasinieres


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