Fakenews, fakemed : un outil pour alerter les patients

La crise du Covid-19 fut une aubaine pour les fakemed et fakenews. Confinée et avide de réponses la population a abondamment fréquenté sites internets et réseaux sociaux. Sa confiance envers les médecins en ressort plus fragile. Ceux-ci sont confrontés à des patients perdus voire méfiants, oscillant entre angoisses légitimes, exigences thérapeutiques et théories complotistes. Face aux incohérences des discours, une nouvelle tâche émerge : l'éducation aux médias.

La pandémie a laissé les corps et les âmes meurtris. Elle a aussi altéré la pensée. La société entière et le corps médical en particulier, baignés durant de longues semaines dans une désinformation constante et agressive en ressortent clivés. Des médecins et scientifiques reconnus sont harcelés et  menacés sur les réseaux sociaux. Le jeu trouble de personnalités en quête de lumière et de sites internets hostiles aux institutions n’y est pas étranger.    


Fakemed, fakenews, infodémie

« J’ai dit que le Covid avait été lâché en même temps que la connexion de la 5G à Wuhan fin décembre, pour que les morts subites soient mises sur le dos du Covid. Cet amalgame avait pour but selon moi, de protéger le plan de développement mondial de la 5G.  Or j’avais aussi montré le graphique mettant en évidence la dangereuse résonance de l’oxygène sous 60 gigahertz, ce qui le rendait non compatible avec l’hémoglobine du sang, d’où asphyxie organique généralisée… » 1

Une pandémie, pas traitement, pas de vaccin, peu de connaissances et trop de controverses entre pontes. Le terreau idéal pour voir éclore les traitements miracles. Aux USA, où pullulent le sites dédiés à la santé, GreenMedInfo.com a prôné l’utilisation de la vitamine C en prévention du Covid-19. D’autres ont conseillé la Solution Minérale Miracle à base de dioxyde de chlore pour s’en débarrasser. Le télévangeliste Jim Bakker a lui exhibé son produit miracle à base d'argent colloïdal. La directrice du Centre national américain de la médecine complémentaire et intégrative a dû monter au créneau pour alerter sur la dangerosité de ces substances et rappeler qu’aucun traitement à base de plantes n’a montré un quelconque effet préventif ou curatif face au Covid-19.

Quant aux théories complotistes, d’habitude centrées sur des enjeux politiques, elles trouvent dans cette épidémie l’occasion rêvée d’attaquer les institutions. De nombreux sites ont découvert un intérêt soudain pour les questions médicales, recyclant au passage de vieilles infox : la 5G était responsable du cancer, elle est désormais la cause du Covid-19.

Aux USA, sur 4.000 sites d’information analysés 2 , un sur dix publie des informations erronées liées à la santé. En France, 25% de la population adhèrerait à la théorie d’une création artificielle du virus. Quant au vaccin, avant-même d’exister il est déjà présenté comme une tentative délibérée pour empoisonner l’humanité. Si les fakemed menacent la santé publique, les fakenews attaquent la démocratie.

Conspirations, allégations, faux remèdes… Lorsqu’elle ne tue pas, la désinformation mine la confiance envers le corps médical. «Nous ne luttons pas seulement contre une pandémie, nous luttons contre une infodémie. Les faux messages se propagent plus vite que le virus, et ils sont tout aussi dangereux.» constate le Directeur général de l’OMS.


Le fact-checking : trop peu, trop tard

Zero Hedge, un blog politique et financier qui a partagé le récit «Le coronavirus est une arme biologique volée au Canada » a eu 2,1 millions d'engagements sur les médias sociaux en 90 jours.
Sur la même période, le site du CDC (Centers for Disease Control and Prevention - Agence fédérale des États-Unis en charge de la santé publique) n’en a eu que 175.000. Bien mieux toutefois que le site web de l'OMS et ses 25.000 engagements. 3

Les informations fiables se retrouvent noyées dans un flot continu de fakenews que le fact-checking ne peut endiguer. Entre janvier et mars 2020, le nombre de fact-checks en langue anglaise a augmenté de 900%. Malgré leurs efforts, les agences de presse telles que l’AFP ou Reuters ne peuvent démonter qu’une part restreinte de ces fakenews. Surtout, il est toujours trop tard : celles-ci ont déjà fusé sur les réseaux sociaux.  


Les réseaux

Quel point commun entre Tom La Ruffa (lutteur professionnel français), Alessandro Meluzzi (psychiatre et ex-parlementaire de Forza Italia) et Compact-Magazin (magazine allemand anti-migrants) ? Tous trois figurent dans la liste des seize comptes Twitter européens épinglés par NewsGuard 4. Certains ont relayé des théories complotistes liées à la pandémie, d’autres des fakemed. Un travail similaire a été effectué pour les comptes Facebook à large audience (40.000 likes au moins). 

Chacun de ces «Super diffuseurs» dispose d’au moins 20.000 followers, et les seize réunis en totalisent 616.000 répartis en Allemagne, en France et en Italie. Aucun des tweets en question n'avait été signalé ou retiré de la plateforme par Twitter, et ces comptes sont toujours actifs. Autre point commun, ces comptes avaient pour la plupart déjà diffusé des infox portant sur le 11 septembre, le «lien» entre vaccin et autisme ou la guerre en Syrie.

En France, parmi nos sept champions aux 251.000 followers cumulés, nous retrouvons Alain Soral (qui relaie les infox du site EgalitéEtReconciliation.fr), le blogueur Pierre Jovanovic ou encore «MédecinIden†i†aire». Se décrivant comme un médecin généraliste, il partage les articles de RiposteLaique.com qui affirment par exemple que le virus est «une arme de destruction biologique». Il a toutefois tempéré cette opinion dans un tweet : «Je pense qu’il s’agit d’une fuite accidentelle depuis le laboratoire.» 


De l’intérêt du pre-bunking

Puisque le debunking (la démystification) montre ses limites pour limiter la diffusion des fakenews, l’idéal serait le pre-bunking : alerter l’internaute en amont, lui signaler les sites ayant déjà relayé des informations erronées ou les comptes qui relaient ces sites. Ceci est d’autant plus efficace qu'au moins 75% de ces sites sont des «récidivistes» de la désinformation 5.

NewsGuard est une start-up fondée en 2018 par des journalistes chevronnés 6. Elle s’est donnée  comme objectif de labéliser les sites d’information de cinq pays (États-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, France et Italie). Ses journalistes et analystes décortiquent les médias, sites d’information et blogs spécialisés les plus influents, ceux qui en cumulé génèrent 95 % de l’engagement total (contenus partagés, «likés», commentés…).

Chaque site est évalué en fonction de neuf critères, dont la publication de fausses informations, la correction a posteriori des erreurs, la présence de titres trompeurs ou de publicités déguisées. L’affichage d’informations sur l’identité des responsables du site, son financement ou encore son appartenance à un groupe sont aussi passés au crible.

Les sites reçoivent ensuite un score de fiabilité de 0 à 100, et un drapeau rouge ou vert s’affiche dans l’extension du navigateur. L’internaute a aussi accès à une fiche détaillée - sur le modèle d’une Étiquette nutritionnelle - précisant l’identité et la biographie  du journaliste «enquêteur», la méthodologie, les résultats détaillés de l’analyse, etc.

Ce travail obéit aux règles du journalisme, en premier lieu l’appel à commentaires. Avant d’émettre un avis défavorable, NewsGuard demande plus d’explications aux responsables des sites. Leurs remarques sont aussi publiées. S’ils refusent de répondre, cela est mentionné. L’évaluation est renouvelée pour chaque site tous les 3 à 4 mois. Enquête, analyse, droit de réponse… Nous sommes loin du travail d’un algorithme.

La transparence est le mot d’ordre de NewsGuard. La start-up affiche clairement la liste de ses actionnaires ainsi que ses partenariats. Tous les utilisateurs de Edge (Microsoft) ont par exemple un accès gratuit à NewsGuard depuis mai. Pour le grand public l'extension NewsGuard coûte habituellement 2,95 € par mois. En raison de la crise du Covid-19 la start-up l'a rendue gratuite jusqu’au 1er juillet.     


HealthGuard

Depuis 2019, NewsGuard s’intéresse de près au domaine sensible de la santé. Et pour cause : 37% des sites classés «rouge» sont axés principalement sur la santé. La start-up a d’ailleurs créé sur son site une page dédiée à la pandémie. Les sites ayant diffusés de fausses informations sur le Covid-19 ainsi que les dix mythes les plus diffusés y sont recensés. Ce travail a notamment été salué en Italie  par la Fédération nationale des Ordres des médecins (équivalent du Cnom).   

Les patients se présentent désormais devant leur médecin avec des certitudes glanées sur internet. Comment les alerter sur la fiabilité des sites qu’ils fréquentent ? C’est à cette fin que NewsGuard a créé HealthGuard, une extension de navigateur destinée spécifiquement aux professionnels de santé.

HealthGuard reprend les évaluations de NewsGuard mais sur un spectre resserré : les sites «santé» plus confidentiels, ceux qui génèrent peu d’engagements, sont aussi analysés. Outre cette veille continue, HealthGuard fournit des supports pédagogiques pour aider les médecins dans ce travail, nouveau et nécessaire, d’éducation aux médias. Les établissements de soins et cabinets médicaux pourront accéder à des vidéos, articles, brochures et quizz éducatifs à relayer sur leurs propres sites. Parmi les thèmes abordés, «Vaccins - Séparer les faits et la fiction»,  «Vrai ou faux remède ?» ou encore «Quels risques si vous vous fiez à votre moteur de recherche pour une expertise médicale ?»

Merci à Chine Labbé pour ses explications.
Ex-journaliste chez Reuters et pour The Economist, elle est désormais Rédactrice en chef Europe de NewsGuard. 


Notes :

1- Dogna à la barre des accusés
2,3 - Source : NewsGuard
4- Europe: Les Super Diffuseurs sur Twitter
5- D’après NewsGuard, 75% des sites ayant diffusé des fausses informations sur le virus avaient déjà été identifiés comme relayant des théories du complot et des infox : fakemed, antivaxx, Shoah, 11 septembre, attentats du Bataclan, etc.).   
6- Steven Brill, fondateur du magazine The American Lawyer et Gordon Crovitz, ancien directeur de la publication du Wall Street Journal.