Folie royale (1/2)

Charles VI, c'est avant-tout l'histoire d'un léger coup sur un casque qui se transforme en un royal coup de calgon. Cette tuerie champêtre marqua l'entrée dans une folie qui suinta au fil de tout un règne.



Dans ce blog Histomède Jean-Christophe Piot relate avec une rigueur certaine – et une certaine liberté de ton – les pages les plus marquantes de l'histoire de la médecine.


De Caligula à Staline en passant par Paul Deschanel et quelques autres, on ne compte plus le nombre de rois, d’empereurs ou de dirigeants pointés du doigt pour leur folie – réelle ou supposée d’ailleurs. 

Après tout, saper l’autorité d’un prince en le peignant comme un dément est un moyen comme un autre d’abimer son image, voire de justifier tel complot ou tel coup d’État (coucou, Néron). 

Mais dans un cas au moins, la dégradation de l’état mental fait d’autant moins de doutes que le règne de l’intéressé s’est étiré sur la bagatelle de 42 ans : le roi de France Charles VI, alias le Bien-Aimé, alias le Fol. Retour sur un cas à la fois mystérieux et bien connu.



Si vous ne situez pas immédiatement Charles VI, on ne vous en voudra pas trop. La fin du 14e siècle n’est pas la période la plus connue de l’histoire de France et le début de son règne n’a rien d’un événement hors du commun à première vue – un roi de France qui succède à son défunt père, c’est après tout le principe. 

Pourtant, l’arrivée sur le trône de Charles VI en 1380 intervient en des temps éminemment troublés puisque la Guerre de Cent ans fait rage depuis cinq décennies déjà dans un royaume de France passablement bordélisé par la guerre contre les Anglais d’une part, ses conflits intérieurs d’autre part. Et encore, on vous fait grâce des conséquences du Grand Schisme d’Occident qui se solde par la concurrence entre deux papes, celui de Rome et celui d’Avignon.


Qui es-tu, Charles VI ?  

Dans le cours cahoteux et chaotique de ce long conflit, 1380 n’est ceci dit pas le plus mauvais moment pour prendre la tête du pays : grâce aux efforts de Papa Charles V, bien secondé par l’ami Du Guesclin, les Anglais se sont fait refouler un peu de partout et le conflit semble d’autant plus figé que le pays traverse une période de régence.

Charles VI étant à 12 ans trop jeune pour régner, ce sont ses oncles les ducs d'Anjou, de Bourgogne, de Berry et de Bourbon, qui gèrent les affaires à sa place – mal, en l’occurrence. Leurs querelles constantes et leurs luttes pour le pouvoir épuisent une population déjà mise à rude épreuve et écrasée d’impôts. C’est d’ailleurs à eux que Charles VI doit son premier surnom. En huit ans à peine, le jeune prince prend suffisamment d’assurance pour siffler la fin de la récréation et envoyer paître ses tontons, bien appuyé par ses conseillers, les Marmousets. Le peuple, qui apprécie, fait alors de son jeune roi le Bien-Aimé.

Il faut dire que pour ne rien gâcher, le souverain porte beau : athlétique, excellent cavalier, épris de tradition chevaleresque, il a tout pour séduire et il n’en prive d’ailleurs pas, au vu de son appétit pour les choses charnelles. Son tempérament insomniaque et fougueux en fait un homme qu’il faut pouvoir suivre quand il se met à secouer la terre entière en pleine nuit sous prétexte qu’il fait un temps idéal pour aller chasser. Mais il a incontestablement de l’allant et du charisme, en dépit de quelques petites maniaqueries que son entourage lui passe bien volontiers, d’abord parce qu’il est le roi et ensuite parce qu’il a l’énergie communicative. Rien de bien grave, d’après son entourage : si le Charles manifeste à l’occasion des petits troubles ou des petites obsessions, c’est qu’il croule sous le poids d’une charge dans laquelle il se donne tout entier. 


Un gros coup de chaud

Voilà donc l’homme qui chevauche dans la forêt du Mans le 5 août 1392 sous une chaleur assommante : un souverain jeune et capable, mais aussi imprévisible qu’impétueux – il vient d’ailleurs d’en donner une nouvelle preuve en se lançant avec toute sa troupe à la poursuite du duc de Bretagne, qu’il accuse d’avoir fait assassiner son connétable, Olivier de Clisson. Et Charles VI en fait de toute évidence une affaire personnelle : enragé de colère, il marmonne des menaces depuis des semaines.

C’est là qu’intervient un incident curieux, relaté par plusieurs témoins. Des taillis qui bordent le chemin traversant la forêt surgit une sorte d’ermite qui se jette sur le cheval du roi. Par ailleurs inoffensif, le vagabond cherche manifestement à avertir le roi d’un danger et lui hurle des avertissements décousus, jurant qu’on l’a trahi et qu’il doit faire demi-tour. 

Déjà dans un état de nervosité accru par la fatigue, étourdi de chaleur dans son habit de velours, Charles VI semble impressionné mais la troupe reprend sa route, se contentant d’éloigner le gêneur dont les hurlements s’entendent encore à l’arrière-garde.



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Jusque là, tout allait plutôt bien.



Quelques minutes plus tard, alors que la troupe écrasée de chaleur progresse à petite allure et que tout le monde semble plongé dans la torpeur, un des gardes laisse échapper sa lance qui vient frapper bruyamment le casque du soldat qui le devance.

Brutalement tiré de ses pensées, Charles VI est alors saisi d’une pure crise de folie furieuse. Il dégaine son épée et fonce à bras raccourci sur ses propres gardes du corps, sidérés par un assaut qu’ils ne peuvent pas contrer sans risquer de porter atteinte au roi… Tandis que le roi se rue vers son frère le duc d’Orléans, on parvient enfin à le ceinturer et à le jeter à bas de son cheval. Mais le bilan est lourd : quatre morts.

Une fois immobilisé, ligoté par ses gardes et étendu dans un chariot qui repart illico pour Le Mans, Charles VI ne revient pas pour autant à la raison. Il sombre dans une sorte d’inconscience ou de coma qui va durer deux jours, au point qu’on s’attend à le voir passer l’arme à gauche à tout le moment. 

Mais non : une fois réveillé, le roi semble se remettre doucement. En octobre 1392, il a repris une activité presque normale et gouverne comme s’il avait retrouvé la pleine possession de ses moyens physiques et intellectuels. Effondré par les conséquences de sa crise, il fait au passage amende honorable (au sens strict et religieux du terme), verse une compensation financière aux familles de ses victimes et promet des pèlerinages.



Fin de l'histoire ? Pas vraiment. Pas du tout, en fait. Ce qui aurait pu n'être qu'un petit coup de calgon champêtre – certes fort malvenu car passablement meurtrier – connut de sérieuses répliques. De quoi rameuter à la Cour une ribambelle de guérisseurs dont l'efficacité... Enfin bref, comment dire ? On vous raconte ça ici.      


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