Urgences : quand la musique est bonne<br>(track two – Musique et médecine d’urgence)

Deuxième opus de cette minisérie du Pr Peschanski dédiée au rapport entre musique(s) et médecine d'urgence. Si les apports de la musique pour les patients ont été largement étudiés, une évaluation plus globale est maintenant nécessaire.



Nous avons vu précédemment que les riffs d’AC/DC semblent avoir toute leur place au bloc opératoire. Mais qu’en est-il dans nos services d’urgence ?

Lors d’un de ces rares moments calmes en Salle d’Accueil des Urgences Vitales (SAUV), les brancards étant étonnamment vides, je me suis attaqué à une revue de littérature. Sitôt l’ordinateur allumé, la playlist qui accompagne habituellement mes déplacements a déferlé dans le service. J’ai aussitôt voulu couper le son mais les collègues présents, d’abord surpris, m’ont demandé de laisser ce fond musical.

Blouses blanches et musique, c’est une longue histoire. Elle est partout et il n’est pas un hôpital ou une équipe qui ne cache un talent, mélomane ou artiste. Mais avant tout, qu’on en joue, qu’on l’écoute ou qu’on en parle, la musique est entre nous un lien fort.

C’est surtout lors des nuits de garde que je parle de musique – de toutes les musiques, depuis l’opéra jusqu’à la country, en passant par Bollywood ou le métal. Je ne suis pas musicien, et encore moins pianiste classique comme une bonne partie de ma famille, mais je scrute avec avidité la carrière d’artiste de mon demi-frère, pianiste jazz-pop (Groupe Global Network) qui flirte aussi avec le Hip-hop garage-trash-new beat (Groupe No Flipe) ou encore celle d’Arnaud Thorette, un ami proche altiste et violoniste renommé. Je passe donc avec gourmandise et sans transition d’une radio jazz à une playlist de hard rock. De quoi nourrir les conversations avec mes collègues et avec les étudiants en médecine.

La nuit, si les patients cessent d’affluer, il arrive qu’un membre de l’équipe lance la playlist mp3 qui traîne sur un ordinateur du service. Ces moments de convivialité se transforment en débats animés sur nos goûts musicaux. Parfois, au contraire, tout le monde se tait pour écouter presque religieusement un morceau qui nous rassemble lorsque nous venons de vivre en équipe un moment intense.



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La musique comme intervention non pharmacologique

La musique est utilisée comme intervention thérapeutique depuis des siècles. La littérature médicale regorge d'études qui ont confirmé l’effet de la musique sur la douleur, l’anxiété et ou d’autres paramètres dans le contexte clinique.

Il existe des preuves clairement documentées de l’impact physiologique de la musique sur l’activité parasympathique, la régulation hormonale du stress et de l’immunité humorale. Par exemple, en diminuant l’activité sympathique et neuroendocrinienne, elle permet une amélioration de la réponse parasympathique qui favorise la relaxation.

Dans l’environnement médical des services de réanimation, la musique est utilisée à des fins non pharmacologiques depuis plusieurs années. Une méta-analyse de 2013 sur la musicothérapie et la « médecine musicale » (musique administrée dans le cadre des soins de santé par un musicien qui n'est pas musicothérapeute) en soins intensifs a montré que la musique correspond à une intervention non pharmacologique sûre et peu coûteuse. En favorisant la réduction de la perception de la douleur et en abaissant les niveaux de stress liés aux soins souvent lourds et invasifs, la musique réduit l’anxiété des patients.1


Et aux Urgences ?

Au cours des deux dernières décennies, les partenariats entre musiciens, musicothérapeutes, médecins cliniciens et chercheurs ont donné lieu à un développement sans précédent de procédures et interventions thérapeutiques, aboutissant à la publication de nombreuses études scientifiques rigoureuses.2 Si l’usage de la musique à des fins thérapeutiques dans les services d’Urgences n’a été que peu étudiée, on peut toutefois concevoir aisément que là aussi elle pourrait constituer une intervention non pharmacologique efficace, en contribuant à réduire la douleur et l’anxiété.

Il a par exemple été largement démontré que, dans diverses populations de patients et lors de multiples procédures plus ou moins invasives, la musique a un effet positif sur le contrôle, la tolérance et la perception de la douleur 3-8, ainsi que sur le recours à l’anesthésie et la sédation.9,10

Outre ses effets sur l’anxiété et la douleur, des centaines d’études ont confirmé l’effet thérapeutique de la musique sur d’autres paramètres cliniques tels que la fréquence cardiaque, la pression artérielle ou la capacité vitale pulmonaire. Il existe des preuves clairement documentées de l’impact physiologique de la musique, notamment ses effets sur l’activité parasympathique, sur les concentrations plasmatiques des hormones du stress et de l’immunité.

Une méta-analyse d’envergure, réalisée par Nilsson et coll. en 2008, a examiné 42 études qui ont mesuré les effets de la musique sur la douleur et l’anxiété (dans un contexte péri-opératoire mais qu’on peut facilement transposer aux urgences). L’analyse a révélé qu’environ la moitié des études faisaient état d’effets positifs significatifs. 11

Dans ce contexte, les études sur la musique dans les services d’urgence ont également montré des résultats positifs sur l’anxiété et le stress 12,13, sur la gestion de la douleur 13,14,15 et sur la réduction du stress dû au bruit.16


Des sutures aux scanners

En effet, des études ont montré que la musique peut réduire le recours aux antalgiques pendant la suture de plaies aux urgences en entraînant une diminution significative de la douleur.17 Par ailleurs, d’autres travaux ont montré que la musique réduisait de manière significative la douleur et l’anxiété pendant le changement des pansements des brûlés.18,19 En outre, la musique réduit l’anxiété des patients qui attendent les résultats d’examens complémentaires, ce qui est courant dans un service d’urgence.20

Si les études ont montré que la musique est une alternative à certains traitements, en particulier antalgiques, elle réduit aussi considérablement les coûts des procédures médicales telles que la réalisation des tomodensitométries (scanner).21 En effet, l’utilisation de la musique au cours de la réalisation des tomodensitométries pédiatriques permet de diminuer ou même d’éliminer le besoin de sédation et d’analgésie, voire d’anesthésie. Par ailleurs, elle permet de limiter le recours à une surveillance prolongée post-interventionnelle et les nuitées hospitalières.

En outre, elle permet un taux de réalisation de la procédure de 98%, une réduction de trois heures en temps paramédical péri-procédural, ainsi que des économies de l’ordre de 567 dollars par procédure. Ainsi, avec plus de quatre millions de scanners réalisés chaque année sur des enfants aux États-Unis, les économies potentielles réalisées en utilisant des musiciens pour cette seule procédure dépasseraient les 2,25 milliards de dollars annuels.21

Cependant, même si dans les services d’urgence et de réanimation, ces procédures sont bien plus souvent effectuées sur des adultes que sur des enfants, il est possible de considérer que la musique puisse apporter un bénéfice global lorsque ces examens sont réalisés dans ces environnements.



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Un critère de satisfaction pour les patients

Concernant les urgences, des études suggèrent que la musique peut avoir un effet positif sur la satisfaction des patients. Dans une méta-analyse basée sur une évaluation de la musique dans les services de médecine aiguë sur des critères composites, les auteurs retrouvent des effets favorables sur la perception et la manifestation de la symptomatologie de la douleur, sur l’anxiété mais aussi sur la satisfaction des patients.

Cette méta-analyse rapporte que, dans de nombreuses études, les patients étaient plus satisfaits de leurs prises en charge lorsque la musicothérapie était utilisée.22 Les auteurs concluent que le faible coût de la musique permet de l’envisager comme un facteur positif. Or, bien que peu d’études se concentrent spécifiquement sur la satisfaction des patients en tant que critère de mesure, des travaux plus récents sur la musique incluent la satisfaction en tant que critère qualitatif de prise en charge. Ceux-ci montrent que la musique possède des effets positifs et suggèrent la nécessité de poursuivre les recherches dans ce domaine.20,23


L’idéal ? la musique “live” !

Peu d'études se sont penchées sur l’impact spécifique de la musique musique “live”. La plupart des interventions ont recours à de la musique enregistrée, faisant appel notamment aux technologies des outils du web.24  Mais certaines recherches sont menées spécifiquement sur l’utilisation de la musique live comme traitement contre la douleur et l’anxiété. Malheureusement, peu d’entre elles ont pour l'instant été effectuées au sein de services d'urgence.25

Toutefois, un travail récent apporte des arguments forts pour l’utilisation de la musique “live” aux urgences dans le cadre d’un essai contrôlé randomisé.26 Dans cette étude, les compositions musicales originales réduisaient encore plus l’anxiété chez les patients des urgences. Malheureusement, à ce jour, il n'existe aucune autre étude randomisée de ce type comparant, dans un service d’urgence, la musique “live” à la musique enregistrée.


Des études à spectre étroit

La majorité de ces travaux portant sur les interventions musicales en milieu de soins se focalisent sur des résultats individuels, spécifiques à chaque patient. Il existe relativement peu de preuves associant la musique à l’amélioration de l’environnement global des soins, à des résultats clinico-biologiques plus globaux, à un impact médico-économique, ou encore à l’amélioration de la satisfaction des soignants qui travaillent pourtant dans des environnements très stressants.

Si la musique à toute sa place aux Urgences, elle joue aussi un rôle particulier dans nos véhicules SMUR.  

 
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Références :

1- Mangoulia P, Ouzounidou A. The Role of Music to Promote Relaxation in Intensive Care Unit Patients. Hosp Chronicles 2013;8(2):8-85
2- Thaut MH, Gardiner JC, Holmberg D, Horwitz J, Kent L, Andrews G, Donelan B, McIntosh GR. Neurologic music therapy improves executive function and emotional adjustment in traumatic brain injury rehabilitation. Ann N Y Acad Sci. 2009 Jul;1169:406-16.
3- Henry LL. Music therapy: a nursing intervention for the control of pain and anxiety in the ICU: a review of the research literature. Dimens Crit Care Nurs. 1995 Nov-Dec;14(6):295-304.
4- Whipple B, Glynn NJ. Quantification of the effects of listening to music as a noninvasive method of pain control. Sch Inq Nurs Pract. 1992 Spring;6(1):43-58; discussion 59-62.
5- Nilsson U, Rawal N, Unosson M. A comparison of intra-operative or postoperative exposure to music--a controlled trial of the effects on postoperative pain. Anaesthesia. 2003 Jul;58(7):699-703.
6- Good M. Effects of relaxation and music on postoperative pain: a review. J Adv Nurs. 1996 Nov;24(5):905-14.
7- Good M, Stanton-Hicks M, Grass JA, Anderson GC, Lai HL, Roykulcharoen V, Adler PA. Relaxation and music to reduce postsurgical pain. J Adv Nurs. 2001 Jan;33(2):208-15.
8- Mitchell LA, MacDonald RA. An experimental investigation of the effects of preferred and relaxing music listening on pain perception. J Music Ther. 2006 Winter;43(4):295-316.
9- Newman A, Boyd C, Meyers D, Bonanno L. Implementation of music as an anesthetic adjunct during monitored anesthesia care. J Perianesth Nurs. 2010 Dec;25(6):387-91.
10- Lee DW, Chan KW, Poon CM, Ko CW, Chan KH, Sin KS, Sze TS, Chan AC. Relaxation music decreases the dose of patient-controlled sedation during colonoscopy: a prospective randomized controlled trial. Gastrointest Endosc. 2002 Jan;55(1):33-6.
11- Nilsson U. The anxiety- and pain-reducing effects of music interventions: a systematic review. AORN J. 2008 Apr;87(4):780-807.
12-Holm L, Fitzmaurice L. Emergency department waiting room stress: can music or aromatherapy improve anxiety scores? Pediatr Emerg Care. 2008 Dec;24(12):836-8.
13- Mandel SE, Davis BA, Secic M. Patient Satisfaction and Benefits of Music Therapy Services to Manage Stress and Pain in the Hospital Emergency Department. J Music Ther. 2019 May 10;56(2):149-173.
14- Bauman BH, McManus JG Jr. Pediatric pain management in the emergency department. Emerg Med Clin North Am. 2005 May;23(2):393-414,ix.
15- Duroux C, Fainelli M, Dirhoussi Z, Le Joncour A, Bonier C, Zak C, Cornet R, Raynal PA, Yordanov Y, Thiebaud PC. Effect of music on pain and anxiety during wound closure in the emergency department. Acad Emerg Med. 2022 Jan;29(1):105-108.
16- Short AE, Ahern N, Holdgate A, Morris J, Sidhu B. Using music to reduce noise stress for patients in the emergency department: a pilot study. Music and Medicine 2010;2(4):201-207.
17- Menegazzi JJ, Paris PM, Kersteen CH, Flynn B, Trautman DE. A randomized, controlled trial of the use of music during laceration repair. Ann Emerg Med. 1991 Apr;20(4):348-50.
18- Tan X, Yowler CJ, Super DM, Fratianne RB. The efficacy of music therapy protocols for decreasing pain, anxiety, and muscle tension levels during burn dressing changes: a prospective randomized crossover trial. J Burn Care Res. 2010 Jul-Aug;31(4):590-7.
19- Son JT, Kim SH. [The effects of self-selected music on anxiety and pain during burn dressing changes]. Taehan Kanho Hakhoe Chi. 2006 Feb;36(1):159-68.
20- Chai PR, Schwartz E, Hasdianda MA, Azizoddin DR, Kikut A, Jambaulikar GD, Edwards RR, Boyer EW, Schreiber KL. A Brief Music App to Address Pain in the Emergency Department: Prospective Study. J Med Internet Res. 2020 May 20;22(5):e18537.
21- DeLoach Walworth D. Procedural-support music therapy in the healthcare setting: a cost-effectiveness analysis. J Pediatr Nurs. 2005 Aug;20(4):276-84.
22- Richards T, Johnson J, Sparks A, Emerson H. The effect of music therapy on patients' perception and manifestation of pain, anxiety, and patient satisfaction. Medsurg Nurs. 2007 Feb;16(1):7-14.
23- Dileo, C., Bradt, J. in Medical Music Therapy: Evidence-Based Principles and Practices. In: Söderback, I. (eds) International Handbook of Occupational Therapy Interventions. Springer, New York, NY. 2009.
24- Young S, Collins S. A View from the Trenches of Music 2.0. Popular Music and Society 2010 Mar;33(3):339-355.
25- Cepeda MS, Carr DB, Lau J, Alvarez H. Music for pain relief. Cochrane Database Syst Rev. 2006 Apr 19;(2):CD004843.
26- Weiland TJ, Jelinek GA, Macarow KE, Samartzis P, Brown DM, Grierson EM, Winter C. Original sound compositions reduce anxiety in emergency department patients: a randomised controlled trial. Med J Aust. 2011 Dec 19;195(11-12):694-8.