Urgences : quand la musique est bonne<br>(track one – La musique à bloc)

Premier opus de cette série dédiée au rapport entre musique(s) et médecine d'urgence.



Médecine aiguë et musique… Une longue histoire mais rarement évoquée et encore moins étudiée. La lecture d’un article récent m’a permis de m’interroger sur le rapport particulier que nous, urgentistes, avons à la musique. L’occasion, en somme, d’analyser la place qu’elle a dans notre pratique. Mais d’abord, retour sur cet article et petit détour par le bloc.  

Imaginez : vous êtes au bloc opératoire, un chirurgien penché sur votre carcasse. Là, vous vous dites qu’un silence de cathédrale améliore la concentration de celui ou celle qui manipule le scalpel, non ?

Erreur : certaines personnes sont perturbées par le silence et ne peuvent se concentrer qu’en présence d’un bruit ou une musique de fond. La preuve avec ces résultats d’une étude allemande récente1 : la vitesse et la précision des chirurgiens augmentent lorsque les riffs du morceau d’AC/DC Highway to Hell – le facteur interventionnel choisi – retentissent dans les salles d'opération (NB : pour les néophytes, Larousse nous apprend qu’un “riff” est « un court fragment mélodique de deux ou quatre mesures, répété rythmiquement pour accompagner une ligne mélodique »).


Jamais assez d’AC/DC

Selon les auteurs de cette étude, les hymnes rock tels que Highway to Hell et TNT d’AC/DC, joués à un volume élevé, ont permis à des internes en chirurgie s’exerçant à la chirurgie de précision d’améliorer leur dextérité.1

Par ailleurs, un rock plus doux – en l’occurrence les morceaux Hey Jude et Let It Be des Beatles – a également amélioré la précision et la vitesse au cours d’autres interventions chirurgicales, mais uniquement lorsqu’ils étaient joués à un volume moyen.

Dans cette étude, 30 internes en chirurgie de l’Université d’Heidelberg sans aucune expérience de la laparoscopie ont pratiqué quatre gestes d’entraînement, dans trois ambiances musicales différentes. Ces gestes étaient un transfert de matériels prothétiques, la préparation d’un ballon, une découpe anatomique de précision et une suture. Pendant qu’ils les effectuaient, les internes écoutaient soit rock “soft” (les Beatles), soit du rock un peu plus “hard” (AC/DC) soit… rien.  


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Pump Up The Volume

La musique était jouée à deux niveaux de volume, moyen et élevé. Les internes savaient qu’il y aurait des perturbations pendant ces sessions, mais n’en connaissaient pas la nature exacte. La qualité de chaque procédure chirurgicale a été évaluée à la fin selon trois facteurs : précision, vitesse de l’exécution et respect des critères de sécurité associés.

Selon les conclusions de cet article paru dans la revue Langenbeck Archives of Surgery, les résultats sont éloquents. En effet, lorsqu’ils écoutaient un morceau d’AC/DC à un volume élevé, les internes ont réduit le temps nécessaire pour effectuer une incision de précision, passant de 139 secondes (sans musique) à 114 secondes, soit une augmentation de 18% de la performance. En outre, leur précision n’a pas été compromise.


Petits bémols

Relevons quand même quelques facteurs de confusion de biais et de limites. 73% des participants ont admis qu’AC/DC est parmi leurs groupes de musique préférés, et que cette musique est souvent jouée à volume élevé. Il ne s’agissait donc pas d'une nouveauté pour ces internes.

Par ailleurs, les étudiants étaient également plus rapides pour réaliser une suture de 15cm lorsqu’ils écoutaient les Beatles, mais seulement si les morceaux étaient joués à un niveau moyen. En effet, cette influence positive disparaît si le rock “soft” est joué trop fort, probablement parce que la relaxation qu’il est censé procurer diminue avec l’augmentation du niveau sonore. On peut supposer qu’il faudrait donc diffuser chaque morceau de musique à un certain niveau sonore, pour lequel il est prévu.

Une autre limite soulevée par les auteurs concerne le niveau sonore en conditions réelles. Il pourrait varier en fonction du volume de la salle d’opération, du réglage des alarmes sonores (scopes…) et du nombre de protagonistes présents dans la salle.

Enfin, pour vérifier en conditions réelles ces résultats, il faudrait tenir compte des goûts musicaux de tout le personnel présent, et pas seulement du chirurgien car on peut envisager que si ces morceaux ne plaisent pas à l’ensemble de l’équipe, cela pourrait altérer la performance du chirurgien et/ou le travail des autres personnels présents au bloc opératoire (anesthésiste, IBODE, ...) et donc pourrait ralentir la procédure.

En effet, ces morceaux ont été choisis pour leur « popularité intemporelle » mais également pour refléter l’abandon de la musique classique comme seule expérience d’écoute des chirurgiens. En effet, dans le passé, seule la musique classique était prétendument associée à une meilleure concentration des chirurgiens, comparé au silence (pour les cinéphiles, je vous renvoie au rôle de Patrick Swayze dans le film La Cité de la Joie, de Roland Joffé).

Voilà pour les chirurgiens. Mais un point précis de cette étude parle à mon cœur d’urgentiste. La musique avec un tempo rapide (BPM> 100/min) semble pouvoir améliorer la vitesse de l’exécution du geste chirurgical. Or, dans le cadre de la médecine d’urgence, nous savons déjà que la chanson Staying Alive des Bee Gees fournit le bon tempo lors d’une réanimation cardio-pulmonaire et favorise la qualité de réalisation des compressions thoraciques du massage cardiaque externe.2 Mais la musique a-t-elle d’autres avantages dans ma pratique d’urgentiste ?

 
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Notes :
 1- Yang C, Möttig F, Weitz J, Reissfelder C, Mees ST. Effect of Genre and amplitude of music during laparoscopic surgery. Langenbecks Arch Surg. 2022 Mar 24. doi: 10.1007/s00423-022-02490-z. Epub ahead of print.
 2- Hafner JW, Sturgell JL, Matlock DL, Bockewitz EG, Barker LT. "Stayin' alive": a novel mental metronome to maintain compression rates in simulated cardiac arrests. J Emerg Med. 2012 Nov;43(5):e373-7.