Parcours d'un ancien : la réforme de l'internat vu par le Dr Bernard Maroy

Il y a quelques semaines, le Dr Bernard Kron nous livrait son regard sur la réforme des études de médecine. C'est aujourd'hui au tour du Dr Bernard Maroy de livrer sa vision sur la réforme de l'internat.

Il y a quelques semaines, le Dr Bernard Kron nous livrait son regard sur la réforme des études de médecine. C'est aujourd'hui au tour du Dr Bernard Maroy de livrer sa vision sur la réforme de l'internat.

           

Je suis consterné d’apprendre qu’une nouvelle réforme de l’Internat est en route.

La multiplicité des réformes successives sans analyse rigoureuse des buts ni évaluation des résultats des réformes précédentes entre dans le cadre de la diarrhée réglementaire à la française, selon le principe que tout changement est, ipso facto, un progrès.

Je constate que la dévalorisation progressive des fonctions, de l’externat au clinicat, débouche sur une chute de la motivation et de l’efficacité.

Comme les précédentes réformes, celle-ci méconnaît ce fait essentiel que pour bien apprendre, il faut être motivé, enthousiaste et avoir des responsabilités.

La médecine est avant tout une vocation

Si la médecine française a tant reculé depuis 50 et quelques années, c’est surtout du fait de la méconnaissance de ces vérités pédagogiques élémentaires au profit de fausses évidences trompeuses. Non ! On ne pratique pas mieux ce que l’on a rabâché !

Comme le disait déjà il y a quelques années Montaigne : « Éduquer, ce n’est pas remplir des vases : c’est allumer des feux. »

Qu’est devenu le feu sacré qui animait les collègues ?

Que se passe-t-il entre l’entrée dans les études médicales avec tant d’enthousiasme et la sortie de médecins qui ne se préoccupent que d’eux et non plus des patients, qui refusent d’aller là où ils peuvent être utiles, qui choisissent les spécialités avec le minimum de responsabilité et d’investissement personnel et ne font que le minimum leur permettant de bien vivre ?

Où est l’indispensable formation en Médecine Interne obtenue grâce à la circulation entre spécialités avant 1984 ? C’est pendant l’Externat puis l’Internat et leur préparation que l’on établissait les larges bases sur lesquelles on construirait plus tard sa pratique et, éventuellement, sa (ou ses) spécialités.

Où sont les Internes, respectés de tous, qui apportaient dans les services les connaissances qu’ils avaient acquises ailleurs ?

Ou encore faut-il incriminer la Propédeutique, qui, au lieu de sélectionner ceux qui seront capables de raisonner, pour ne pas remplir des vases percés, se fondait sur des problèmes de mécanique. Avec F = mγ et la conservation de l’énergie, on pouvait tout résoudre, à condition de savoir raisonner. Pourtant, l’effondrement du niveau du secondaire et du bac n’ont pas amélioré depuis la capacité de raisonnement des jeunes étudiants. Actuellement, cela semble être la capacité à ingurgiter plutôt qu’à digérer qui est la base de sélection.

J’ai pu constater récemment que, même au plus haut niveau, la capacité de raisonnement était actuellement suboptimale, pour parler poliment.

J’ai bien peur qu’au lieu de remplir les vases et d’entretenir les feux, on ait éteint les feux en les remplissant !

On a oublié toute méthodologie rationnelle. On a oublié ses buts (à supposer qu’ils aient été jamais explicités) en poursuivant des moyens qui ont été au rebours des buts qu’on aurait dû avoir. On a cédé aux fausses évidences en essayant de faire l’économie de raisonnements rigoureux. On a ainsi perdu ce qui faisait la valeur de la Médecine Française pour imiter ce qu’il y avait de moins bon ailleurs.

Et que l’on ne me dise pas que l’augmentation des connaissances ne permet plus que l’hyper spécialisation ! C’est le meilleur moyen de stériliser l’innovation qui passe par l’interfécondation de connaissances diverses, comme le disaient nos Grands Anciens, d’Héraclite à René Leriche, en passant par Claude Bernard.

Mon parcours d'étudiant médecin

Je me suis entassé, comme les autres, dans l’amphi Léon Binet rue des Sts Pères, pour écouter A.Delmas qui avait le don de rendre limpide la neuro-anatomie. Que l’on ne vienne pas me dire du mal des cours magistraux ! Ils ont une extraordinaire productivité... à condition qu’ils soient bien faits par des enseignants efficaces. S’ils ne le sont pas, ils doivent être dirigés sur une autre activité que l’enseignement.

J’ai été « étudiant hospitalier » en 1968, frustré de l’Externat que j’avais soigneusement préparé, mais j’ai eu de vraies fonctions d’externe avec enseignement et responsabilités, ce qui n’a, malheureusement, plus été le cas pour les suivants. Ceux-ci n’ont même pas eu l’enseignement des stagiaires de jadis qui écoutaient le rouf-poum-ta-ta ou palpaient la grosse vésicule (comme moi en première et en seconde année).

Je suis passé par des stages en chirurgie digestive, avec gardes de porte, puis en pneumo puis en ORL, puis en médecine interne puis j’ai fait fonction d’interne au « désencombrement » : 62 malades à voir en 4 heures (plus les nécropsies si instructives), aidé de mes condisciples « étudiants hospitaliers » alors très actifs. Il faut bien gagner sa vie... Ce n’était pas l’avis de mon patron qui ne m’a pas dit qu’il ne me reprenait pas : 6 mois en pédiatrie, très utiles, mais en serrant la ceinture (passé de 1.500 f à 300 f/m).

Je n’ai jamais pensé qu’il fallait sacrifier les cours de fac au succès à l’Internat, car mon but était de bien me former et non d’être interne, ce qui n’était qu’un moyen. Comme beaucoup, j’ai fait des gardes d’« externe de réa » pour apprendre les « gestes qui sauvent » et j’ai suivi des conférences. Bien sûr, je connaissais moins bien les westerns spaghettis que mes condisciples !

J’ai eu la chance immense de tomber dès les conférences d’externat sur Bernard Fraysse, homme remarquable, extraordinaire enseignant, victime de son courage (heureusement après ma nomination...), tant il est vrai que le don et la volonté de transmettre sont inappréciables.

Et la vie professionnelle commence

J’ai été nommé correctement à Paris au premier concours. J’ai commencé par un remplacement en campagne profonde lequel m’a passionné, mais vampirisé (24 h/24, 6,5 j/7), si bien que j’ai renoncé à ce genre de pratique, au-dessus de mes capacités de dévouement (et de celles de ma femme).

 J’ai ensuite fait des stages de 6 mois en pneumo, gastro avant de partir en coopération puis 3 mois de réa hémorragies digestives, puis gastro, rhumato, endocrino, hépato, radio et médecine interne.

Après un clinicat en radio digestive, si importante à l’époque pour faire de la gastro de ville, je me suis installé en province dont j’avais découvert les avantages grâce à ma femme à qui j’avais imposé Paris pendant 6 longues années.

En effet, la raideur de mon échine et le spectacle du gaspillage à l’AP-HP (à l’époque ??), ainsi que des remplacements m’ont montré que la pratique de ville était préférable pour moi, en particulier du fait la relation assis-assis plutôt que debout-couché qui permet un meilleur relationnel et un suivi plus prolongé des patients.

J’ai eu la surprise de constater que mon associé pouvait encore m’apprendre beaucoup sur la radio digestive dans laquelle je me voyais un Maître. Il a également bouché mes lacunes, dont la proctologie médicale et chirurgicale que je ne connaissais que très peu (mon attaché le Dr X vous fera cela très bien...). Je me suis perfectionné en endoscopie que je connaissais mal, car c’étaient les CES qui la réalisaient pendant que les internes faisaient leur visite.

Grâce à une collègue malhonnête (j’espère que cela lui a réussi), j’avais bénéficié de l’initiation en alcoologie par mon CCA en endocrino. Découverte ! Ce ne sont pas de sales types sales, ennemis de l’interne de garde (eh oui ! Responsable à l’époque de tout l’hôpital et des urgences à partir de 18 h et le week-end) qui dissimulent sournoisement une maladie organique derrière leur ivresse, mais des individus comme les autres qui ont besoin d’être aidés et, si possible, soignés.

J’ai ouvert le Centre d’Hygiène Alimentaire (euphémisme judicieux dont la rigueur administrative a fait justice depuis) et me suis très vite aperçu (merci les conférences de B.Fraysse) que la dépression était au centre de la problématique des patients que je voyais. En effet, dans ces temps obscurs, la psychiatrie faisait partie de la médecine et la psychogenèse n’avait pas encore (à retardement par rapport à la mort de la psychanalyse) étouffé les données objectives. J’ai développé en quelques années une séméiologie somatique en même temps qu’un algorithme thérapeutique efficace. Ceci m’a permis ensuite de rattacher à la dépression (une et indivisible) de nombreuses manifestations psy supposées indépendantes et de nombreuses manifestations corporelles fonctionnelles, telles les troubles digestifs ou organo-fonctionnelles tel le psoriasis. L’association statistique aux critères psy couramment admis et la disparition grâce à un traitement efficace, apportaient une démonstration rigoureuse. Malheur ! Rien n’est plus terrible que de vouloir modifier les dogmes, surtout si l’on apporte la preuve de leur caractère obsolète.

Parallèlement, j’ai fait de la recherche clinique, de plus en plus difficile en raison des obstacles réglementaires, une bonne centaine d’articles quand même.

J’ai fait pratiqué une gastro de haut niveau dans toutes les sous-spécialités, tant clinique qu’instrumentales non pas en dépit de ma formation pluridisciplinaire, mais grâce à elle, aidé par un actif EPU personnel.

J’ai eu la joie de transmettre à mes associés et dans la littérature. Malheureusement, je n’ai pas pu avoir d’interne en stage pour passer le relais, conformément à la tradition hippocratique et à la méthodologie, non plus qu’à un successeur d’ailleurs.

En conclusion, vieux con je suis, vieux con je reste (encore un certain temps) en affirmant que la médecine française est en décadence et j’ai l’impression qu’ont dû avoir les Romains du 4e et les Byzantins du 14e siècle.

Rien n’est perdu, toutefois, à condition de penser avant d’agir.