L’Intelligence artificielle face au diabète : le pancréas enfin hacké ?

Équilibrer la glycémie : un impératif très contraignant pour les personnes diabétiques, un casse-tête pour les médecins. Les pompes à insuline reliées à des capteurs sont une belle avancée, mais nécessitent encore des interventions humaines. Les algorithmes pourront-ils libérer les patients, en ajustant les doses d'insuline de manière totalement autonome ?



Joris Galland est spécialiste en médecine interne. Après avoir exercé à l'hôpital Lariboisière (AP-HP) il a rejoint le CH de Bourg-en-Bresse. Passionné de nouvelles technologies, il se propose dans notre blog «Connexion(s)» de nous en expliquer les enjeux. 



9h. Comme tous les matins, j’assiste aux transmissions. J’ai de la chance aujourd’hui, les infirmières m’expliquent que tous les patients vont «plutôt bien». Pourtant, je m’aperçois – une fois de plus – que les glycémies du matin des patients diabétiques ne sont pas équilibrées ! On a beau être interniste, cardiologue, chirurgien, généraliste… L’équilibre glycémique chez le patient diabétique est un problème récurrent, complexe… et agaçant. 

Monsieur A., chez qui j’ai augmenté la dose d’insuline lente hier soir était en hypoglycémie ce matin. Madame V., qui pourtant en a des doses «de cheval» est toujours en hyperglycémie ce matin. Sa voisine aussi : elle est en hyperglycémie depuis que j’ai baissé l’insuline rapide à cause de ses hypoglycémies… C’est à s’arracher les cheveux ! Le pire, c’est que ces histoires de glycémies prolongent l’hospitalisation, ce qui n'est plaisant ni pour le patient ni pour les finances de l'hôpital. 

Lorsque j’étais médecin à l’hôpital Lariboisière, c’était plus simple. Il y avait Jean-Philippe. Les diabétologues étant tous au même étage, il me suffisait d’un petit café avec Jean-Philippe pour avoir ses précieux conseils sur l’adaptation des traitements. C’est plus difficile, ici, à Bourg-en-Bresse : je ne me vois pas appeler toutes les cinq minutes les endocrinologues à l’autre bout de l’hôpital – et l’hôpital est très grand. Alors j’ai fait ce que je sais faire de mieux : à défaut de Jean-Philippe j’ai recherché une solution dans les nouvelles technologies.



Des mesures dynamiques pour un meilleur contrôle de la glycémie 

L’équilibre glycémique, tel qu’il est enseigné à la faculté de médecine, repose sur la mesure de la glycémie capillaire trois fois par jour. En fonction de ces trois résultats – et en tenant compte d’autres paramètres comme l’alimentation – une dose d’insuline est prescrite. Au vu des technologies actuelles, je trouve ce procédé complètement archaïque : ces mesures sont «statiques», invasives, douloureuses et sans doute peu représentatives de la glycémie réelle sur 24h. Pourtant, tout repose sur elles !

Heureusement, de nouvelles technologies permettent désormais de prendre des mesures en continu, de manière non ou peu invasives, en tous cas non douloureuses. Dans un précédent article, je vous ai déjà parlé des montres connectées, capables de prendre la mesure en continu. Vous me voyez venir ? Des mesures de glycémies = des datas = des IA (intelligences artificielles). 

Si une IA est capable de battre un cerveau humain au jeu de Go, elle pourrait très bien battre un pancréas – organe particulièrement pauvre en neurones et de pensées ou d’algorithmes. C’est ce qui est sur le point d’être accompli avec le pancréas artificiel. La 1ère fois que j’en ai entendu parler, je m’imaginais un petit organe électronique implanté dans l’abdomen du patient, qui remplacerait le pancréas en prenant des mesures dynamiques de la glycémie puis en délivrant les bonnes doses d’insuline grâce à un algorithme. Après m’être penché sur le sujet, j’ai compris qu’il ne s’agissait pas de «greffer» un «pancréas robot». Par contre, sur le fonctionnement de ce pancréas artificiel, j’étais dans le vrai.  



Fermer la boucle 

L’arrivée des premiers pancréas artificiels date des années 2000. Les patients portaient sur eux un capteur (le moniteur glycémique) capable de mesurer plus de trois fois par jour, et sans piqûre, la glycémie interstitielle. En fonction des données qui lui étaient communiquées, le patient activait la pompe à insuline (qu’il portait également sur lui) et décidait lui-même des doses à injecter. On appelait ce pancréas artificiel un circuit «ouvert», puisque la pompe à insuline était ouverte sur les décisions du patient. Le dispositif, bien que novateur, n’était pas tellement révolutionnaire car la décision concernant les doses d’insuline restait dépendante du patient. 

Cette boucle de commande se «ferme» progressivement. Les pompes à insuline se miniturisent, des montres à glycémies peuvent jouer le rôle de moniteurs. Le circuit a d’abord été «semi-fermé», l’injection d’insuline devenant automatique en fonction des mesures du glucose interstitiel effectuées toutes les cinq minutes. Ce système interrompt la pompe en cas de risque d’hypoglycémie, et le patient peut à tout moment «reprendre la main», c’est-à-dire suspendre le logiciel. Inconvénient : un circuit «semi-fermé» ne dispense pas le patient d'effectuer des glycémies capillaires, soit pour calibrer le dispositif (deux fois par jour…) soit pour confirmer une hypoglycémie détectée.  

Depuis 2011, les avancées de l’intelligence artificielle ont permis de fermer un peu plus la boucle de commande. Des IA peuvent contrôler l’équilibre glycémique, via une application sur un smartphone connectée à la pompe/capteur par Bluetooth. Le calcul des doses à délivrer est réactualisé en permanence et plus fin, car l’algorithme prend en compte les cycles glycémiques passés et l’alimentation du patient. Au début, celui-ci renseigne le système sur l’apport glucidique de ses repas standard. 1 Autre intérêt, le patient n’est plus obligé de réagir en permanence à des alarmes et de prendre des décisions.  

Le dispositifs DBLG1 2 a été testé en conditions réelles versus un système «ouvert».Les analyses faites sur douze semaines montrent qu’avec le système fermé utilisant une IA la glycémie du patient reste plus longtemps (10 à 15% de temps en plus, soit plus de deux heures par jour) dans la cible thérapeutique (70 - 180 mg/dL).3 Autre avantage, la mesure continue du glucose interstitiel permet de connaître la tendance hebdomadaire. Ce qui permet au patient et à son médecin d’affiner le profil glycémique.    



Les IA, trop seules en tête ? 

Si la technologie est là, la boucle n’est pourtant pas encore totalement «fermée». Certains diabétologues préfèrent parler de systèmes «hybrides» car le patient doit encore informer le système lorsqu’un repas ou une activité physique commencent. D’ailleurs, une inconnue demeure : quid du rôle des émotions ? Nous savons qu’un pic de stress peut avoir – ce n’est pas systématique – un effet hyperglycémiant immédiat. L’IA sera-t-elle capable de réagir vite à un événement par nature imprévisible ? Ou bien faudra-t-il là aussi une intervention humaine ?   

Les IA progressent à grands pas, mais ce sont des facteurs humains qui brident encore l’essor des nouvelles technologies dans le domaine de la diabétologie. Pas si simple de confier son équilibre glycémique à un algorithme, surtout si l’on n’est pas familier des nouvelles technologies ! Rassurer sur la sécurité du système, expliquer comment l'exploiter au mieux… L'éducation thérapeutique sera donc la clé – comme souvent avec des patients diabétiques.  

Autre frein, les contraintes liées aux pompes à insuline, encombrantes ou bien à l’autonomie réduite (trois jours pour une pompe de type «patch»). Mais si le matériel ne demande qu’à être miniaturisé et optimisé, les algorithmes eux sont là ! Le pancréas, hacké par l’IA ? 

Loin des pompes à insuline, des applications sont déjà utilisées en routine pour aider les patients à gérer leur insuline. Toujours sur la base de l’apprentissage profond (deep learning), ces applications utilisent une IA pour aider le patient à choisir la meilleure dose. L’application Diabilive calcule la bonne dose d’insuline en se basant sur les anciennes mesures. Elle garde en mémoire les données, afin de les compiler pour le diabétologue. La technologie au service du suivi des patients !



Les rétinopathies dans l'oeil de l'IA

Enfin, je ne pouvais pas terminer cet article sans évoquer l’algorithme iDX-DR. Cette IA est capable de lire les fonds d’oeil des patients, sans aide humaine. La rétinopathie diabétique,  complication fréquente et grave des diabètes insuffisamment équilibrés, peut conduire jusqu’à la cécité complète du patient. Or tout le monde sait qu’il est parfois long et fastidieux d’obtenir un rendez-vous avec un ophtalmologiste (même si cette situation semble s’améliorer)... 

Le dépistage des rétinopathies diabétique est une urgence, et les USA l’ont bien compris. La Food and Drug Administration a approuvé en 2018 l’utilisation d’iDX-DR. Une première concernant un système d'intelligence artificielle à visée diagnostique. En pratique, les patients n’ont plus besoin de consulter un ophtalmologiste : ils se rendent dans des cabinets ou des cabines équipés d’un ophtalmoscope et de cet algorithme.

L’IA est capable de reconnaître les signes de rétinopathie sur une photo de fond d’oeil avec une précision de plus de 90%. Si l’IA estime que le résultat est normal, le patient peut rentrer chez lui, et revenir l’année suivante. Sinon, il est envoyé directement chez un ophtalmologiste. Un gain de temps pour le patient et pour le professionnel de santé, sans compter les enjeux financiers. 



Jean-Philippe vs. IA

Pour bien équilibrer un diabète, je vois deux solutions. Prendre son café avec Jean-Philippe, ou miser sur l’IA pour hacker le pancréas. J’invite les associations de patients diabétiques à soutenir les start-up qui se lancent dans ce formidable défi : remplacer un pancréas défectueux par des algorithmes de plus en plus précis et pertinents, pour rendre la qualité de vie d’un diabétique aussi agréable qu’elle devrait l’être.



Notes :
1- Fédération française des diabétiques – «Traitement innovant du diabète : à la recherche du « pancréas artificiel»
2- Conçu par la société Diabeloop
3- Pierre-Yves Benhamou, Sylvia Franc, Yves Reznik, Charles Thivolet, et al. (Diabeloop WP7 investigators).
Closed-loop insulin delivery in adults with type 1 diabetes in real-life conditions: a 12-week multicentre, open-label randomised controlled crossover trial – Lancet Digital Health 2019; 1: e17–25



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