Gaz lacrymogène, balles en caoutchouc : aux USA, un urgentiste alerte sur les risques

Responsable des urgences d'Oklahoma City et de Tulsa, Jeffrey M.Goodloe informe la population des risques liés aux armes «sub-létales» utilisées par les forces de l'ordre. Gaz lacrymogène, balles en caoutchouc... Quels effets, quelle conduite à tenir ?

Jeffrey M.Goodloe est Professeur de médecine d’urgence et membre du bureau de l’American College of Emergency Physicians. Il est le responsable des services des Urgences d'Oklahoma City et de Tulsa, les deux plus grandes villes de l’État de l’Oklahoma.

Dans le contexte des fortes tensions sociales qui secouent les États-Unis, il s'est adressé à l’ensemble des professionnels des Urgences de son secteur, plus de 4.000 personnes, pour évoquer le racisme (cf «Le racisme est toujours une erreur»). 

Aux États-Unis, les forces de l'ordre utilisent notamment du gaz lacrymogène et des balles en caoutchouc. Jeffrey M.Goodloe a profité de deux interviews pour mettre en garde la population et expliquer la conduite à tenir. Il fait appel à sa propre expérience. Il nous a autorisé à traduire ses propos, et nous a apporté quelques précisions. 


Le gaz lacrymogène

Jeffrey Goodloe connait très bien les effets du gaz lacrymogène, comme il nous l’a expliqué : «J’ai suivi une session de formation sur les gaz lacrymogènes car j’interviens avec les équipes de maintien de l'ordre lors d'incidents à haut risque, comme des prises d’otages. Je voulais absolument savoir comment je réagirai. Durant cette session, j’ai été enfermé dans une pièce remplie d'une forte dose  de gaz lacrymogène. Je ne portais pas de masque. Je peux vous dire que ce fut l'une des expériences les plus désagréables de ma vie.»

Lors d’une interview au Kansas City Star 1, Jeffrey Goodloe s’est servi de cette expérience pour mettre en garde les manifestants. «Ce que peu de gens savent, c'est qu'environ 10 % de la population, pour une raison quelconque, n’est pas sensible aux gaz lacrymogènes. C'est juste une question de génétique. Ces personnes pourraient se baigner dans des gaz lacrymogènes sans avoir le moindre symptôme. Moi, je fais partie des 90%. En un instant je ne pouvais plus parler ni respirer. Les larmes sont venues aussitôt, comme avec des oignons. Le nez coule aussi beaucoup. Ce n'est pas juste quelques gouttes, non, la morve n’arrête plus de couler. Et puis il y a la brûlure dans la bouche.

Un asthmatique sait ce qu'on ressent, malheureusement, lorsque les poumons sont irrités et que les voies respiratoires commencent à avoir des spasmes. Techniquement, on appelle cela un bronchospasme. C'est très désagréable car on a l'impression de ne pas respirer facilement, quel faut forcer pour faire entrer et sortir l’air.

La durée des effets dépend de la dose de gaz que la personne a reçue. À quelle distance de la cartouche de gaz lacrymogène se trouvait-elle ? Combien de temps est-elle restée à proximité immédiate ? Cela dépend essentiellement de la dose. En général, les effets disparaissent en 15 à 30 minutes, c’est parfois plus rapide si la personne remarque la présence du gaz et sort de la zone immédiatement.


Mise en garde

Je suis un fervent partisan du droit des gens à se rassembler pacifiquement et à s’exprimer, donc je ne veux décourager personne. Mais si j'étais personnellement asthmatique ou atteint d'un autre type de maladie respiratoire chronique, comme une BPCO, je serais très prudent en me rendant à une manifestation si j’estime qu’elle peut finir avec du gaz lacrymogène. Recevoir une dose de ce gaz pourrait déclencher une crise d'asthme grave. Je pense donc qu'une mise en garde est importante pour toute personne souffrant de ce type de maladies.»

Pour sa part, en présence de gaz lacrymogène Jeffrey Goodloe ressent des difficultés respiratoires immédiates. «Quand il va être utilisé, j'enfile un masque à gaz pour être efficace au moment de dispenser les soins d’urgence.»


Les balles en caoutchouc

Ces projectiles sont dits «à impact cinétique». Il peut s’agir de sphères en caoutchouc ou de balles en métal recouvertes de caoutchouc. Les balles en caoutchouc sont tirées à partir d’armes standard ou spécifiques, comme des lanceurs de balles de défense.

Que ressent-on ? Que faire si l’on est touché ou pour assister quelqu’un ?
Dans une autre interview 2, Jeffrey Goodloe détaille les effets de ces armes «sub-létales» (ce terme tend à remplacer celui de «non-létales»).


Tirées vers le sol. Ou pas

«Les balles en caoutchouc sont destinées à être tirées d'abord vers le sol, avant de toucher une personne. Elles sont réellement conçues pour être tirées par ricochet, en direction d'une zone non critique : le haut de la jambe, la cuisse ou la zone autour de la hanche.

Si ce projectile a une tête émoussée - s’il ressemble plus à un bouchon de caoutchouc qu'à une balle pointue - et est tiré de la manière et à la distance prévues, alors il empêchera temporairement la personne atteinte de bouger. Mais toute modification des variables - forme de la balle, distance parcourue, angle de tir - peut entrainer des complications dangereuses.

Si la balle touche la partie antérieure du cou, elle peut causer des blessures importantes par écrasement des voies respiratoires. Si l'impact est au niveau de la poitrine, on peut craindre une blessure plus profonde à la poitrine, comme une côte cassée ou un poumon lésé. Si la balle touche le visage, on redoute des blessures permanentes à l’oeil, qui compromettent la vision. Des hémorragies internes et lésions des organes sont aussi possibles.


Conduite à tenir

Si vous êtes atteint, il y a deux choses à faire : prévenir les personnes autour de vous que les forces de l'ordre utilisent des balles en caoutchouc, puis consulter un médecin.

Si vous voyez une personne touchée à la tête par une balle en caoutchouc, vérifiez si elle est semble confuse ou si elle agit normalement. Demandez-lui en quelle mois et année nous sommes, quel mois nous sommes, ou le nom du président. Si elle a reçu une balle au visage ou au cou, vérifiez qu’elle respire bien. Ces projectiles ne provoquent généralement pas de plaies ouvertes, mais cela peut arriver donc vérifiez s'il y a des saignements. Si c'est le cas, appliquez une pression directe. En cas de saignement abondant, avec du sang rouge vif qui jaillit, la pression doit être plus forte et on peut même devoir utiliser un garrot.

Lorsqu’une personne atteinte par une balle en caoutchouc peut marcher, mettez-la à l'abri. Ce sera plus facile et plus sûr pour les services de secours de la prendre en charge hors de  la foule. Aidez-la à marcher si besoin, en faisant appel à d’autres personnes. Déterminez ensuite si vous devez appeler le 911 en fonction de son état, de son niveau de conscience surtout. Appelez le 911 vous-même si possible, sinon faites-vous aider. Plutôt que de crier  " Quelqu'un doit appeler le 911 ", désignez quelqu’un, regardez-le, montrez-le du doigt et dites " J'ai besoin que VOUS appeliez le 911 et j'ai besoin d'une ambulance ".

Les gens doivent absolument savoir qu'il faut appeler le 911 et avoir recours aux services de secours qui sont sur place. Eux savent quel hôpital dispose des service spécialisés dont vous pouvez avoir besoins pour une blessure à l’oeil, à la gorge, etc.

Je suis médecin. Notre rôle est de prendre soin de tout le monde. Nous ne sommes pas là pour juger quelqu’un, jamais. Notre travail consiste à évaluer les blessures et déterminer comment les soigner au mieux. Cela fait partie du serment que tout médecin prête. Nous voulons être un lieu où les personnes sont en sécurité, comme un refuge.»


Sources :
1-https://www.kansascity.com/news/local/article243172426.html
2- https://www.menshealth.com/health/a32742472/rubber-bullets-effects