Allemagne : ces rares femmes médecins dans les médias

En Allemagne, deux femmes virologues font désormais partie du paysage médiatique. Si la pandémie leur a donné l'occasion de faire valoir leur expertise, ce n'est pas le cas, loin de là, pour une immense majorité des médecins allemandes. Pendant la première vague, leurs voix fut particulièrement rares dans les médias.



Le 8 mars est depuis 2019 un jour férié à Berlin. La ville, qui est aussi l'un des seize länder allemand, ne bénéficiait jusqu’alors que de neuf jours fériés par an, bien loin des treize jours fériés de la Bavière. Il fallait réduire l’écart ; le 8 mars a finalement été préféré au 9 novembre, jour de la chute du Mur en 1989, ou encore au 31 octobre, anniversaire de la Réforme luthérienne. Plutôt que l’histoire ou la religion, Berlin a donc choisi de célébrer la journée des droits des femmes. Aucun des autres länder n’a pour l'instant imité cette initiative. Sans surprise, les femmes médecins se heurtent en Allemagne au même plafond de verre qu'en France [lire à ce sujet Être femme et médecin, en Allemagne et en France].



Deux voix qui portent 

Février 2020. À l'hôpital universitaire de Francfort la professeure de virologie Sandra Ciesek et son équipe testent 126 allemands rapatriés de Wuhan. Deux d’entre eux s’avèrent positifs au SARS-CoV2, dont un qui n’aura jamais de symptômes. La découverte est capitale : ainsi, des personnes asymptomatiques peuvent être porteuses et donc transmettre le virus à leur insu. L'autre enseignement de ces travaux, c'est qu'un prélèvement de gorge est suffisant pour détecter le virus. Nul besoin d'un échantillon provenant des voies respiratoires profondes.

Les résultats de l'étude, publiés dans le New England Journal of Medicine1 , ont permis à Sandra Ciesek d'être reconnueen tant qu'experte Covid-19. Depuis septembre, elle  anime en alternance avec son confrère Christian Drosten le podcast Coronavirus-Update: Der Podcast mit Drosten & Ciesek, diffusé sur la radio publique NDR.

Juin 2020. Le plus grand abattoir d’Europe, où sont abattus en moyenne 20.000 animaux par jour, devient un gigantesque cluster. Sur les 6.700 employés de l'entreprise Tönnies, située au nord-est de Dortmund, 1.413 sont testés positifs. 650.000 habitants de la région sont confinés pendant une à deux semaines. Melanie Brinkmann, professeure de virologie et spécialiste jusqu’alors des herpèsvirus mène une enquête au sein de l’abattoir. Les résultats2 montrent que la transmission a commencé en mai, lorsqu’un employé a contaminé ses collègues pour certains situés à plus de huit mètres. La contamination principale a eu lieu dans la zone de transformation de l'usine : l'air refroidi à dix degrés, le manque de ventilation et le travail physique ont favorisé la transmission. 

Si la professeure Brinkmann est connue en Allemagne, c'est aussi pour son engagement contre la désinformation, qu’elle qualifie de «plus mortelle que le virus lui-même». Elle fait partie des quatre médecins allemands, avec Christian Drosten, qui ont signé la lettre ouverte publiée le 7 mai 2020 dans le New York Times pour appeler les responsables de Google, Facebook et Twitter à accentuer la lutte contre les fake news. Cette lettre signée par une centaine d’experts dans le monde précisait que «pour sauver des vies et rétablir la confiance dans les soins de santé basés sur la science, les géants de la technologie doivent cesser d'alimenter les mensonges, les distorsions et les fantasmes qui nous menacent tous».

Dans une interview au Spiegel en juin 2020, Melanie Brinkmann alertait aussi sur le mirage de l’immunité de groupe : «Il faudrait plusieurs années pour mettre en place une immunité de groupe suffisante. Nous ne savons toujours pas combien de temps cette immunité acquise naturellement peut nous protéger. De plus, nous avons encore un long chemin à parcourir avant de comprendre pleinement les séquelles potentielles chez les personnes qui ont survécu à la Covid-19». 

Ces deux expertes ont trouvé leur place dans le paysage médiatique allemand. Mais lorsqu’on évoque la pandémie, les trois noms qui viennent à l’esprit sont plutôt ceux de l'incontournable Christian Drosten et des ses confrères virologues Alexander Kekulé et Hendrik Streeck. Puisqu'il est difficile de trouver un indicateur fiable de la notoriété, amusons-nous à comparer le nombre de personnes qui suivent ces expert.e.s sur Twitter : Drosten a près de 700.000 followers, le Pr Streek 107.000 et le Pr Kekulé 80.000. Quant à Sandra Ciesek et Melanie Brinckmann, elles les talonnent avec respectivement 77.000 et 50.000 abonnés.       



La partie immergée de l’iceberg

42% des virologues, épidémiologistes et microbiologistes allemands sont des femmes. Tout comme 47% des médecins allemands, d'ailleurs, toutes spécialités confondues. Mais leur place dans les médias, au moins durant la première vague, fut très minoritaire voire... dérisoire.

Des chercheurs de Rostock et de Stockholm ont analysé 3 la proportion de femmes visibles dans les médias allemands entre le 16 et le 30 avril 2020. Ils ont scruté les contenus des 174 programmes d'information diffusés à la télévision, après 18 heures, sur les principales chaînes. Les résultats sont édifiants.

Au total, tous sujets confondus, il y eut dans les médias pendant cette période quatre experts pour une experte. C’est dans les domaines de l'éducation (45%) et des affaires sociales (31%) que les femmes ont été le plus souvent consultées. À noter également : concernant les thématiques relatives à la pandémie traitées dans ces émissions (politique, l'économie, affaires sociales, médecine), la question des violences faites aux femmes dans le contexte du confinement n’a été abordée qu'une seule fois.

Même topo dans la presse écrite. Quasiment 80.000 articles publiés dans treize médias imprimés ont été passés au crible. Parmi l'ensemble des personnes citées dans les articles relatifs à la pandémie – chercheurs, médecins, etc. –,  30% étaient des femmes. Les «experts» désignés comme tels étaient des hommes à 93%

À mesure que la pandémie progressait, les femmes médecins sont toutefois devenues plus visibles dans les médias. Jena Husemann, médecin généraliste, veut y voir un signe encourageant. Elle estime dans un podcast du Ärzte Zeitung que c'est notamment «parce que les femmes se sont mises en avant et ont pointé du doigt ce déséquilibre».  



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Notes :
1- Evidence of SARS-CoV-2 Infection in Returning Travelers from Wuhan, China
N Engl J Med 2020; 382:1278-1280 – DOI: 10.1056/NEJMc2001899
2- SARS-CoV-2 outbreak in meat processing plant: Transmissions took place over long distances in air-conditioned work area
EMBO Mol Med.
2020 Dec 7; 12(12): e13296 – Published online 2020 Oct 27. doi: 10.15252/emmm.202013296
3- Universität Rostock (mai 2020) – Geschlechterverteilung in der Corona-Berichterstattung:Frauen sind die wahren Heldinnen in der Krise – erzählen uns Männer