Coronavirus : «Je ne serai pas en première ligne»<br>(Arnaud Depil-Duval)

Revenu d’un voyage à Venise, le Dr Depil-Duval est considéré comme potentiellement contaminé par le coronavirus. Il s'apprête pourtant à reprendre son travail. Explications sur les mesures prises, et témoignage d'un médecin urgentiste aguerri sur la crise actuelle.

Revenu le 26 février d’un voyage d’agrément à Venise, le Dr Depil-Duval est considéré comme potentiellement contaminé par le coronavirus, même si le risque est faible (2 cas recensés à Venise au 25 février). Il nous explique de quelle manière il s'apprête à reprendre son travail, et livre son ressenti de médecin urgentiste aguerri sur la crise actuelle.

- Mise à jour :  4 mars 2020, 10h -

Compte-tenu des recommandations en vigueur, le docteur Depil-Duval a comme prévu repris son service ce matin. Rappelons qu'il ne présente aucun signe d'infection. 
Il applique toutes les précautions requises, dont le rasage de barbe (indispensable pour ajuster un masque FFP2 s'il devait être au contact de personnes contaminées).     

 

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Masque chirurgical (pour protéger l'entourage), solution hydro-alcoolique, rasé de près...
Bon pour le service ! 
 

Alors, ces vacances ?

Particulières. Le Carnaval de Venise a été écourté, les musées et salles de concert étaient fermés, donc je me suis contenté de me promener, de prendre des cappuccino avec des bussolai et de savourer des fegato di vitello dans d’excellents restaurants complètement désertés. Le Café Florian, le plus célèbre de la ville, était quasiment vide, tout comme la place Saint-Marc.

Avez-vous observé là-bas une inquiétude particulière ?

Je suis arrivé le dimanche 23 février, le jour où des villes de Lombardie ont été mises en quarantaine. Mais les Vénitiens sont restés très calmes. Leur principal souci, c’était la baisse de l’activité économique. Par contre, les rares touristes...

D’abord, il y a cette histoire de masques. Beaucoup de personnes en portent, mais soit ce ne sont pas les bons, soit ils sont mal mis donc inefficaces. Au retour, dans l’avion, j’ai expliqué à une dame que son masque chirurgical ne la protégeait absolument pas d’une contamination. Elle était ahurie. Quant à ceux qui portent des masques FFP2, censés les protéger,  ils ne savent pas les mettre. Vu que ce n’est pas très confortable, ils ne mettent pas les élastiques du bas. Donc ça ne sert à rien. Idem pour tous ceux qui portent une barbe, même naissante. Je vais devoir raser la mienne, d'ailleurs. 

Mais le plus choquant, c’était le racisme anti-asiatiques. Les touristes qui en croisaient faisaient un écart de deux mètres. C’est affligeant. À Paris, un interne d’origine asiatique plaisantait en me disant : «C’est pratique, je rentre dans le RER, je tousse, j’ai plein de places assises…» Les asiatiques se baladent facilement avec un masque, dès qu'ils ont le moindre virus, pour ne pas contaminer les autres. Cet esprit de préservation de la communauté, nous devrions nous en inspirer. 

Vous avez eu des contrôles pendant le voyage ?

Rien au départ de Paris, mais un contrôle de température à l’arrivée à l’aéroport de Venise. Et rien au retour.

Vous êtes potentiellement infecté par le coronavirus, qu’allez-vous faire ?

Respecter les consignes du ministère de la Santé, tout simplement : restreindre mes déplacements, porter un masque à l’extérieur, ne pas serrer la main, etc. Ma fille ira au lycée avec un masque elle-aussi, si c’est accepté.

Vous reprenez votre travail aux urgences mercredi. Cela peut sembler inquiétant…

Tout est prévu. La direction de l’hôpital avait rappelé les consignes du ministère à tous les employés. Je l’ai informée que je revenais d’une zone considérée comme à risque, et nous avons réorganisé mon travail. Le but, c’est de limiter au maximum les contacts avec les patients et les collègues. Mes tâches administratives et réunions se feront par télétravail et visioconférences.

À l’hôpital, je serai en charge de l’Unité d'hospitalisation de courte durée (UHCD). Cela veut dire que je ne serai pas en première ligne. Je verrai des patients dont on a déjà fait le bilan, dont on sait notamment s’ils sont immunodéprimés. Si c’est le cas, c’est un collègue qui s’en occupera.

De toutes manières je resterai au maximum dans un bureau, d’où je superviserai les deux internes. Je ne serai que très peu au contact de patients, et j’aurai en permanence un masque chirurgical, des gants, etc. Si je dois voir un patient potentiellement infecté par le coronavirus, je mettrai un masque FFP2 sans clapet. C’est un modèle qui protège l’utilisateur et les personnes autour. Pour mes repas, je les prendrai seul. Évidemment, en cas de fièvre, je serai retiré du service. Tout est prévu.    

Craignez-vous que l’épidémie déborde le service ?

Pas vraiment. Le plus problématique, c’est toujours quand on doit faire face au début de la psychose. On a vu des personnes qui venaient aux urgences parce qu'elles ont mangé dans un restaurant chinois, ou reçu un colis de Chine. Ça, ça nous parasite, c’est chronophage. Maintenant il y a un médecin «circuit ultra-court» pour aider les infirmières sur la zone de tri. C’est plus de la réassurance que de la médecine.

Après, quand les patients affluent, on sait gérer. Passer 15 minutes avec un patient en détresse respiratoire, ça m’épuise moins que 15 minutes avec un gars qui panique parce qu’il sort d’un restau. Presque tous les ans on fait face à une crise ou une menace : grippe porcine, SRAS, H1N1, Ebola, etc. On est rodés. Après quelques semaines, plus personne n’en parle. Ebola fait encore des ravages en Afrique, mais qui s’en soucie ?

Cette crise, pour l’instant c’est un pic infectieux. Si ça dure, ce sera plus embêtant, mais en Chine l’épidémie est déjà en phase de plateau. Si le virus ne mute pas, ça devrait aller.

Quel est votre avis sur la chloroquine ?

Pour l’instant, si ça fonctionne, c’est uniquement in vitro. Pourtant les gens se sont jetés dessus, en achetant de la Nivaquine. Nous, les urgentistes, on est sûrs d’une chose : l'ingestion massive de chloroquine, c'est mortel. Ça crée des troubles du rythme. Si un enfant en bas âge en ingère quelque comprimés, c'est fini. Les gens ont beaucoup mieux à faire que d’en stocker.

Que diriez-vous aux Français.e.s qui paniquent ?

Pas de stress. Il y a tant de choses plus dangereuses, comme faire de la trottinette à Paris. Avant d’acheter un masque à prix d’or, renseignez-vous sur les modèles… Et attention aux fake news, aux  infos parcellaires. Les informations gouvernementales sont déjà largement assez précautionneuses.

J’ai aussi très envie de leur dire : «La grippe, elle tue beaucoup plus, et c’est tous les ans, vaccinez-vous !» Bon sang, je ne comprends pas que le vaccin ne soit pas obligatoire, au moins chez les soignants. Je lutte avec les paramédicaux pour les convaincre. Même pas un tiers d'entre eux est vacciné... Il est là le vrai principe de précaution : des vaccins, et porter un masque quand on est malade.  

Les responsables politiques en font-ils trop ?

Ils sont sous pression. Ils ont toujours peur d'être accusés de ne pas en avoir fait assez. C’est le «syndrome Mattéi». L’été 2003, j’étais interne, et je pensais faire un stage tranquille en gériatrie. L’année de la fameuse canicule... Le ministre de la Santé de l’époque, Jean-François Mattéi, s’est fait descendre à cause d’une interview donnée depuis sa maison de vacances. Mais il est où le problème ? Ça aurait changé quoi qu’il accourt à Paris pour faire le show ? Comme s’il ne pouvait pas gérer efficacement la crise à distance.

Les innovations numériques sont-elles une solution face aux épidémies ?

Si à Roissy vous mettez des portiques qui détectent systématiquement la température des arrivants et que vous imposez un questionnaire médical aux personnes fébriles, ça réduira le risque de répandre certaines pathologies. C’est un peu Big brother, mais c’est efficace.

À une autre échelle, il existe maintenant des applications qui donnent les constantes (température, fréquence cardiaque, tension artérielle, saturation en oxygène) avec un simple smartphone. Si tous les patients qui arrivent aux urgences avaient ça, on gagnerait un temps fou.

Les technologies sont prêtes, mais pas les médecins. On sélectionne encore les futurs médecins sur leur capacité à mémoriser les symptômes de maladies rarissimes, mais en sortant de l’université ils ne sont pas capables de se servir d’un échographe. Cet appareil, il permet un diagnostic hyper-rapide, par exemple pour des calculs, et il dispense de faire certains examens. En plus ça rassure les patients, qui peuvent voir ce qu’ils ont. Il y a une fracture numérique chez les médecins aussi, entre les passionnés de nouvelle technologies et certains qui rechignent, mais ça avance.   

- Mise à jour : 28 février, 13h10 -

Les personnels de l’AP-HP viennent de recevoir de la Direction Générale de l'AP-HP une nouvelle conduite à tenir. En voici un extrait :
« Jusqu’à la semaine dernière les recommandations nationales concernant les personnes de retour des zones d’exposition à risques concernaient la Chine continentale, avec application des mesures d’éviction professionnelle pour une durée de 14 jours.
Depuis lundi 24 février 2020, ces recommandations ont évolué avec l’extension des zones d’exposition à risques, notamment à l’Italie du Nord. 
Les recommandations nationales, mises en œuvre à l’AP-HP à compter de ce jour, sont d’appliquer l’éviction professionnelle pour une durée de 14 jours pour les agents de retour des zones d’exposition à risques, comptabilisée depuis leur date de retour. Elles devraient être précisées par le haut comité de santé publique dont l’avis devrait être rendu sous 24 ou 48 heures, pour tenir compte des difficultés rencontrées. 
En attendant cet avis, nous considérons qu’il peut être admis, après analyse par les services d’hygiène hospitalière et dans le cas d’agents non symptomatiques, de mettre en œuvre au cas par cas, comme alternative à l’éviction professionnelle, l’application stricte des précautions d’hygiène, avec port du masque et réalisation régulière de la friction hydro-alcoolique, en fonction de la typologie de patients pris en charge ou du type d’activités réalisées.
Ces recommandations sont susceptibles d’évoluer rapidement et une actualisation des consignes sera alors mise en œuvre.»

   
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D'autres masques.

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Pas l'ombre d'un chat.


Le Dr Depil-Duval, urgentiste à l’hôpital Lariboisière (Paris), anime notre blog «Urgences» et collabore activement à celui dédié aux innovations. Dans son établissement, il est référent «Innovations numériques» et «Qualité de vie au travail». Il est également médecin réserviste au sein du Service de santé des Armées. Nous l'avions déjà interviewé à propos des «salles de siestes» aux urgences pour les personnels de nuit : Arnaud Depil-Duval - Marchand de sable. 



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