Conserver l'insuline à température ambiante, en Afrique : c'est possible

Faute de réfrigérateur pour conserver leur insuline, les personnes diabétiques vivant dans certaines régions chaudes doivent chaque jour se rendre à l’hôpital pour recevoir leur injection. C'est notamment le cas en Afrique dans des camps de réfugiés. À la demande de MSF des chercheurs ont évalué la stabilité de l'insuline lorsqu'un flacon entamé est conservé à température ambiante.



«Ils vont pouvoir reprendre le contrôle de leur vie. Dans les pays riches la question ne se pose même pas, il est tout à fait normal pour les personnes atteintes de diabète de s'injecter leur insuline. Mais dans les pays à faible revenus, seule la moitié des personnes nécessitant de l'insuline y ont accès» constate Philippa Boulle, conseillère de Médecins Sans Frontières. En cause : le prix élevé de l’insuline, les protocoles de traitements complexes et les difficultés de conservation (à ce sujet, lire aussi USA : à la poursuite de l'insuline low cost).

Dans certaines régions chaudes du monde – notamment en Afrique subsaharienne – les personnes diabétiques ne disposent pas toutes d’un réfrigérateur. Elles doivent chaque jour se rendre à l’hôpital, généralement deux fois, pour recevoir leur injection d'insuline. Cette situation est plus difficile encore dans les camps de réfugiés ; les couvre-feux sont fréquents, empêchant les patients de se déplacer le soir donc de recevoir leur injection.


Pour quelques degrés de plus

Dagahaley est l’un des trois camps de réfugiés qui composent le complexe de Dadaab, au Kenya. Ouvert en 1991 pour abriter les personnes qui fuyaient la guerre civile en Somalie, Dadaab a vu son effectif grossir rapidement en 2011, en raison de la famine dans le sud de ce même pays. Longtemps le plus grand camp de réfugiés du monde – avec près de 500.000 personnes en 2012 – Dadaab accueillait officiellement 220.000 personnes en 2020. Des personnes vivent depuis trente ans dans ce camp, menacé à deux reprises de fermeture par le gouvernement kenyan en réaction à des attaques terroristes.

À Dagahaley, Médecins Sans Frontières dispose d’un hôpital de cent lits. Alarmée de constater l’augmentation des complications liées au diabète, MSF a demandé à des chercheurs suisses d’étudier la stabilité de l’insuline lorsqu'elle est soumise à des températures telles que celles relevées dans le camp. «Le protocole pharmaceutique actuel exige que les flacons d’insuline soient conservés en permanence entre 2° et 8°C jusqu’à leur ouverture, suivant scrupuleusement la chaîne du froid, après quoi l’insuline humaine – la plus utilisée dans les pays à faibles revenus – peut être conservée jusqu’à 25°C durant quatre semaines» précise Mme Boulle.

Quatre semaines, c’est la durée d’utilisation d’un flacon ouvert. L’étude en question s’est donc attachée à tester le stockage de l’insuline en conditions réelles, c’est-à-dire sur cette durée et à des températures comprises entre 25°C et 37°C. Les résultats sont probants : l’efficacité et la quantité d’insuline utilisable ne sont pas altérées. 


Une étude en condition réelles

Les chercheurs ont reproduit en laboratoire les conditions d’une maison d’un camp de réfugiés situé au nord du Kenya, où la température oscille entre 25°C la nuit et 37°C la journée. «Nous avons effectué des mesures durant quatre semaines, une fois sur des flacons d’insuline conservés à température ambiante de l’Afrique subsaharienne et une fois sur des flacons d’insuline “contrôle” conservés au froid» explique Leonardo Scapozza, professeur en sciences pharmaceutiques à l’Université de Genève. 

En utilisant la méthode de la chromatographie en phase liquide à haute performance, les chercheurs ont analysé la protéine d’insuline. «Le risque est que sous l’effet de la chaleur la protéine d’insuline précipite» précise le chercheur. Auquel cas il n’est évidemment plus possible de l’injecter. 

Les résultats de l’étude montrent que toutes les préparations d’insuline conservées à température ambiante oscillante avaient enregistré une perte ne dépassant pas 1%, tout comme celles conservées au froid durant les quatre semaines réglementaires. Bien en dessous des 5% tolérés par la législation sur les préparations pharmaceutiques. 

Les chercheurs ont également constaté que l’activité de l’insuline demeurait totalement intacte. Ils ont testé des protéines d’insuline sur des cellules et comparé leur réaction avec de l’insuline volontairement désactivée. «Nous avons étudié des flacons d’insuline venus directement du camp de Dagahaley avec toujours le même constat, l’insuline était parfaitement utilisable» précise Leonardo Scapozza.


Les compagnies pharmaceutiques suivront-elles ?

Un tel changement de la gestion du diabète éviterait aux personnes diabétiques des zones concernées de devoir se rendre chaque jour à l'hôpital. Dans les camps, cette forte contrainte fragilise encore plus des réfugiés aux conditions de vies précaires, par exemple en les empêchant de travailler. MSF souhaite donc que les compagnies pharmaceutiques adaptent leurs recommandations et que soit approuvée par l’OMS une déclaration de consensus sur l’utilisation domestique de l’insuline à des températures chaudes en l’absence de réfrigération.

L’insuline pourrait alors être transportée et conservée au domicile des personnes diabétiques dans des conteneurs réfrigérants fabriqués sur place. Ce bouleversement «devra être accompagné d’un programme d’éducation, de soutien et de suivi, afin que les personnes diabétiques soient aptes à mesurer leur taux de glycémie et à s’injecter la bonne quantité d’insuline» insiste Philippa Boulle. 



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Références :
MSF - Réfugiés de Dadaab au Kenya : enfermés et oubliés, ils lancent un appel à la dignité
UNIGE (Université de Genève ) - Communiqué de presse : Stocker son insuline à des températures élevées, c’est possible !