En Espagne, forte recrudescence des agressions de soignants

En Espagne, la liste des agressions de soignants devient vertigineuse. Ce problème déjà bien connu s'est aggravé avec la pandémie. Les médecins sont la cible d'individus qui n'acceptent pas les contraintes liées à la pandémie. Vigiles, application reliée aux forces de l'ordre... Toutes les pistes sont explorées.

 Le 3 juin 2020, à Pozoblanco (80 km au nord de Cordoue, Andalousie), un médecin reçoit plusieurs coups de poing d'un patient. Celui-ci vient d'apprendre que les consultations sans rendez-vous ne sont plus possibles en raison du contexte d'alerte sanitaire. Le praticien est hospitalisé avec des lésions de la cloison nasale. Le même jour, près de Pampelune, à l’autre bout de l'Espagne, des individus qui accompagnent une patiente se plaignant de douleur abdominale agressent l’équipe de garde. Les soignants ont voulu leur interdire l'accès car ils ne portent pas de masques et sont trop nombreux au vu des nouvelles normes sanitaires. L'infirmier et le médecin sont victimes de violences verbales puis physiques, qui nécessitent l'intervention de la Guardia Civil.


Une sombre litanie

Non loin de là, à Burbaguena, une médecin généraliste et l’infirmière qui l’accompagnait avaient été menacées avec un pistolet le 18 mai, lors d'une visite à domicile. L’agresseur a actionné l’arme, qui s'est avérée être une replique. Son motif : il avait attendu trop longtemps. Idem le 29 mai, près de Malaga. L’équipe d’un centre de santé est attaquée par un homme ; il estime que les soignants mettent trop de temps pour partir en visite à domicile chez un proche. Cette liste de violences n’en finit pas. Le 16 juin, agression d’un médecin, au cutter, dans un centre de santé ; il est hospitalisé pour la section de plusieurs tendons d'une main et des blessures au thorax. À Saragosse, le 30 juin, une médecin généraliste est menacée avec un couteau. L’agresseur exigeait de connaître les résultats biologiques d'un autre patient. Par manque d'effectifs la police ne s'est pas déplacée. Agression d’une médecin encore le 3 août, près de Santander. En Andalousie, un infirmier est menacé avec un couteau le 13. Dans la province de Valladolid, un centre de santé est dévasté le 16 août quand le médecin décide de stopper les consultations pour partir sur une urgence.

En Espagne la violence envers les soignants fait partie du quotidien. Le problème n'est pas nouveau : depuis 2010 l’Organización Médica Colegial (OMC - équivalent du Cnom) organise le 14 mars la Journée contre les agressions envers les preofessionnels de santé. L’OMC a aussi créé un observatoire spécifique, qui recence 3.919 agressions sur la période 2010-2018. Premières victimes, les femmes  (59%). Depuis la modification du Code Pénal espagnol en 2015 les agressions envers les soignants sont considérées comme des atteintes à personnes dépositaires de l'autorité. Les auteurs encourent à ce titre jusqu'à 4 ans de prison [les médecins généralistes exercent majoritairement dans des centres de santé et sont fonctionnaires. Cf. La médecine générale espagnole mieux armée contre le Covid]. Mais cette mesure n'a pas endigué les violences.


La pandémie a soufflé sur les braises

La pandémie n’a rien arrangé, bien au contraire. Les principaux contextes de ces agressions - les arrêts de travail et les délais d'attente pour accéder aux soins - sont devenus encore plus problématiques avec la crise sanitaire. «Les mesures de sécurité sanitaire sont en train de provoquer une gêne, une incompréhension et des plaintes des patients qui dérivent souvent et se transforment en agressions verbales et physiques» expliquait en août le syndicat de médecins CESM CV. Ce syndicat réclamait la présence de vigiles dans tous les centres de santé. Un rapport du ministère de l’Intérieur attribuait lui aussi à la pandémie la hausse du nombre d’agressions (446 entre janvier et août 2020, versus 490 pour toute l’année 2018). Quasiment deux agressions recensées par jour.

L'application AlertCops existe depuis 2014. Elle permet aux espagnols de signaler discrètement un délit aux forces de l’ordre avec envoi d’images, de son et de la géolocalisation. Les vols, violences, harcèlement scolaire, agressions racistes, antisémites ou liées au genre sont notamment répertoriés. Le 7 avril, en raison de la recrudescence des tensions générées par la crise sanitaire, une fonctionnalité spécifique réservée aux soignants a été ajoutée. Il leur suffit de presser cinq fois le bouton SOS de l’application pour avertir la brigade la plus proche. Quatre mois plus tard, plus de 600 soignants étaient inscrits.

La violence envers les soignants se répand aussi sur les réseaux sociaux. Menaces et insultes pleuvent de la part de patients mécontents: «Il faut tuer tous ces voyous (…) Une bande de personnages qui se font appeler médecins mais qui n'ont aucune vocation et ne sont que des incompétents» écrivait cet été sur Twitter un usager du centre de santé Las Lagunas, à Malaga. Réponse d’un autre tweeto : «On va s'organiser et aller les lyncher». Cette violence provient notamment de mouvements qui nient l’existence de la pandémie. L'anesthésiste Elena Casado Pineda [Cf. Espagne : «Que les gens sortent avec nous dans la rue» ]en a fait les frais. Elle a révélé la campagne de harcèlement dont elle a été la cible : insultes, menaces de mort et diffusion sur les réseaux sociaux de ses coordonnées. Son crime ? S'être exprimée dans les médias.


Dr Juan Manuel Calvo Mangas
 

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Références :
CGCOM Estudio Agresiones 2018
Delito de atentado contra la autoridad
Syndicat CESM CV: Agresiones a médicos de familia y pediatras por el covid
Alertcorps: 621 profesionales sanitarios se dan de alta en 4 meses