Dopage : les cheveux des athlètes volent à leur secours (Pascal Kintz)

L'analyse capillaire permet de démêler le vrai du faux dans certains cas de dopage supposé. Interview du Pr Kintz.



Le professeur Pascal Kintz  est un expert en toxicologie mondialement reconnu, notamment grâce à sa pratique des analyses des cheveux. ll est expert judiciaire auprès de la Cour d’Appel de Colmar et expert agréé par l’Agence française de lutte anti-dopage pour les analyses de contrôle. 
Pascal Kintz dirige le cabinet privé X-Pertise Consulting, qui effectue des expertises dans les domaines judiciaire (affaires Alègre, Fourniret, etc.), «historique» (empoisonnement de Napoléon), politique (empoisonnement du président ukrainien Viktor Iouchtchenko) et sportif (dopage). Il a récemment suggéré que la trimétazidine (Vastarel®) soit supprimée de la liste des produits interdits par l’Agence mondiale antidopage, un élément clé dans l'affaire du lutteur français Zelimkhan Khadjiev



Professeur Kintz, pourquoi l'analyse capillaire est-elle en plein essor chez les athlètes ? 

L’analyse des cheveux est une technique fréquemment utilisée en toxicologie pour détecter des drogues, des produits pharmaceutiques ou encore des contaminants environnementaux. En médecine légale, cette technique est reconnue depuis 1995. Elle était à l’origine utilisée dans des affaires de meurtres ou de viols sous influence. Désormais, certains pays ne restituent un permis de conduire suspendu que sur présentation des résultats d’une analyse capillaire prouvant que le conducteur n’a pas consommé récemment de cannabis ou de cocaïne.

Dans mon laboratoire, nous appliquons cette technique médico-légale dans plusieurs domaines, dont celui du dopage. Les sportifs contrôlés positifs y ont recours pour étayer leur défense. Ils viennent surtout de pays anglo-saxons, où le système judiciaire repose sur le contradictoire. C’est à l’accusé que revient la charge de la preuve, c’est à lui de montrer qu’il est innocent. 

Si l'athlète prouve qu’il a été contaminé accidentellement par un produit, et s’il peut en prouver l’origine, alors les instances antidopages prononcent un «no fault» et il n’y a pas de sanction. Or une analyse capillaire ne coûte que deux à trois mille euros, un montant faible comparé aux honoraires d’un avocat. Pour défendre le cycliste Christopher Froome [blanchi par l’Agence mondiale antidopage après avoir été contrôlé positif au salbutamol en 2017], son équipe et ses sponsors ont déboursé 7.5 millions d’euros. C’est impensable pour des athlètes anonymes ou de moindre envergure.

La première fois que j’ai utilisé cette technique à la demande d’un sportif, c’était en 1997. Le judoka Djamel Bouras, champion olympique, a été contrôlé positif à la nandrolone, un stéroïde anabolisant. Il y a eu une controverse scientifique sur le fait qu’il puisse en produire naturellement. Pour ma part, je n’ai pas retrouvé de nandrolone dans ses cheveux. La sanction initiale – deux ans de suspension – a été réduite à quinze mois. Mais c’est depuis l’affaire Gasquet, en 2009, que la technique de l’analyse capillaire est vraiment reconnue par le Tribunal Arbitral du Sport (TAS). 

Depuis, la demande a explosé. Des analyses de ce type, j’en réalise désormais une dizaine par mois. Très peu de laboratoires dans le monde sont capables de les faire, et encore moins savent détecter la présence des SARMs [Les Selective Androgen Receptor Modulator sont des agents anabolisants, comme le ligandrol ou l’ostarine]. Or ce sont surtout ces substances qui sont recherchées. 

Nous pouvons aussi détecter les diurétiques utilisés pour masquer la prise d’un produit dopant. Ils favorisent l’élimination urinaire de ce produit, souvent un anabolisant, ou augmentent la rétention sanguine, ce qui fait baisser la concentration urinaire. Certaines hormones, l’EPO ou encore des facteurs de croissance sont indétectables dans les cheveux. Ces molécules sont trop grosses pour passer des capillaires aux follicules. Si l’on détecte la présence de diurétiques, cela peut indiquer une tentative de masquage. Sinon, c’est un élément à décharge pour l’athlète.    

 

Quand cet examen est-il pertinent ? 

L’analyse capillaire est précieuse quand l’analyse d’urines ne montre quasiment rien – soit parce que la quantité de substance dans l’organisme est faible, soit parce que sa consommation est ancienne – mais surtout quand la concentration mesurée est ininterprétable. Dans ces cas limites, l’analyse des cheveux peut trancher. Chaque centimètre de cheveux représente ce qui a circulé dans le corps pendant le mois correspondant : si on y retrouve clairement la substance, cela signe une consommation chronique et ancienne, donc renforce l’hypothèse d’un dopage. S’il n’y a rien dans les cheveux, c’est la piste de la contamination accidentelle qui est étayée.

Comment un athlète peut-il avoir involontairement une substance dopante dans son organisme ? Deux scénarios sont possibles. D’abord, il a pu ingérer le produit à son insu. Des substances dopantes ont déjà été retrouvées dans de la viande ou du dentifrice. Idem avec certains diurétiques qui sont prohibés par les instances antidopages car ils «masquent» la prise de produits dopants. On peut retrouver des traces de ces diurétiques dans des médicaments qui eux sont autorisés. Deuxième scénario : l’athlète s’est involontairement imprégné d’un produit interdit, soit au contact d’une personne qui en consommait régulièrement – on parle alors de contamination «croisée» – soit parce qu’il a été exposé à une contamination «environnementale».  

Plusieurs athlètes victimes de contamination croisée ont été blanchis grâce à l’analyse capillaire. Citons le champion du monde de saut à la perche Shawnacy Barber – qui a ainsi pu participer in extremis aux JO de 2016 après avoir été soupçonné de dopage à la cocaïne – ou encore Laurence Vincent-Lapointe, onze fois championne du monde de canoë, dont l’analyse d’urines avait révélé la présence de ligandrol, un SARM. 

Très récemment, trois athlètes féminines ayant présenté un résultat urinaire anormal ont obtenu un «no fault». Elles avaient une très faible concentration de la substance ou de ses métabolites dans les urines et une analyse capillaire négative. Elles ont aussi pu prouver que leurs partenaires avaient consommé la substance incriminée, ce que nous avons confirmé en analysant leurs cheveux. Dans toutes ces affaires, l’analyse capillaire a permis d’étayer l’hypothèse d’une contamination croisée. 

 

Qu’est-ce que la «sex defense» ?

Typiquement, la contamination croisée se produit lors d'échanges intimes. Les juristes anglo-saxons ont donc baptisé cette ligne de défense «the kissing defense» ou «sex defense». L’affaire Gasquet est à ce titre emblématique. 

En 2009, le tennisman français a été contrôlé positif à la benzoylecgonine, le principal métabolite de la cocaïne. Il a nié toute ingestion intentionnelle. Par contre, il avait embrassé à plusieurs reprises une consommatrice de cocaïne quelques heures avant le contrôle.

Nous avons analysé huit segments de ses cheveux, chacun mesurant 0,5 cm, depuis la racine jusqu’à la pointe. Nous n'avons pas retrouvé de cocaïne, quel que soit le segment étudié, ce qui signifiait que l’intéressé n'était pas un consommateur habituel. Ce résultat négatif n’invalidait pas celui de l’analyse urinaire, mais indiquait simplement une exposition à la cocaïne très faible.

Dans deux études précédentes, j’avais montré que l’on peut détecter une dose de 15mg de cocaïne dans les cheveux, mais pas une dose de 4mg. L'athlète avait donc consommé ou été en contact avec une dose très faible, inférieure à 15mg, sans effet sur les performances. Par ailleurs, d’après l’analyse d’urines, la consommation de cocaïne remontait à environ douze heures avant le contrôle, et correspondait plutôt à une dose de 2-3mg. Cette quantité est très faible puisqu’une «ligne» classique est de l’ordre de 50 à 100mg de cocaïne. L'hypothèse d’une contamination accidentelle a été retenue par les juges et Gasquet a reçu une sanction minimale. 



Qu’est-ce qu’une contamination «environnementale» ?  

La contamination croisée nécessite un contact entre l’athlète et une tierce personne. Mais une contamination peut également survenir en cas d’exposition passive au produit. Dans une affaire récente, c’est un autre tennisman qui a été «sauvé» par l’analyse capillaire. 

Luciano Tacchi, 18 ans, a lui aussi été contrôlé positif à la cocaïne. Nous avons analysé une mèche de ses cheveux quatre mois après le contrôle urinaire. Chaque segment contenait de faibles concentrations de cocaïne, avec une augmentation linéaire de la racine à la pointe. Ce schéma a été considéré comme très révélateur d'une contamination externe, les cheveux les plus âgés étant plus concentrés en raison d'un contact plus long avec une zone contaminée. 

Des études ont déjà montré que l’on peut retrouver de la cocaïne dans les cheveux des conjoints et des enfants vivant avec des consommateurs de cocaïne, parfois à des niveaux supérieurs à ceux trouvés dans les cheveux des consommateurs. Des ongles provenant des orteils de Luciano Tacchi ont aussi été testés. Le résultat fut négatif. Par contre, l’analyse d’une solution de lavage de ces ongles s’est révélée positive, preuve d’une possible contamination «environnementale».

Afin de confirmer cette hypothèse, l'avocat du joueur a demandé un test capillaire de la tante du joueur, chez laquelle il avait séjourné et qui hébergeait aussi un consommateur régulier de cocaïne. Les cheveux de la tante présentaient des taux de concentration identiques à ceux du sportif. La Fédération Internationale de Tennis a accepté cette explication et le joueur a bénéficié d’un «no fault».



Quelles sont les limites de l’analyse capillaire ? 

Pour faire une analyse capillaire, encore faut-il que le sportif ait des cheveux. Ce n’est pas toujours le cas. Les poils peuvent aussi être analysés, mais en raison de leur croissance irrégulière il n'est pas possible de réaliser des analyses segmentaires. Par ailleurs, la fenêtre de détection diffère de celle des cheveux, et chaque localisation anatomique a des spécificités. En dernier recours, nous analysons les ongles. Là aussi, le taux de fixation des substances varie entre les mains et les pieds.  

La couleur des cheveux est un élément important. Le taux d'incorporation dans les cheveux blonds est plus faible qu’avec des cheveux foncés, le rapport allant de un à cinq. Nous devons en tenir compte. Autre facteur à intégrer dans l’analyse, les traitements cosmétiques. Ils «ouvrent» les écailles des cheveux, accentuant les dommages causés par les UV, l'eau et la pollution sur la cuticule. Les produits chimiques utilisés pour ces traitements – décolorations, teintures, etc. – sont généralement des bases fortes : elles diminuent la concentration des substances recherchées jusqu’à 50%. Même des shampoings de type Ultra Clean® peuvent abaisser cette concentration. Si un athlète se teint les cheveux, ce qui est fréquent, nous devons recourir à l’analyse des poils ou des ongles. 

Les limites majeures de l’analyse capillaire sont liées aux substances dopantes elles-mêmes. L'absence de détection des hormones, par exemple. Quant aux agents anabolisants – stéroïdes, glucocorticoïdes et SARMs – ils s'incorporent mal dans les cheveux. Or d’après l’Agence mondiale antidopage ces substances sont les plus utilisées [en 2017, elles représentaient 44% des cas de dopage1]. Par contre, les athlètes les utilisent souvent au long cours. Nous recherchons donc non pas le métabolite le plus important, mais ceux qui ont la fenêtre de détection la plus longue après l’administration.

Enfin, si certains produits sont prohibés en permanence – notamment les anabolisants – d’autres comme le cannabis ou la cocaïne ne sont interdits que pendant la compétition. Or le taux de croissance des cheveux n’est pas une donnée suffisamment fiable pour que l’on puisse affirmer que la consommation du produit a eu lieu au moment de la compétition. 

 

L’analyse capillaire peut-elle devenir une technique de contrôle antidopage ? 

L'Agence mondiale antidopage et le Comité international olympique y sont, pour le moment, totalement opposés. Leur position est assez dogmatique : seules les analyses d’urines et de sang font foi. Cela pourrait changer. D’abord parce que les instances juridiques des fédérations sportives et le TAS reconnaissent désormais la validité de l’analyse capillaire, utilisée pour documenter rétrospectivement le profil de consommation. Ensuite parce que cette technique pourrait permettre une approche plus fine de la lutte antidopage, en étant combinée avec d’autres résultats de laboratoire, l’anamnèse et les données de pharmacologie. 



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Propos recueillis par Benoît Blanquart



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Notes :
1- L’AMA estimait en 2016 que la prévalence du dopage chez les athlètes, au niveau mondial, se situait entre 10 et 30%.
En 2014, la fréquence des contrôles positifs n’était que de 1,4 % (1,2 % pour la France d’après l’Agence Française de Lutte contre le Dopage).