Médipôle Lyon-Villeurbanne : une structure mixte qui ouvre des horizons

Anne-Cécile Paepegaey a quitté les promesses et les impasses d'un CHU pour intégrer un médipôle mixte où l'innovation est de mise. Les valeurs d'un Espic, la souplesse d'une structure privée à but lucratif... Le cocktail gagnant ?




Margot Smirdec est médecin anesthésiste-réanimatrice. Lydwine Vaillant, experte en innovation organisationnelle dans le domaine de la santé, est l'autrice de l'ouvrage « Réinventons le secteur de la santé. Ils l’ont fait, découvrez leurs clés ! ».1 Ensemble, elles nous proposent dans ce blog «Co-organisation(s)» de découvrir des organisations en santé innovantes. Qui sont-elles ? Pourquoi ce blog ? Vous trouverez les réponses ici.

Inspirée par les hôpitaux magnétiques et convaincue de l’efficacité de la démarche participative, j’avais besoin de trouver un établissement de santé dont l’organisation intègre ces initiatives, un lieu qui incarne mes espoirs de transformation organisationnelle. Anne-Cécile Paepegaey, une amie de longue date, est médecin endocrinologue. Elle m’a proposé de visiter l’établissement où elle exerce et d’en rencontrer le directeur médical, Yves Mataix, médecin gériatre. Bienvenue au Médipôle Hôpital Mutualiste (MHM). 



Yves, quelle est la spécificité du Médipôle Hôpital Mutualiste ?

Le MHM commence par un projet un peu fou initié par l’ARS : créer un hôpital d’envergure associant un Établissement de santé privé d’Intérêt collectif (Espic) et une structure privée à but lucratif. C’est ainsi qu’est né le Médipôle Lyon-Villeurbanne, alliance du MHM –  qui fait partie d’un réseau de santé mutualiste – et du Médipôle Hôpital Privé (MHP), qui appartient à un grand groupe d'hospitalisation privée. Le MHP s’occupe de la chirurgie, le MHM prend en charge les urgences, la médecine, les unités transversales et la rééducation. 

Ce modèle de cohabitation est rare en France. Après  deux ans et demi d’existence, nous pouvons dire qu’il fonctionne. Le bilan est positif, que ce soit en termes de projets innovants, de qualité des soins ou de résultats financiers. Notre objectif commun est que le patient soit le grand gagnant de cette alliance inédite, qu’il bénéficie du meilleur de chaque structure : les valeurs qui sous-tendent un établissement avec une mission de service public – notamment l’accueil de tout patient – et la souplesse d’organisation d’un établissement privé. Pour cela, nous devons au quotidien questionner notre fonctionnement collectif. Ne pas «craindre» l’autre structure, ne pas céder à la tentation d’un repli sur soi. 



Anne-Cécile, tu étais intéressée par une carrière universitaire, tu as publié dans des revues de haut rang, tu t'intéresses à des pathologies rares et complexes… Pourquoi avoir quitté un service renommé de l’APHP ? Qu’as-tu trouvé au MHM que tu n’avais pas dans un CHU parisien ?

J’aimais l’idée de travailler dans un service dit «d’excellence» mais je rencontrais dans cet hôpital parisien trop de difficultés éthiques dans l’exercice de mon métier. J’avais parfois l’impression d’être maltraitante avec les patients. Nous souffrions régulièrement d’un manque de moyens. Comment soigner quand, l’hiver, il n’y a pas assez de couvertures pour tous les patients, et que l’été une chambre sur deux seulement est climatisée ? Comment soigner quand tu dois attendre quinze jours pour obtenir un scanner demandé en urgence ?

La pression liée à l’efficience économique était tue, taboue, mais elle était bien là. Je me souviens de ce matin où on m'avait  demandé d’avoir un taux d’occupation des lits de 100% dans le service. Le soir même je devais libérer des lits d’aval pour les patients des urgences. À ce moment-là  je me suis dis que ça n’allait plus, que je ne voulais plus travailler comme ça. Je suis quelqu’un de résolu, et j’ai la chance d’exercer un métier où le travail ne manque pas. J’ai préféré partir, confiante que j’allais pouvoir poursuivre mon activité clinique et mes travaux de recherche ailleurs. 

Je gardais un agréable souvenir d’un stage d’externe dans un Espic. Quand un ami parti travailler en radiologie au Médipôle m’a proposé de venir voir cette structure, je n’ai pas hésité. L’échange avec Yves m’a étrangement surprise. Ce fut tellement simple ! «Si tu viens Anne-Cécile, si tu as des projets, ici tu seras aidée». 

Ce n’étaient pas que des belles paroles. J’ai voulu faire des tests endocrinologiques compliqués et coûteux pour certains patients, cela s’est fait. J’ai proposé d'étoffer l’activité de nutrition, le MHM a embauché des nutritionnistes. En deux mois à peine nous avons monté une hospitalisation de jour pré-thérapeutique pour l’évaluation des patients de cancérologie. Ici, la seule limite semble être ton imagination ! Du moment que c’est viable économiquement, on t’aide à réaliser ton projet. Cela crée beaucoup d’émulation. Idem pour mes projets de recherche, là aussi je suis aidée. 

Lorsque tu n’as pas à batailler pour obtenir plus de moyens, ça te laisse beaucoup de temps pour t’occuper à fond des patients. Avec le recul, je me dis que ce fonctionnement devrait être la règle. Aujourd’hui j’ai le sentiment de mieux soigner, sans avoir jamais eu l’impression d’être contrainte dans ma façon d’exercer mon métier.



Yves, quelles innovations organisationnelles permettent d’obtenir ce résultat ? 

Le job d’un dirigeant n’est pas de dire ce dont il a envie, mais plutôt de se nourrir des envies, des propositions, des motivations du personnel et de l’aider à concrétiser ses projets. Quand tu as 150 médecins qui débordent d’idées, toi, directeur médical, tu ne fais pas le poids. Ton rôle est donc de donner à chacun l’espace de réflexion et d’action, l’espace de collaboration, de synergie pour permettre de travailler au mieux.

Les soignants sont impliqués dans la réflexion médico-économique. Tous les ans, nous avons dans chaque service un entretien d’équipe : la direction, les médecins, les cadres du service font l’état des lieux, discutent des résultats et projets à venir et décident ensemble où investir. Chaque projet est questionné. Que va-t-il apporter au patient, à l’établissement ? Tant que le business plan est au vert, on fonce ! Ici nous n’hésitons pas à tester, essayer… Ce qu’on valorise le plus, ce sont les innovations qui peuvent rayonner en dehors de l’établissement pour profiter au plus grand nombre de patients. 

L’autonomie des médecins et leur responsabilité vont de pair et sont imbriquées. D’un côté, ils sont impliqués, avec les cadres, dans le modèle médico-économique de l’établissement. De l’autre, la direction accompagne leurs projets. Au final, la prise d’initiative est valorisée.



Dans cette organisation, quels sont tes points de vigilance ? 

Un établissement de santé, c’est une organisation très complexe. Nous fonctionnons avec plusieurs groupes en auto-coordination, à l’échelle du groupe médical via la CME, à l’échelle du service et à l’échelle individuelle. La direction est là pour accompagner, donc doit être en permanence à proximité des médecins. Réaffirmer que l’autre compte, qu’il existe et qu’il a de la valeur. En tant que directeur médical je dois avoir des «antennes», percevoir rapidement qu’un médecin n’est pas à l’aise, qu’il a un problème quel qu’il soit. Au niveau collectif, mon rôle est de trouver quelle pierre chaque médecin va pouvoir apporter à l’édifice.

Nous sommes toujours en mouvement, toujours partants pour de nouveaux projets. Le risque, ce serait une forme de fuite en avant, la tentation d’en faire toujours plus. Mais vu que tu n’as personne pour combler les déficits, il faut que chaque projet fonctionne. Le dynamisme perpétuel ne doit pas devenir une course éperdue.  

Le deuxième écueil est à l’échelon individuel. Cette ébullition permanente et cette émulation ne conviennent pas à tout le monde. Un médecin qui n’est pas porté sur l’action risque de ne pas se reconnaître dans notre système. Où bien cela peut être difficile s’il est, par exemple, freiné par la peur d’échouer. Mon travail consiste à accompagner ces personnes mais cela ne porte pas toujours ses fruits. C’est rare mais certains médecins s’en vont. Tu ne peux bien bosser bien que lorsque tu es dans un système qui te correspond. Ici, le mouvement et la remise en question sont permanents.



Anne-Cécile, peux-tu nous donner un exemple concret du fruit de ce partenariat ?

Je trouve que les parcours de soins alliant les deux structures fonctionnent très bien. En ce qui me concerne, je citerai le parcours de chirurgie bariatrique : le patient bénéficie par exemple de consultations au MHP et d’un service de soins et de réadaptation en HDJ au MHM. Il a aussi accès à un suivi en HDJ dans l’une ou l’autre des deux structures. Cela permet d’associer les professionnels en premier lieu autour de l’intérêt du patient ; c’est je crois la clé pour que cette organisation fonctionne. Si on met le patient en premier, peu importe le type d’exercice que l’on pratique. 



Retrouvez tous nos articles sur Twitter, LinkedIn et Facebook.

Vous êtes médecin ?
Pour recevoir une sélection de nos articles ou les commenter sur le site, il vous suffit de vous inscrire.