Covid-19 : la newsletter du Pr Adnet (N°40 - 24 février)

Une modélisation alarmante de l'impact du variant sur les hospitalisations en France, et la chute sévère de l'espérance de vie aux USA... Grand débat du moment, le rôle de l'école dans la transmission : une étude montre qu'il serait mineur dans les garderies, une autre met en évidence les transmissions «enseignants vers élèves». Bonne nouvelle : après quasiment 14 millions de doses de vaccins injectées aux USA leur profil de sécurité est excellent. Quant aux traitements... La vitamine D semble inefficace, et l'azithromycine seul, en systématique, ne montre pas d'intérêt. Par contre, l'association corticoïde-furosémide-aspirine-colchicine-anticoagulants est prometteuse chez les patients oxygénodépendants.


Frédéric Adnet est professeur agrégé de Médecine d'Urgence et chef des Urgences de l’Hôpital Avicenne et du SAMU 93. À la fois chercheur et médecin, il fait régulièrement le point sur la Covid-19. Après 46 numéros d'une Foire Aux Questions (FAQ) quotidienne, il publie désormais une newsletter hebdomadaire. Nous la reproduisons ici avec son aimable autorisation. 

Sa FAQ a connu un succès phénoménal. À l'origine destinée aux professionnels de son service, elle est maintenant traduite en plusieurs langues. Dans son interview, Frédéric Adnet revient sur ce succès et explique son attachement à l'Evidence-based medicine. 

Frédéric Adnet est également l'auteur de l'ouvrage Les Fantassins de la République - Urgence COVID, un printemps en enfer, paru en octobre 2020.


INDEX et liste des FAQ / Newsletters


NEWSLETTER N°40 (24 février 2021)


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ÉPIDÉMIOLOGIE



Variant B.1.1.7 en France : des prévisions alarmistes…

Nous savons que le variant anglais (B.1.1.7 ou 201/501Y.V1 ou 202012/01 – ce serait bien de se mettre d’accord une fois pour toute !) est associé à une plus grande transmissibilité. Nous avons en effet constaté l’explosion des cas en Angleterre de manière contemporaine avec l’apparition de ce variant. 

Cette augmentation de la transmissibilité serait due à la mutation N501Y qui renforcerait l’affinité de la protéine S du virus sur le récepteur ACE2 (cf. newsletter n°33), porte d’entrée de l’invasion cellulaire. Cette contagiosité accrue avait été confortée par des travaux de modélisation (cf. newsletter n°34).

Compte-tenu de cette caractéristique, une équipe internationale dirigée par des chercheurs français vient de publier en «preprint» une étude qui fait froid dans le dos... et qui peut alimenter les «alarmistes» (medRxiv, non encore reviewé, 16 février 2021).

En posant comme hypothèse que l’augmentation de la transmissibilité serait de l’ordre de 50%, et en prenant comme autre variable la distanciation sociale (relâchement ou renforcement), les courbes des admissions hospitalières sont effrayantes : elles deviennent rapidement croissantes et de nature exponentielle à partir de la 7e ou 8e semaine, c’est à dire fin février - début mars 2021.

Dans cette modélisation, le seul frein consisterait à renforcer les mesures de distanciation sociale. Ces courbes tiennent compte d’une forte augmentation de la transmissibilité endogène pour ce variant, ce que quelques scientifiques commencent à discuter.

Bon, nous y sommes...


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Courbes des admissions hospitalières dues à la Covid-19 en fonction du temps en France. La courbe noire représente l’évolution globale, la courbe verte (trait plein) représente le nouveau variant anglais (B.1.1.7 ou 201/501Y.V1), et la courbe verte en pointillée représente l’ancienne souche.
Les points noirs sont les données observées. La zone grise représente les intervalles de confiance à 95%.
À gauche : avec un renforcement de la distanciation sociale, au milieu : pas de mesure, à droite : relâchement de la distanciation sociale.



L’école, siège de la transmission... Oui ou non ?

Le débat sur le rôle des écoles dans la transmission du virus SARS-CoV-2 fait toujours l’objet de discussions passionnées. Une première vague de travaux était plutôt rassurante, puis d’autres études sont allées en sens inverse en montrant l’importance des écoles dans la propagation de l’épidémie (cf. newsletters n°29 et n°14). Nous en sommes toujours là, dans une incertitude déroutante. 

Une équipe française s’est attaquée à cette question en s’intéressant aux garderies créées pour les enfants des personnels indispensables (dont les soignants), restées ouvertes pendant le premier confinement. Les chercheurs ont pu mesurer la séroprévalence des enfants et des équipes d’encadrants de 22 garderies. Ils ont comparé ces sérologies à un groupe contrôle d’adultes sans contact avec des enfants ou des malades dans les quatre à huit semaines après la fin du confinement (Lancet Child Adolesc Health, 8 février 2021). 

La conclusion des auteurs est que cette séroprévalence à la Covid-19 est faible chez les enfants en garderie, et que les contaminations surviennent plutôt dans un contexte familial. Ce travail va dans le sens d’un rôle mineur des regroupements d’enfants dans la transmission du virus.

[Merci au Pr. Loïc De Pontual]



Contamination dans les écoles : les professeurs aussi !

Éternel débat sur le rôle de l’école dans la propagation de cette épidémie... Le rôle des enfants et des écoles, principalement pour les plus petits, est probablement modeste. Mais qu’en est-il de la transmission prof-élève (et inversement) ? En étudiant neuf clusters survenus dans des écoles élémentaires aux États-Unis, les chercheurs ont fait une drôle de découverte : la majorité des transmissions se faisait de l’enseignant vers les élèves (Morbidity and Mortality Weekly Report, 22 février 2021) ! 

Ces clusters concernaient 13 enseignants et 32 élèves. L’élève était le patient «source» pour un cluster, mais c’était l’enseignant pour quatre autres clusters. Pratiquement tous les clusters ont mis en évidence des transmissions enseignants-élèves. 

Les auteurs insistent sur la nécessité de respecter les gestes barrières enseignants-élèves, et, probablement (et je soutiens cette idée avec force) d’inclure les enseignants dans les populations à vacciner en priorité au même titre que les soignants. Cette mesure pourrait réellement limiter la responsabilité des écoles dans la transmission de l’épidémie.


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Exemple de neuf clusters scolaires.
Les cas index (bleu) sont souvent les enseignants (triangles) qui contaminent les élèves (ronds).



Aux États-Unis, l’espérance de vie fortement impactée !

Nous avons vu que la Covid-19 avait réduit l’espérance de vie en France d’environ une demi-année (cf. newsletter n°37). D’après une étude récente les américains semblent encore plus impactés. La diminution de l’espérance de vie observée est la pire depuis la seconde guerre mondiale : elle passe de 78,8 ans à 77,8 ans, soit une perte d'une année ! (National Vital Statistics System, Report N°10, février 2021).

Les hommes payent le plus lourd tribut (passage de 74,7 ans à 72 ans soit -2,7 ans). Au niveau mondial, on estime à 21 millions d’années de vie perdues à cause de la pandémie Covid-19, ce qui représente 2 à 9 fois le coût humain d’une grippe saisonnière.
 



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VACCINS



Vaccins à ARNm : pas de problème de sécurité !

Nous nous posions beaucoup de questions à propos de la sécurité des vaccins à ARN messager. Les américains viennent de publier les premiers résultats après l’injection de 13.794.904 doses de vaccins Pfizer-BioNTech® ou Moderna® (Morbidity and Morality Weekly Report, 19 février 2021).

Le profil de sécurité de ces vaccins à ARN semble donc excellent.

[Merci au Dr. Axel Ellrodt]




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TRAITEMENTS



Et revoilà la vitamine D !

La vitamine D est toujours débattue comme traitement d‘appoint dans la Covid-19 grâce à son activité anti-infectieuse et stimulante du système immunitaire. Des études observationnelles ont été publiées ; elles donnent des résultats contrastés (cf. newsletters n°19 et n°30). Enfin (!) une étude randomisée, en double aveugle, vient d’être publiée (JAMA, 17 février 2021).

Ainsi, au vu des résultats de cette étude à haut niveau de preuve, la vitamine D ne peut être recommandée chez des patients hospitalisés pour Covid-19.



Azithromycine seul, ça sert à quelque chose ?

La place des antibiotiques dans le traitement de la Covid-19 est toujours discutée. Les recommandations sont assez empiriques, notamment dans une stratégie prophylactique. Le but est de lutter contre la surinfection bactérienne, mais il est difficile de faire la preuve de cette surinfection notamment chez les patients les plus graves. 

Parmi les antibiotiques proposés, l'azithromycine est un des plus cités à cause de ses effets sur la modulation de la réponse inflammatoire. Les résultats de l’essai RECOVERY pour cette molécule viennent d’être publiés (Lancet, 2 février 2021). 

Bon, encore un médicament qui ne sert pas à grand-chose lorsqu’il est administré à titre systématique.

[Merci au Dr. Jan-Cédric Hansen]



Association médicamenteuse prometteuse

Dans la lutte contre le HIV, ce sont finalement des combinaisons d’antiviraux qui ont réussi à vaincre la maladie. Une équipe française a expérimenté cette approche en testant l’efficacité d’un corticoïde (prednisolone 1 mg/kg/j) associé au furosémide (80 mg/j), à l’aspirine (75 mg/j), à la colchicine (0,5 mg/8 heures) et à une anticoagulation efficace chez des patients Covid-19+ oxygénodépendants (Journal of Infection, 8 février 2021).

Étude à faible niveau de preuve, monocentrique, non randomisée mais qui devrait susciter des essais de plus grande ampleur… 

[Merci au Dr. Jean-Philippe Kekorvian]



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