Vaccin contre la fièvre jaune : un cinquième de dose est suffisant
Diminuer les doses de vaccin administrées pour éviter la pénurie... Le sujet est d'actualité mais il n'est pas nouveau. En 2016, des épidémies de fièvre jaune en Angola et RDC ont montré les limites de la capacité de production de vaccins et conduit l'OMS à recommander l'utilisation de doses fractionnées. Les résultats d'un essai piloté par Médecins Sans Frontières viennent de paraître dans le Lancet. Ils montrent qu'un cinquième de dose est efficace.
Des doses fractionnées en cas de pénurie de vaccins
Administrer une dose partielle du vaccin contre la fièvre jaune est efficace et pourrait permettre en cas de flambée épidémique de vacciner en urgence des millions de personnes supplémentaires. Ces résultats d’un essai mené par Epicentre, le centre de recherche épidémiologique de Médecins Sans Frontières (MSF), ont été publiés le 9 janvier dans le Lancet.
La fièvre jaune est une fièvre hémorragique virale aiguë transmise par certains moustiques. Seul un petit pourcentage des personnes infectées développent des formes sévères de la maladie, entraînant des hémorragies internes et de graves lésions du foie et des reins. Environ la moitié des personnes qui atteignent ce stade de la fièvre jaune en meurent en quelques jours.
Endémique dans 34 pays d'Afrique, cette affection provoque 30.000 décès par an, particulièrement en Afrique subsaharienne. Les vingt dernières années des épidémies ont été signalées notamment en Angola, République démocratique du Congo (RDC), Guinée, Sierra Leone, au Soudan et au Tchad. La fièvre jaune est également en progression en Amérique centrale et en Amérique du Sud.
«Plus d'un milliard de personnes vivent actuellement dans des régions du monde potentiellement affectées par la fièvre jaune», précise Isabelle Defourny, directrice des opérations de MSF. «Cette maladie provoque des épidémies de grande ampleur. C'est particulièrement vrai dans les grandes villes, où la fièvre jaune peut se propager rapidement.»
Les doses fractionnées en réponse aux pénuries de vaccins
L’épidémie de 2016 en Angola et en RDC a fait émerger la problématique de la disponibilité des vaccins : la vaccination «de routine» à dû être interrompue dans plusieurs pays afin de mettre à disposition rapidement une quantité suffisante de vaccins.
En l’absence de traitement, la vaccination est essentielle : une dose de vaccin permet de protéger une personne à vie. Malheureusement, il faut environ 12 mois pour produire ce vaccin et il est difficile d’estimer les quantités nécessaires chaque année. En période d'épidémie la capacité de production mondiale peut ne pas suffire.
En juillet 2016, d'importantes flambées de fièvre jaune en Angola et en RDC ont entrainé une pénurie de vaccins. L'OMS a alors publié une revue des études évaluant l'immunogénicité de doses fractionnées de vaccins contre la fièvre jaune, et recommandé l’utilisation de doses fractionnées.
Une dose fractionnée contenant un cinquième de la dose standard du vaccin contre la fièvre jaune produit par Bio-Manguinhos-Fiocruz (souche 17DD) a été administrée en août 2016 à environ 7.5 millions d'adultes (hors femmes enceinte) et à des enfants de plus de 2 ans. Ce dosage fractionné a de nouveau été utilisé en réponse aux épidémies de 2017-2018 au Brésil (17 millions de personnes vaccinées).
L’étude
Un essai clinique, randomisé et en double aveugle, a été mené par Epicentre en collaboration avec l’OMS et plusieurs centres de recherche médicale africains entre novembre 2017 et février 2018. L’un de ces centres est situé à Mbarara, en Ouganda, à proximité d’une zone touchée par l'épidémie de 2016.
Au cours de cette période, les chercheurs ont administré soit une dose fractionnée (un cinquième de la dose) soit une dose standard de vaccin contre la fièvre jaune à 960 ougandais ou kenyans âgés de 18 à 59 ans (âge moyen 35.7 ans, 55% de femmes). Les chercheurs ont utilisé quatre vaccins homologués par l'OMS, dérivés de différentes souches du virus. Les participants ont donc été répartis en huit groupes.
Cet essai a fourni des informations sur l'immunogénicité et la sécurité de doses fractionnées des vaccins à 10 jours, 28 jours et 1 an après la vaccination.
Résultats mitigés à J10, satisfaisants ensuite
- 10 jours après la vaccination, les résultats montrent une séroconversion et des titres géométriques moyens (TGM) globalement plus faibles dans les groupes de doses fractionnées : la séroconversion atteint 53% à 77.5% selon le vaccin. Or des études antérieures ont montré que 80 à 90% des personnes ayant reçu la dose standard de vaccin ont une concentration protectrice d'anticorps neutralisants 10 jours après la vaccination.
Toutefois, dans cet essai, la proportion de séroconversions était plus faible même chez les participants ayant reçu une dose standard de vaccin (67% en moyenne).
Hypothèse : cette étude a été réalisée chez des Africains, qui pourraient avoir des réponses des lymphocytes B et T à la vaccination contre la fièvre jaune plus faibles que dans les populations européennes.
Ceci suggère un éventuel retard de la réponse immunitaire des doses fractionnées. Dans le cadre d’une épidémie, ce taux de séroconversion à 10 jours plus faible est préoccupant et souligne la nécessité de campagnes de vaccination précoces.
Par ailleurs, la règlementation sanitaire internationale actuelle autorise certains voyages 10 jours après la vaccination contre la fièvre jaune. Des recommandations spécifiques pourraient donc être nécessaires concernant les doses fractionnées.
- 28 jours après la vaccination, presque tous les participants avaient des anticorps neutralisants élevés, bien supérieurs au seuil de protection supposé. Les taux de séroconversion dans les groupes de doses fractionnées n'étaient pas inférieurs à la dose standard pour tous les vaccins.
- Les taux de séroconversion et d'anticorps neutralisants sont restés élevés jusqu'à un an après la vaccination, tant pour les doses fractionnées que pour les doses standard, et quel que soit le vaccin.
Perspectives
Des sous-études sont en cours pour évaluer la non-infériorité de l'immunogénicité et la sécurité du dosage fractionné chez les enfants âgés de 9 mois à 5 ans, ainsi que chez les adultes atteints du VIH.
Par ailleurs, l’effet de la présence d'anticorps neutralisants contre d'autres flavivirus - qui pourraient potentiellement interférer avec la réponse au vaccin contre la fièvre jaune - n’a pas encore été évalué avec ces doses fractionnées.
Toutefois, pour les auteurs de cet essai, les résultats justifient l'utilisation de doses fractionnées de ces vaccins contre la fièvre jaune pour protéger la population adulte, lorsqu'il n'y a pas suffisamment de doses standard pour protéger la population à risque en raison d'une flambée épidémique.
Source :
MSF - «Fièvre jaune : une dose fractionnée du vaccin protège contre la maladie (étude Epicentre/MSF)»
Lancet - Immunogenicity and safety of fractional doses of yellow fever vaccines: a randomised, double-blind, non-inferiority trial