Prématurés : de la musique avant toute chose

Une étude suisse récente a démontré les effets de la musique sur le développement cérébral des prématurés. Au programme, Andreas Vollenweider et imagerie par résonance magnétique fonctionnelle.

L'impact de la musique sur le développement du réseau cérébral des prématurés

Une étude suisse récente a démontré les effets de la musique sur le développement cérébral des prématurés. Au programme, Andreas Vollenweider et imagerie par résonance magnétique fonctionnelle.

La musique est fréquemment employée dans les unités de soins intensifs en néonatologie. Des études précédentes ont déjà montré ses bienfaits sur les prématurés : effet stabilisateur sur la fréquence cardiaque et respiratoire, réduction du nombre d'apnées et de bradycardies, amélioration des dépenses énergétiques au repos, meilleure alimentation, etc. Mais les effets de la musique sur le développement de leur réseau cérébral n’avaient jamais été étudiés. 

La naissance prématurée est associée à un risque d'altérations structurelles et fonctionnelles du réseau cérébral, pour partie liée à l'exposition d'un cerveau encore immature à l'environnement stressant d'un service de soins intensifs. Comment un prématuré peut-il intégrer une sollicitation sensorielle soudaine  - alarmes, etc. - qui ne le concerne pas ?   

Dans cette étude, les chercheurs des Hôpitaux Universitaires de Genève ont montré que la musique améliore la connectivité dans le circuit cérébral impliquant les fonctions sensorielles et cognitives, qui sont modifiées chez les prématurés. Leur exposition à la musique a conduit à la construction d’architectures cérébrales fonctionnelles plus semblables à celles des nouveau-nés à terme

Ces résultats ont été obtenus grâce à l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), qui permet d’enregistrer des fluctuations hémodynamiques cérébrales locales minimes, liées à l'activité du cerveau du bébé. En utilisant l'IRMf à l'état de repos, les chercheurs ont caractérisé un circuit composé de trois modules de réseau interconnectés par le réseau de saillance (une structure cérébrale qui détermine quels stimuli internes et externes sont signifiants et fait le lien avec les autres réseaux devant intervenir). Il a récemment été démontré que ce réseau de saillance est amélioré chez les adultes ayant reçu une formation musicale par rapport aux non musiciens, ce qui suggère des effets adaptatifs et neuroplastiques potentiels de la musique. Une intervention musicale postnatale précoce peut-elle pour autant améliorer le développement du cerveau chez les prématurés ?

Une musique sur mesure 

La musique utilisée pour cette étude a été composée spécifiquement par Andreas Vollenweide. Les fréquences et des harmoniques choisies, qui induisent une relaxation profonde, étaient ponctuées d'artefacts acoustiques pour stimuler l'activité cérébrale. Pour ces derniers, les instruments retenus - harpe, pungi (la clarinette des charmeurs de serpents) et cloches - avaient déjà produit des réponses comportementales et cérébrales chez les nouveau-nés prématurés, observées à l'occasion de tests préalables. Trois pistes musicales ont été créées pour s'adapter à l'état d'éveil du bébé : l'une pour l’aider à se réveiller, l'autre pour interagir avec un bébé éveillé, la dernière pour l’aider à s'endormir. L'exposition à la musique, pendant 8 minutes, s'est produite cinq fois par semaine. 

Les soignants ont mis des écouteurs aux bébés éveillés ou en phase d’éveil, hors période de soins ou de présence dans les bras des parents. Le choix de la piste musicale a été déterminé par le soignant, selon une échelle d'évaluation comportementale néonatale. Chaque nourrisson a écouté chacune des trois pistes un nombre équivalent de fois. Le groupe témoin a lui aussi porté des écouteurs, mais ouverts aux sons ambiants.

L'étude

L’étude a porté sur 24 nouveau-nés à terme et 39 nouveau-nés prématurés, aux Hôpitaux universitaires de Genève, entre 2013 et 2016. Les critères d'inclusion pour les nouveau-nés à terme étaient la naissance après un AG de 37 semaines. Dans le groupe des prématurés - à partir d'un âge gestationnel de 33 semaines, conforme à la maturation des voies auditives - 20 d’entre eux ont fait l'objet d'une intervention musicale et 19 autres ont été affectés au groupe témoin, sans intervention musicale. Cette répartition a été aléatoire. Elle a été réalisée en double aveugle, ni les parents ni les soignants ne sachant quel nourrisson écoutait de la musique.  

L'analyse finale a porté sur 16 nouveau-nés à terme, 15 prématurés dans le groupe de contrôle et 14 prématurés dans le groupe exposé à la musique. Des nourrissons ont en effet été exclus de l’étude soit parce qu’ils l’avaient interrompue avant l’IRM, soit parce qu’ils avaient reçu moins de 15 séances de musique, soit parce que l’IRM avait été altérée par leurs mouvements.

Les caractéristiques de la connectivité cérébrale chez tous les nourrissons ont été analysées. L’étude a permis de déterminer une connectivité moindre chez les prématurés, ce qui est conforme aux recherches antérieures. Elle a aussi montré que la connectivité du réseau de saillance en particulier était nettement affectée par la naissance prématurée. Enfin, elle a prouvé que l'enrichissement précoce de l'environnement grâce à cette musique améliore le développement du cerveau des prématurés. L’analyse de l'imagerie cérébrale montre en effet que l'activité neuronale associée à l'écoute musicale s'étend bien au-delà du cortex auditif. « Les connexions entre le réseau de saillance et le cortex auditif, frontal et sensori-moteur, étaient beaucoup plus actives que chez les prématurés n’ayant pas écouté de musique.» explique Petra Hüppi, médecin-cheffe du Service de développement et croissance des HUG.

Perspectives

Les chercheurs en concluent que l'écoute précoce d’une musique devenue familière pendant un séjour en soins intensifs en néonatologie amoindrit les effets délétères des facteurs environnementaux et peut améliorer durablement le développement de la connectivité fonctionnelle des réseaux cérébraux altérés.

Ils estiment que des recherches plus poussées sont nécessaires pour comparer les effets de la musique à d'autres interventions sonores, telles que l'écoute de la mère et du père, de leur chant par exemple. Ils souhaitent également évaluer les effets à plus long terme de cette exposition à la musique, sur les bébés ayant participé à l'étude et dont les plus âgés ont maintenant 6 ans. 

Source : 
Music in premature infants enhances high-level cognitive brain networks
PNAS June 11, 2019 116 (24) 12103-12108; first published May 28, 2019
https://doi.org/10.1073/pnas.1817536116