Le paradoxe des jeunes chirurgiens

Le métier de chirurgien était auparavant, l'un des plus honorifique du corps médical. Mais la profession s'est transformée, sculptée par les différentes réformes du système de santé. Jean Cady, spécialiste de la chirurgie bariatrique, revient sur cette triste réalité.

Lors de la dernière séance, à l’Académie, un jeune chirurgien rapportait son expérience.

Cela m'a amené à m’interroger par quelle perversion notre métier en était arrivé là; et pourquoi le patient soi-disant objectif central de notre intérêt, était-il devenu virtuel, par le fait des règlements des réunions de concertation… un élément secondaire.

Ce que souhaite le patient

Certes être guéri oui, mais tout de suite sans séquelles sans cicatrice, sans erreur, c’est à dire sans être opéré ! D’autant plus que grâce au web, le patient sait tout et qu’en tout cas il peut contester sans frais sur le plan médicolégal.

Ce que veut le jeune chirurgien

Partager sa responsabilité, dormir et bénéficier des mêmes conges et RTT que les autres ! Il veut gagner sa vie, mais profiter de sa famille. Être professionnellement reconnu, ce qui a malheureusement perverti le système.

La sécurité sociale

Prenons l’exemple de la sécurité sociale. En 1945, Charles de Gaulle lance la Sécurité sociale. Des années plus tard, voilà ce qu’écrira son fils Philippe, sur le sujet : « Les méfaits de la Sécurité sociale ne sont plus à démontrer ; quand on constate qu’elle a fait des Français des assistés et qu’elle compromet gravement la compétitivité économique de notre pays ».

Alors, comment ce système généreux s’est-il perverti ? Tout simplement par l’argent ou plutôt son manque, devant la croissance de la demande de soins et prestations. Après avoir augmenté de façon insupportable les cotisations, basées sur le travail il ne restait plus qu’à diminuer les prestations, mais pas pour tous.

Tiens, pourquoi le chirurgien libéral n’a pas le droit à l’arrêt de maladie ? Et la création de régimes spéciaux au nom de l’inégalité ?

Et quand il ne reste plus que les petits moyens, il faut sanctionner les prescriptions sous prétexte d’insuffisance de preuve d’efficacité !

La judiciarisation du système

À l’exigence du patient, s’ajoute la facilité de trainer son praticien devant les tribunaux, avec l’espérance de compenser un manque à gagner plutôt dû à sa pathologie. Certes il n’obtient que rarement dédommagement en l’absence de faute, mais il n’en reste pas moins que pour le chirurgien il a fallu mobiliser assureur, médecin de recours, avocat, etc…

Ceci a bien évidemment un impact économique et a permis aux primes d’assurance de s’envoler pour devenir confiscatoires, du fait du maigre montant imposé aux honoraires.

La réglementation collectiviste

Notre société n’est pas passée par la Révolution d’octobre et nous ne nous sommes pas aperçus qu’elle tournait au collectivisme. Exit le colloque singulier entre le patient et le praticien. Désormais, 3 organismes se superposent pour le réguler.

La CPAM contrôle, réduit et sanctionne ainsi nombre d’interventions qui sont soumises à la procédure d’entente préalable — c’est-à-dire, à la discrétion d’un médecin inspecteur de la sécurité sociale dont la compétence est surtout faite des diktats de ses supérieurs.

L’ARS ensuite, la fameuse « Agence Régionale de Santé » : elle contrôle les praticiens et établissements et voudrait même contrôler les pathologies ! Elle est dirigée par un fonctionnaire non-médecin et elle a le pouvoir d’arrêter immédiatement l’activité médicale pour une durée de 5 mois (maximum). Mais qu’arrive-t-il à un établissement privé, dépossédé de recettes pendant un seul mois ? Et bien le dépôt de bilan…

Parlons ensuite de la HAS, la Haute Autorité de Santé. Est-elle faite de médecins sages ? En tout cas nommé par le ministère, son rôle est d’établir des recommandations qui deviennent pour les inspecteurs de la sécurité sociale des lois, dont le but sournois est de réduire l’activité médicale — donc les dépenses de santé. Mais d’où tire-t-elle son autorité ? De son expérience ? Des publications lues ? Le mystère reste entier. Et pourtant nous savons tous que Pasteur n’était pas médecin…

Viennent ensuite, les sanctions avec l’Ordre des Médecins.

L’Ordre des Médecins régional puis national n’est pas là pour protéger les médecins, mais pour les faire marcher dans le bon rang. Il applique la double peine : blâme, suspension, radiation et privation de revenus.

Cela a amené une évolution du métier : les nouvelles pratiques préventives. En effet, pour ne pas être sanctionné il ne faut pas être responsable.

Ainsi, la consultation, peu importe le diagnostic, ne repose plus sur l’examen clinique et le bon sens, mais sur les prises de sang et autres scanners examens traçables. De plus il faut à chaque phase de l’exercice médical pouvoir prouver à un juge éventuel qu’une information complète et comprise a été donnée. À quand la mise sous surveillance vidéo du praticien consultant ?

L’hospitalisation

Un dossier médical parfaitement tenu (donc informatisé) devra pouvoir être produit et renseigné en temps réel : écrire ou soigner, c’est là ma question ?

Les décisions diagnostiques et thérapeutiques y seront consignées avec avis d’autres praticiens et soignants.

Le summum est atteint pour certaines pathologies comme l’obésité ou le cancer qui se discutent obligatoirement en RCP, réunion de consensus pluridisciplinaire et dont le traitement n’est autorisé pour ce dernier que dans des établissements réalisant un volume d’actes déterminé réglementairement, peu importe la notoriété du praticien…

Les rapports avec les médecins référents

S’ils nous sont apparus comme indispensables tout au long de notre carrière ils sont devenus obligatoires peut être avec l’idée que sous-payer améliorerait les comptes. Le suivi, vital pour certaines pathologies est apparu comme un vœu pieux et doit s’exercer en collaboration avec le médecin généraliste et certains spécialistes para médicaux, mais à quel prix ? (en tout cas non remboursés pour ces derniers).

En peu d’années, la chirurgie de papa a fait place à une discipline ou les révolutions se sont faites de plus en plus rapidement.

Nous avons ainsi vu passer, la chirurgie digestive, la suture mécanique, la cœlioscopie la robotique et maintenant la réalité virtuelle ou augmentée — en attendant la téléchirurgie et l’intelligence artificielle.

Pourtant la fonction publique a réussi à mettre en pièces la foi qui m’animait.