Détournement métabolique et cancer colorectal – un cas à part

Le cancer colorectal est le deuxième cancer masculin le plus fréquent, à l’origine de 17 500 décès par an en France. L’altération du métabolisme cellulaire est un mécanisme récurrent des cancers, ayant pour but le maintien de la prolifération cellulaire dans un environnement pauvre en apport en nutriments. Contexte Un déplacement métabolique de

Le cancer colorectal est le deuxième cancer masculin le plus fréquent, à l’origine de 17 500 décès par an en France. L’altération du métabolisme cellulaire est un mécanisme récurrent des cancers, ayant pour but le maintien de la prolifération cellulaire dans un environnement pauvre en apport en nutriments.

Contexte

Un déplacement métabolique de la respiration mitochondriale vers la glycolyse aérobie est mis en oeuvre, rendant la production d’acétyl-CoA en partie dépendante des acides gras à courte chaîne, comme l’acétate. L’acétyl-CoA est un métabolite important, impliqué dans la régulation de la croissance et prolifération cellulaire. L’acétyl-CoA synthétase-2 (ACSS2), permettant la conversion de l’acétate en acétyl-CoA, est surexprimée dans plusieurs types de cancers, en association avec de mauvais pronostics. Le cas du cancer colorectal est intéressant puisque la source énergétique des cellules saines est l’acétate, issu de la fermentation par la microflore intestinale.

Etude et méthodes

Une étude récente publiée dans le journal Modern Pathology (DOI: 10.1038/modpathol.2016.172) s’est intéressée à l’expression d’ACSS2 au cours de la carcinogenèse du cancer colorectal (muqueuse saine, lésions pré-malignes, carcinome et métastases) ainsi qu’aux traits cliniques de la pathologie et l’implication d’ACSS2 dans le pronostic du cancer colorectal. L’étude comprend 1106 cas de chirurgie curative survenus entre 2004 et 2007 à l’hôpital universitaire national de Séoul (Corée du Sud). Le niveau d’expression d’ACSS2 a été évalué par une analyse immunohistochimique sur les 1106 tissus tumoraux, 54 échantillons aléatoires de marge chirurgicale (muqueuse saine), 157 échantillons tissulaires d’adénome/polype colorectal (lésions pré-tumorales) et 23 échantillons de métastase hépatique et une quantification de l’ARNm (RT-qPCR) a été effectuée sur 12 paires aléatoires de tissus tumoral/sain. Une caractérisation clinico-pathologique basée sur l’expression d’ACSS2 a également été entreprise.

Résultats

L’analyse immunohistochimique révèle une coloration modérée à forte dans les tissus sains et une coloration absente à modérée dans les tissus tumoraux appariés (p<0.001). Une coloration modérée à forte apparaît également dans les échantillons de lésions pré-malignes, quelque soit le type histologique ou le grade dysplasique. Enfin, une coloration absente à faible est observée dans 01.3% des tissus métastatiques du foie. Une sous-régulation d’ACSS2 apparaît donc progressivement au cours de la carcinogenèse du cancer colorectal, a priori durant la phase invasive. Cette sous-régulation est confirmée par quantification de l’ARNm correspondant dans 12 paires tissu sain/tumoral (approx. 3-4 fois moins dans les tissus tumoraux, p<0.001), et par analyse de deux bases de données publiques (GSE39582: facteur x3.01 et TCGA: facteur x1.99, p<<0.001).

Une analyse clinico-pathologique a été menée sur 2 sous-populations de tumeurs colorectales, selon le profil d’expression d’ACSS2 (faible vs. fort). Les tissus tumoraux à faible expression d’ACSS2 montrent une classification TNM et un stade avancés (p≤ 0.001), une tendance à une morphologie ulcérative (37 vs. 28%, p=0.003), plus de cas de faible différenciation (4 vs. 1%, p=0.007) et plus de bourgeonnement tumoral (74 vs. 67%, p=0.015).

Au niveau moléculaire, les tumeurs à faible expression d’ACSS2 apparaissent associées à l’expression de kératines cytoplasmiques KRT7 (expression positive dans 10 vs. 5%, p=0.008) et KRT20 (diminution d’expression dans 19 vs. 13%, p=0.031) et de CDX2 (régulation de gène de l’épithélium intestinal, 7 vs. 3%, p=0.019). Un plus faible indice moyen de marquage à MKI67 (marqueur de prolifération cellulaire) est également observé (10.4 vs. 18.8, p<0.001). Les différents marqueurs génétiques connus ne révèlent pas de différence liée à l’expression d’ACSS2.

En terme de différences fonctionnelles, une analyse pangénomique des bases de données GSE39582 et TCGA révèle une sur-régulation de gènes associés à la motilité cellulaire, la chimiotaxie et la transition épithéliale-mésenchymale dans les tumeurs à faible expression d’ACSS2 et une sur-régulation des gènes associés à la fonction digestive et au métabolisme dans les tumeurs à plus forte expression d’ACSS2.

Enfin, la survie à 5 ans sans progression de la maladie est inférieure dans les cas de cancer colorectal à faible expression d’ACSS2 (<60% vs. approx. 75%, p<0.001). En analyse multivariée, la faible expression d’ACSS2 est un facteur indépendant de la survie sans progression à 5 ans (HR=1.39, IC95%=[1.08-1.79], p=0.01). L’analyse à partir de la base de données GSE39582 montre des résultats comparables (HR=1.49).

Conclusions

Cette étude met en évidence, en lien avec la protéine ACSS2, un profil d’agressivité tumorale et un pronostic du cancer colorectal différents des autres pathologies malignes. En effet, ACSS2 apparaît ici sous-régulée au cours de la cancérogenèse et son profil d’expression permet de distinguer 2 sous-populations de tumeurs. Celles à faible expression d’ACSS2 affichent une tendance à la différenciation gastrique, avec sous-régulation des fonctions digestives et métaboliques, contre une différenciation intestinale dans les cas d’expression plus élevée. La faible expression d’ACSS2 se traduit par un comportement tumoral plus agressif (stade TNM avancé, faible différenciation et bourgeonnement tumoral), et réduit la survie à 5 ans sans progression. Les résultats issus de la cohorte étudiée sont robustes puisque validés par l’analyse d’autres bases de données. Contrairement à de nombreux cancers, la sous-régulation d’ACSS2 apparaît donc comme une caractéristique métabolique de l’évolution maligne et du comportement agressif du cancer colorectal.

Texte : esanum / pg
Photo : Ben Schonewille / Shutterstock


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