Médecins de montagne : une saison en enfer

Médecins de montagne... Formés à l'urgence et très polyvalents ces médecins généraliste sont souvent jeunes. Cet exercice particulier avait le vent en poupe jusqu'à la première vague. Les remontées mécaniques se sont arrêtées en mars 2020. Depuis, les médecins installés en station ne cessent de dévaler la pente. Leur chiffre d'affaire s'est effondré, leurs charges fixes les asphyxient, les aides n'arrivent pas. Les personnels des centres médicaux sont partis tenter leur chance ailleurs, et nul ne sait s'ils reviendront.


«On lutte contre la désertification médicale, rurale ou en montagne, et eux luttent avec nous. Il faut les aider.» Ces mots prononcés par le secrétaire d'État chargé de la ruralité Joël Giraud le 31 décembre auraient pu mettre du baume au coeur des médecins installés dans les stations de sports d’hiver. Pour l’instant, aucune aide n’a été débloquée et la fermeture des remontées mécaniques a été prolongée sine die. Un coup très dur pour ces médecins qui réalisent l’essentiel de leur chiffre d'affaires entre décembre et avril.   

Bernard Audema est installé à Avoriaz, en Haute-Savoie. Membre de l’association Médecins de Montagne (MDM), qui représente 90% des médecins généralistes exerçant dans les stations, il préside par ailleurs le comité de pilotage du réseau des Médecins correspondants du SAMU (MCS) Auvergne- Rhône-Alpes.   

«Les médecins de montagne prennent en charge au cabinet 95% des blessés du ski [150.000 en 2019, 118.000 l’an dernier]. Notre quotidien, en hiver, est rythmé par les fractures de poignets - typiques des jeunes surfeurs -, les luxations d’épaules et les entorses du genou, souvent graves avec rupture du LCA. Six patients sur dix se rendent au cabinet par leurs propres moyens, les autres sont amenés par les pisteurs-secouristes. Au final, moins de 5% d’entre eux seront ensuite hospitalisés, souvent pour des examens complémentaires.»


Des organisations pionnières

Ces médecins ne se cantonnent pas à la traumatologie. «Elle représente 50% de mon activité, même en pleine saison. Le reste, c’est de la médecine générale.» Outre les vacanciers, le Dr Audema reçoit une population très spécifique : les saisonniers. «L’école du village compte dix élèves à l’année et trente pendant la saison hivernale.» Si certains viennent en famille, les saisonniers sont pour la plupart jeunes, avec un état de santé parfois précaire et un suivi médical lacunaire. «Nous sommes particulièrement formés à la traumatologie, mais nous devons aussi gérer beaucoup d’addictions, assurer les suivis gynécologiques, les IVG, etc.» 

Nombre de ces médecins de montagne sont aussi Médecins correspondants du SAMU. Ce sont même eux qui ont «inventé» ce réseau de médecins, sollicités par le Centre 15 pour accourir en avant-poste du SMUR lorsque celui-ci est à plus de 30 minutes. En cas d’accident grave sur les pistes ou d’urgence médicale sur leur zone, c’est donc au titre de MCS que ces médecins de montagne interviennent. «À l’origine nous avons créé ce réseau dans trois départements de montagne - Isère, Savoie et Haute-Savoie - en lien avec le SAMU et d’après un cahier des charges élaboré avec l’ARS. L’ARS nous a ensuite demandé d’aider d’autres réseaux à se structurer sur le même modèle.» 

Une autre organisation qui attire l’attention des ARS, c’est celle des cabinets médicaux eux-mêmes. Ces médecins qualifiés en médecine d’urgence disposent généralement d’un plateau technique conséquent (radio, échographe, défibrillateur et scope). De quoi limiter fortement les admissions aux urgences. 

Novatrice, mêlant la prise en charge des urgences et la polyvalence, la médecine de montagne attire les jeunes médecins. 50% d’entre eux ont moins de 40 ans. Ce type d’exercice de la médecine générale est aussi très prisé des internes. La structure du Dr Audema en accueille trois. Le tableau semble idyllique, mais la médecine de montagne est désormais en péril. La pandémie est venue torpiller son modèle économique. 


Saisonnalité et patientèle étrangère

«Nous travaillons essentiellement de décembre à avril, et un peu en juillet-août. Le reste du temps nous assurons une permanence de soins un jour par semaine. En ce moment, nous voyons au cabinet entre cinq et dix patients par jour. En temps normal, c’est une centaine.» Le ski alpin et le snowboard représentent respectivement 87% et 12% des adeptes de la glisse2. Cette saison, à cause de la pandémie, les remontées mécaniques n’ont pas pu démarrer. Le ski de fond et les raquettes ont bien pris un peu d’essor, mais l’activité médicale générée est dérisoire.  

Les sports d’été ne représentent qu’une part minime de l’activité de ces cabinets médicaux. Le VTT électrique connaît un vrai succès, mais les bike-patrols qui assurent la sécurité sur les pistes ne sont pas secouristes. En cas d’accident, ce sont les pompiers qui interviennent et évacuent le blessé vers l’hôpital. Le calcul est simple : de mai à novembre, les cabinets médicaux des stations accueillent environ autant de patients que sur... une semaine de février.

Le premier confinement, en mars 2020, avait déjà sérieusement grevé leur chiffre d’affaires. Du jour au lendemain les patients ont déserté le centre médical d’Avoriaz, qui n’en accueillait plus que trois par jour en moyenne. Cette situation, tous les autres cabinets de montagne l’ont vécue. «Normalement, l’hiver, nous sommes plus d’une dizaine à travailler : quatre médecins dont deux collaborateurs, deux infirmières, deux secrétaires, deux manipulateurs radio, des internes, un kinésithérapeute, et un intendant. L’an dernier, les collaborateurs ont dû partir précipitamment en mars et les employés se sont retrouvés en chômage partiel.»

Comme tous les médecins libéraux la structure du Dr Audema a obtenu une aide de la CPAM. 15.000 euros, alors que leur manque à gagner atteint les 180.000. «Le montant de cette aide est calculé sur le CA annualisé. La saison dernière, nous avons perdu un mois et demi d’activité : c’est énorme vu que nous réalisons notre CA sur sept mois à peine.» Surtout, le calcul de la CPAM ne tient pas compte des revenus issus de la patientèle étrangère. Celle-ci représente 40% du CA du centre médical d’Avoriaz. 


Charges élevées, chiffre d'affaire effondré, personnel volatilisé

Une enquête réalisée par MDM auprès de 71 cabinets médicaux - sur les 107 installés dans les stations - montre que leur perte de CA de mars à décembre 2020 a été de 35% en moyenne. Concernant le seul mois de décembre 2020, par rapport à celui de 2019, cette baisse est de 58%. Les disparités sont fortes et certains cabinets n’ont tout simplement pas ouvert cette saison. Le pire semble à venir puisque les remontées mécaniques ne rouvriront pas cette saison.

Cet effondrement de leur CA fragilise d’autant plus les cabinets de montagne que leurs charges fixes sont très élevées. Les médecins doivent rémunérer le personnel des cabinets médicaux mais aussi les loger pour la saison. Ils prennent en charge leurs loyers, en plus de celui de la structure. Dans le cas du Dr Audema, c’est la commune qui est propriétaire de la structure. En 2020 l'intégralité des loyers a été payée, celui de la structure et ceux du personnel. 

Une autre inconnue concerne la saison prochaine. En décembre 2021, le personnel reviendra-t-il ? Dans le cabinet du Dr Audema les internes sont bien là, occupés à gérer les rares patients avec leurs maîtres de stage, ainsi que les tests de dépistage Covid. Mais faute de travail une manipulatrice radio est partie en Guyane. Une infirmière a quant à elle trouvé un emploi en Suisse. D’après l’enquête de l’association MDM, sur les 146 équivalents temps plein habituellement employés, ils ne sont cette année que 58. Quant aux médecins collaborateurs, ils étaient 88 l’an dernier pour renforcer les cabinets médicaux de montagne. Il n’en reste que 30. 

Le 31 décembre, le secrétaire d'État Joël Giraud s’est voulu rassurant : «Ce système n’est plus solvable, les médecins de montagne vont disparaître. Il faudra remonter un système et ça prendra 10 ou 20 ans. Ce n’est pas possible (...) Je vais voir comment certaines mesures relatives aux indépendants pourraient s'appliquer, pour qu’on ne se retrouve pas avec une montagne sans médecins.» Le 4 janvier, l’association MDM l’a sollicité par écrit. Pour lui rappeler le rôle essentiel des médecins de montagne dans le dispositif de secours et la permanence des soins. Et pour l’appeler à l’aide.




Benoît Blanquart
 


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Notes :
1- Créée en 1953 et présidée par la Dre Suzanne Mirtain, MDM est forte de 320 membres
2- Sur l'année 2017