Marc Galy - Hypnose, la voix d’abord

Les neurosciences ont fait son lit. Les professionnels de santé se forment en masse. Les médias l’adorent. L’hypnose s’invite dans tous les services. Mais qu’en est-il de son utilisation réelle par les soignants ? Marc Galy lève le voile sur les fragilités d’une pratique prometteuse qui pourtant peine à s’enraciner.

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Dr Marc Galy
Anesthésiste-Réanimateur
Consultations d’hypnose
(Service du Pr Benoît Plaud, hôpital Saint-Louis - Paris)
Président de l’association Hypnose et méditation (Hyme)
Auteur de plusieurs ouvrages dont «Être là».1 

L'hypnose. Les neurosciences ont fait son lit. Les professionnels de santé se forment en masse.
Les médias l’adorent.
Elle s’invite partout, aux urgences, au bloc, dans les maternités, les SAMU, les services hospitaliers et les soins à domicile.
Ses indications de multiplient : traitement des addictions, de la dépression, complément de l’anesthésie, prise en charge des douleurs et de l’anxiété liées aux soins ou aux maladies chroniques, etc.
Mais qu’en est-il de son utilisation réelle par les soignants ?
Marc Galy lève le voile sur les fragilités d’une pratique prometteuse qui pourtant peine à s’enraciner. 

L’hypnose au bloc,
c'est une histoire ancienne…

Pour moi, ça remonte au début des années 2000. On faisait beaucoup de chirurgie carotidienne, sous anesthésie locorégionale, et à l'époque on n'avait ni les produits actuels avec des demi-vies courtes - c’était le tout début du propofol - ni l’échographie. La sédation et le confort du patient étaient complexes à conjuguer, car il fallait que les patients soient suffisamment présents pour qu’on puisse contrôler les déficits neurologique pendant le clampage, mais pas agités.

On tâtonnait, on avait des blocs nerveux périphériques de moyenne qualité. Avec un chirurgien, nous sommes tombés par hasard sur un article sur l’hypnose écrit par le Dr Marie-Elisabeth Faymonville, de Liège. Elle avait réintroduit l’hypnose au bloc opératoire. « Réintroduit », car en 1960 déjà le Pr Lassner, qui était chef de service en anesthésie à Cochin, s’était intéressé à l'hypnose. Il était d’origine autrichienne, alors il s’intéressait à Freud… En 1965 il a même organisé un congrès mondial d’hypnose à Paris. Cochin, c’était un hôpital phare, et c’est Lassner qui avait anesthésié le Général De Gaulle en 1964, pour son opération de la prostate. Son idée, c’était d’introduire des traitements non médicamenteux surtout pour les patients très âgés et fragiles de chirurgie urologique. Ça n’avait pas pris, c’était une époque où l’on ne pensait qu’au développement technologique.

Quand le Dr Faymonville s’est penchée sur l’hypnose, dans les années 90, c’était dans l’espoir de réduire les doses de médicaments. Elle avait à côté d'elle des chercheurs en neurosciences qui travaillaient sur les altérations de la conscience. Ils ont eu l’idée de faire passer des scanners puis des IRM à des personnes placées sous hypnose, et ils ont constaté des modifications de l’activité cérébrale.  

Quand nous sommes allés la voir, elle utilisait l’hypnose pour de la chirurgie thyroïdienne sous locorégionale, avec très peu d’analgésiques. Nous avons trouvé que c'était formidable pour le patient et pour l'ambiance au bloc et nous avons décidé de l’utiliser pour la chirurgie carotidienne. Je me suis formé, et avec le chirurgien nous avons a commencé vers 2007. À l'époque l'hypnose était peu employée. Je vois toujours des patients en consultation, soit avant une intervention sous anesthésie s’ils sont très anxieux, soit au cours de leur traitement contre le cancer. Le but, c'est de leur donner des outils pour accepter leur problématique actuelle. L'hypnose permet ce changement de perception.

Maintenant tout le monde en parle.
L’hypnose s’est-elle imposée ?   

C'est une impression. Il y a une distorsion entre l'engouement, les formations qui fleurissent pour les professionnels de santé, le bruit médiatique et la mise en pratique. Pour que l’hypnose soit utilisée, il suffit que l’intervention chirurgicale soit sous anesthésie locale ou locorégionale et que les personnels soient formés. Mais il faut aussi que ces personnels aient la perception qu'ils peuvent l’utiliser, quel que soit le contexte. C’est le plus compliqué car à leurs yeux le contexte est rarement favorable : « le patient n'est pas assez informé, les équipes vont être réticentes, etc.».

Nous sommes dans une société de procédures, de filières, de contrôle, alors les soignants pensent qu'il faudrait des filières spécifiques pour l’hypnose, bien identifiées. Sur le terrain, malgré des efforts d’organisation, quelquefois on prévoit de l’hypnose pour le patient programmé en salle 5, mais finalement il part en salle 8, dont l'équipe n'est pas formée, donc on laisse tomber. Il est plus facile de changer un patient de salle que l’équipe.

En même temps, je crois qu’il faut être plus souple, faire comme ça vient, malgré ces problématiques organisationnelles. En effet il n’y a pas besoin d'une longue préparation du patient pour commencer une hypnose conversationnelle. Il faut juste pratiquer, ne pas avoir peur. Et faire.

Est-ce que l’hypnose va diffuser ? Je n'en suis pas certain. Nous sommes à la croisée des chemins : si on parvient à une adéquation entre l’engouement et la pratique, alors elle se développera. Sinon elle restera peu déployée.

En pratique, pour exister, l’hypnose repose sur la volonté personnelle de 2-3 soignants, dans une équipe, qui entraînent les autres. Ça tient à pas grand-chose. À l’hôpital Saint-Louis, on fait de la chirurgie du sein sous AR, et on a mis en place un groupe What’s App qui regroupe tous les médecins et infirmières qui pratiquent l'hypnose au bloc. La secrétaire annonce au groupe le planning opératoire. Ça permet d’avoir toujours une personne formée à la tête du patient. On utilise les nouvelles technologies de communication pour favoriser une technique de communication.

Pour les soignants, une intervention sous hypnose
est-elle très différente ?

De manière générale, l’ambiance au bloc a beaucoup changé. Nous sommes dans l’ère d’une communication tous azimuts. L'hypnose amplifie ce mécanisme. Elle apporte de l'apaisement. Moins de bruits, des paroles mesurées… Quelque chose se passe de l’ordre de la douceur. Ce n'est pas un silence de cathédrale mais il y a beaucoup de respect, d'attention à ce que l'on fait, au patient, y compris de la part du chirurgien. Une étude2 a montré que dans notre spécialité hyper-technique l’hypnose ré-humanise la relation au patient, redonne du sens au travail du soignant. 

Mais pour certains chirurgiens, souvent les anciens, cela peut ne pas convenir. Ils acceptent l’anesthésie locorégionale avec réticence. C'est comme nous, anesthésistes, aux débuts de la coelioscopie : cette technique nous semblait difficile. L’hypnose nécessite d’abord une possibilité chirurgicale (anesthésie locale ou locorégionale), puis un vrai engagement, et un peu d’organisation.

L’anesthésiste doit connaitre la chirurgie, anticiper les gestes pour adapter le discours hypnotique au temps opératoire. Je me souviens d’une infirmière formatrice en hypnose qui n'était pas anesthésiste : quand elle venait au bloc cela ne fonctionnait pas car elle ne connaissait pas les temps opératoires.

Les personnes qui font de l'accompagnement hypnotique doivent rester dans leur métier. C’est primordial : une infirmière en service de soin peut l’utiliser pour limiter des douleurs post-opératoires ou pendant un pansement, mais elle n’a pas la connaissance du bloc et son contexte. Un « livre blanc »* consacré à l’hypnose sera publié cet automne, pour encadrer la pratique dans le cadre médical comme l’ont fait les ostéopathes par exemple. Ce n'est pas évident car l’hypnose est avant tout une technique de communication et de soin.

L'intervention dure plus longtemps ? 

C’est une idée fausse. Si l'hypnose est intégrée dans la pratique, pour le chirurgien ça ne prend pas plus de temps. J'ai vérifié ça récemment, en pratiquant l'hypnose sur des patients de radiologie interventionnelle, pour des gestes assez douloureux. L'intervention a pris exactement 2 minutes de plus. Pendant que la radiologue préparait son matériel je m’occupais de l’induction hypnotique.

Si ça rallongeait la durée des interventions, c'est sûr que ça poserait un problème aux directions d'établissements qui se préoccupent bien plus du rendement que de l'intérêt pour le patient ou le service. Le tout, c’est de s’entraîner. Une fois encore, il faut s‘y coller, et en faire, le plus possible. Avec l'ambulatoire, le champ des anesthésies locorégionales s’est ouvert. Si les équipes s’engagent dans cette voie, cette pratique deviendra banale. Sinon elle déclinera.

Votre conseil à un.e jeune anesthésiste qui hésite à se lancer ?

Ne réfléchis pas, forme-toi, fais-le. Il te faut de l'envie, un peu d’audace, quelques personnes qui te soutiennent, et tu fais. Tu fais. Il suffit que le chirurgien accepte la locorégionale, et tu fais, tu réussis ou tu te plantes, mais tu fais.




(Propos recueillis par Benoît Blanquart)



1- Dans ce recueil, Marc Galy a réuni des textes écrits par douze auteurs - dont Philippe Delerm - issus d'univers très différents (médical, philosophique, artistique). Tous explorent la notion de présence à soi et aux autres. La présence est le 1er temps de l’hypnose. Ed Flammarion.

2- La pratique de l’hypnose en anesthésie diminue l’incidence du burnout des soignants
Annick Bidou, Guillaume Specht, David Naudin, Jean Louis Sergent, Brigitte Brosseau, Monique Guinot, Georges Mion
September 2015 - DOI: 10.1016/j.anrea.2015.07.484

Résumé :
La pratique de l’hypnose en péri-opératoire suppose une « alliance thérapeutique » basée sur l’écoute, la congruence, l’empathie et le partage d’émotions par la mise en jeu des neurones miroirs. Par ce biais, l’hypnose pourrait induire chez le soignant un effet protecteur vis à vis du burnout dont on connaît la prévalence en anesthésie-réanimation.
Cette étude visait à objectiver les effets bénéfiques de la pratique de l’hypnose au bloc opératoire sur le burnout syndrome (BOS). 101 questionnaires proposant les 22 items du Maslach Burnout Inventory (MBI) ont été exploités, afin de comparer la catégorisation du BOS en 4 classes (sujet « sain », BOS 1 = bas, BOS 2 = modéré et BOS 3 = élevé) au sein des « pratique de l’hypnose » et « pas de pratique » (groupe témoin).

Résultats :
Une prévalence inférieure de BOS dans le groupe hypnose a été observée. La pratique de l’hypnose ne diminue pas significativement l’épuisement émotionnel, mais elle diminue la déshumanisation de la relation au patient, qui semble être prévenue par une communication adaptée avec un patient acteur du soin et non plus chosifié. L’hypnose augmente l’accomplissement personnel : cette pratique reconnue, valorisante et efficace permettant au soignant de redonner un sens à son travail, en accord avec ses valeurs professionnelles.