L’IA en médecine : théorie et pratiques (2/2)

L'intelligence artificielle détrône déjà le praticien dans certains domaines très spécifiques. Elle devrait devenir une auxiliaire précieuse. La question n'est pas tant de savoir si elle remplacera l'humain, mais plutôt quelle place lui cèdera l'humain.


Joris Galland est spécialiste en médecine interne. Après avoir exercé à l'hôpital Lariboisière (AP-HP) il a rejoint le CH de Bourg-en-Bresse. Passionné de nouvelles technologies, il se propose dans notre blog «Connexion(s)» de nous en expliquer les enjeux.

Nous avons maintenant une idée plus précise de ce qu'est l'intelligence artificielle (IA). Mais que pouvons-nous en attendre dans le champ de la médecine ?

En termes d’avancée technologique, on opposait historiquement l’IA (plutôt considérée comme la partie «software») à la robotique. De nos jours, IA et robotique semblent converger de plus en plus pour créer des robots humanoïdes intelligents capables de réaliser des tâches de complexité grandissante. Ces dernières années, il faut néanmoins constater que la partie IA s’est développée beaucoup plus vite que la robotique. Cela veut-il dire que les métiers intellectuels vont disparaître au profit des IA, plus performantes et qui coûteraient moins cher à l’employeur ? La réponse n’est pas tranchée. Prenons un exemple concret : la reconnaissance d’images. Les images numériques se comptent par milliards de milliards, et, on le sait, plus une IA reçoit de données, plus elle apprend, et plus elle est performante et précise.

Dans le domaine de la santé, les spécialités les plus impactées par l’IA sont la radiologie, la dermatologie et l’anatomopathologie. En effet ces spécialités sont sources d’une quantité considérable d’images étiquetées d’un diagnostic précis, c’est-à-dire ce qu’on appelle une donnée «propre», utilisable immédiatement. Il suffit d’instruire l’IA en lui indiquant un résultat binaire : cancer versus pas cancer, mélanome versus pas mélanome, infection versus pas d’infection, etc.

La force réside ici dans le fait que le diagnostic indiqué à la machine est renforcé par ce que l’on sait du patient a posteriori : biopsie ultérieure ayant confirmé le caractère malin du nodule pulmonaire suspect, biomarqueur ayant confirmé le caractère sensible à telle hormonothérapie du cancer du sein, etc. L’Homme est donc encore très utile dans le processus de machine learning.


L'oeil du tigre

Les progrès actuels du matériel d'imagerie permettent de distinguer les différences infimes de densités tissulaires. L’IA est capable de différencier des milliers de densité de gris présentes sur une image, là où l’oeil humain - même celui d’un radiologue expérimenté - n’en distingue qu’une dizaine.1 Par cette précision d’analyse de l’image et grâce à l’apprentissage profond l’IA fait aujourd’hui aussi bien, voire mieux, que le radiologue.

Ce fut le cas dans une étude publiée en 2019 dans la revue Nature2 : une équipe de chercheurs a mis au point un algorithme afin de prédire le risque de cancer du poumon à partir d’image de tomodensitométrie à faible dose. Lorsqu’une image antérieure du patient était disponible afin de la comparer à l’image actuelle, les performances de l’IA étaient identiques à celles du radiologue. Mais quand aucune image antérieure n’était disponible, l’IA faisait mieux que l’œil humain, avec une sensibilité de 94,4% et une réduction de 11% des faux positifs et de 5% des faux négatifs par rapport au radiologue. Il faut des années pour former un radiologue, versus quelques jours pour former une IA en reconnaissance visuelle : si cette dernière fait mieux que le radiologue, ce métier n’est-il pas voué à disparaître ? «La mort des radiologues est une question d’années : la machine va bientôt réaliser leur travail beaucoup mieux qu’eux.» affirme par exemple Laurent Alexandre.3


L'auxiliaire du praticien

Grâce à une analyse pixel par pixel l’IA est actuellement un très bon analyseur d’images. À l’avenir elle sera sans doute présente sur bien d’autres terrains. Néanmoins, nous ne sommes pas encore arrivés à cette étape où l’IA peut remplacer le médecin. Au contraire, elle pourrait être une aide très précieuse pour le praticien de chair et d’os. On parle même de «prothèse artificielle pour le neurone biologique».

Exemple. Le logiciel IDx-DR utilisant l’IA pour la détection des rétinopathies diabétiques modérées à sévère a été autorisé par la FDA en 2018. Il peut être utilisé par n’importe quel médecin de soin primaire aux États-Unis. Il lui suffit de rentrer l’image de la rétine de son patient dans le Cloud du logiciel, lequel fournit au médecin un des deux résultats suivants :

  1. Rétinopathie diabétique détectée (se référer à un spécialiste).
  2. Rétinopathie diabétique négative.

Cette autorisation de pratique de dépistage étendue aux médecin généraliste vise à répondre à un véritable problème de santé publique outre atlantique : 50% des patients diabétiques ne consultent pas leur ophtalmologue comme ils le devraient.

Dans nos pratiques de soins primaires l’utilisation au quotidien de logiciels de dépistage ou de diagnostic utilisant l’IA permettrait un gain de temps précieux. Un «bilan de débrouillage» au cabinet améliorerait la prévention de certaines maladies, optimiserait leur prise en charge et éviterait les avis spécialisés non justifiés... Une clef pour diminuer la consommation de soin, mais aussi pour réduire la fracture géographique de l’accès aux soins. Seule zone d’ombre : en cas d’erreur médicale, la faute à qui ? Au médecin qui utilise l’IA ou à la société qui la commercialise ?


L’IA en médecine, 3 scénarios

Dans les années à venir, l’évolution des technologies mais aussi des mentalités et de l’acceptation des patients vont profondément modifier l’utilisation de l’IA en pratique clinique. Trois scénarios sont possibles :


Conclusion

Impossible de savoir comment évoluera cette relation médecin-IA. Néanmoins les nouvelles technologies ont déjà bouleversé notre quotidien. Réseaux sociaux, internet des objets, 4 et bientôt 5G… La société est de plus en plus numérique et génère de la big data à profusion. Tout va toujours plus vite, tout est toujours plus précis.

Avec ou sans IA la médecine devient celle des 4P : prédictive, préventive, personnalisée et participative. Quid de la place du médecin ? Kai-Fu Lee - père de la reconnaissance vocale et figure de l’IA - esquisse une piste : si l’IA aide le médecin dans les tâches administratives ou réduit la durée de raisonnement clinique, peut-être l’aidera-t-elle à se recentrer sur l’aspect «humain» de la médecine ? 4 Un aspect, il en est certain, qui échappera toujours à l’IA et à la machine : «Nous sommes loin de comprendre le cœur humain et à des années lumières de le reproduire.»



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Références :
1- Hosny A, Parmar C, Quackenbush J, Schwartz LH, Aerts HJWL.
Artificial intelligence in radiology. Nat Rev Cancer. 2018;18(8):500–10.
2- Ardila D, Kiraly AP, Bharadwaj S, Choi B, Reicher JJ, Peng L, et al.
End-to-end lung cancer screening with three-dimensional deep learning on low-dose chest computed tomography. Nat Med. 2019;25(6):954–61.
3- La Guerre des intelligences : intelligence artificielle versus intelligence humaine, Laurent Alexandre, Paris, JC Lattès, 2017, 250 p.
4- I.A. La plus grande mutation de l’histoire, Kai-Fu Lee, Paris, Les Arènes, 2018