Les intelligences artificielles vaincront-elles le cancer ?

Des vêtements connectés aux applications de détection des rechutes, des études sur le génome aux progrès de l'imagerie... Les intelligences artificielles investissent tous les champs de l'oncologie. La clef, c'est la capacité de collecter et traiter le big data. Les géants du web sont une fois de plus des acteurs indispensables.


Joris Galland est spécialiste en médecine interne. Après avoir exercé à l'hôpital Lariboisière (AP-HP) il a rejoint le CH de Bourg-en-Bresse. Passionné de nouvelles technologies, il se propose dans notre blog «Connexion(s)» de nous en expliquer les enjeux. 

Le cancer est la deuxième cause de décès dans le monde. Avec 8,8 millions de morts en 2015, il est responsable de près d’un décès sur 6.1 En France, le nombre global de nouveaux cas de cancer augmente chaque année depuis trente ans. En cause, l’allongement de l’espérance de vie (explosion des cas de du sein ou de la prostate), les facteurs comportementaux et environnementaux mais aussi l’amélioration des méthodes diagnostiques.

Le cancer incarne pour certains l’échec de la médecine moderne. Pourtant, la médecine a fait d’importants progrès concernant le dépistage des cancers (dosage des PSA), leur diagnostic et les traitements ciblés des cellules néoplasiques. En l’espace d’un demi-siècle, la recherche scientifique a réussi à améliorer notablement le pronostic de certains cancers avec l’arrivée de biothérapies et de thérapies géniques. Sans oublier le rôle majeur des campagnes de prévention et/ou de dépistage. L’Intelligence artificielle (IA) devrait bouleverser la cancérologie dans les dix prochaines années. Voici comment. 


Pixels et «wearables» 

Le dépistage précoce d’un cancer est un élément indispensable pour améliorer le pronostic. La rapidité de diagnostic en imagerie est déjà révolutionnée par les IA. Alors qu’il faut une dizaine d'années de formation à un cerveau humain pour apprendre la radiologie, une IA de Google parvient à détrôner les meilleurs radiologues dans le diagnostic du cancer bronchique après seulement quelques jours d’entraînement.2

Finalement, quoi de plus facile pour une IA ? L’ordinateur peut une image pixel par pixel, l’oeil et le cerveau humain en sont incapables. Grâce à sa précision d’analyse et au deep learning l’IA devient un allié du radiologue. En 2019, dans la revue Nature, une équipe de chercheurs présentait un algorithme de prédiction du risque de cancer du poumon à partir d’images de scanner à faible dose. Quand aucune image antérieure n’était disponible, l’IA faisait mieux que le radiologue avec une réduction de 5% des faux négatifs.

Les vêtements connectés (ou wearables) sont une autre innovation, à la croisée de l’internet des objets et des IA. Connaissez-vous le soutien-gorge qui détecte le cancer du sein ? Le laboratoire américain Cyrcadia propose un prototype nommé iTbra™. Ce gilet-soutien-gorge permet la détection de cancer du sein à des stades précoces avec au moins autant de sensibilité qu’une mammographie.3

Composé de deux patchs mammaires intelligents placés dans un soutien-gorge, ce wearable identifie les changements de température dans le tissu mammaire. Une IA d'analyse prédictive à apprentissage automatique permet d'identifier et de classer les anomalies dans les tissus mammaires. En cas d’anomalie, le système préviendra le patient d’aller consulter un médecin pour pratiquer les examens d’imagerie adéquat. Les premiers résultats sont prometteurs et une certification est en cours. 

Si ce système est si performant, pourquoi ne pas utiliser la même technologie avec un sous-vêtement connecté qui détecterait les cancers des organes génitaux ? Ou bien un tee-shirt qui détecterait la présence de tumeur ? Cela paraît relever de la science-fiction, mais le domaine du wearable avance à grand pas. Le tee-shirt Hexoskin4 permet déjà d’évaluer les paramètres vitaux du patient, les volumes respiratoires, la qualité du sommeil, etc. Le dispositif a été testé chez les patients Covid-19, dans le cadre de la réhabilitation à domicile ou encore dans des travaux de recherche. 


Les apports du génome

L’espoir des oncologues ne repose pas que sur le diagnostic très précoce des premières cellules cancéreuses. L’idéal, ce serait d’améliorer la prédiction du cancer, avant même la formation de la première cellule cancéreuse. C’est là qu'interviennent les progrès de la génétique. 

Dans les années 1990, les plus grands chercheurs affirmaient que le génome humain ne serait jamais séquencé, ou pas avant des centaines d’années. Les progrès de l’informatique ont rendu cet exploit possible : il suffit de quatre heures à certaines machines pour séquencer la totalité du génome humain et pour seulement quelques centaines de dollars (on appelle cela la «NGS», pour Next Generation Sequencing). Dans les dix prochaines années, la vitesse de séquençage devrait s’améliorer de manière exponentielle et pour des coûts modestes. 

Si le séquençage du génome ne pose plus de difficulté, l’interprétation des masses de données générées devient problématique. Aucun généticien n’est capable d’interpréter ce flux d’informations. C’est là que l’IA entre en jeu. Une vaste étude génomique réalisée sur près de 10.000 femmes atteintes d’un cancer de l’ovaire a permis d’identifier un variant génétique fréquent augmentant la susceptibilité de survenue de la tumeur de 20 à 40%. 5 Avec la NGS, il serait possible de dépister ce variant chez les  femmes, dès la naissance, et de leur proposer un suivi rapproché le cas échéant. Nous ne sommes plus loin de l’univers du film Bienvenue à Gattaca ; un cadre légal devient indispensable.


De la pharmacovigilance à la détection des rechutes

Les IA permettent, entre autres, l’analyse des big data. Elles ont la capacité de faire des liens entre un facteur de risque et un cancer, alors même que le cerveau humain n’en aurait pas eu l’idée. Par exemple, une IA a permis de mettre en exergue le lien entre le médicament pioglitazone (antidiabétique) et le cancer de vessie, entraînant le retrait du médicament. Si cet algorithme, dont l'entraînement ne prend que quelques minutes, était déployé à grande échelle, cela permettrait  une véritable révolution de la pharmacovigilance avec la détection des effets secondaires en temps quasi-réel.

Un des rôles de l’oncologue est de prédire et diagnostiquer le risque de rechute d’un cancer en rémission : là encore, les nouvelles technologies seront d’une aide précieuse. L’application MOOVCARE POUMON est une application qui  permet de détecter une potentielle rechute d’un cancer du poumon.6 Elle analyse, chaque semaine, l’évolution des symptômes à l’aide d’un questionnaire rempli par le patient. 

Cette application utilise un algorithme qui atteint une sensibilité de détection des rechutes proche de 100%. Surtout, celles-ci peuvent être détectées cinq à six semaines plus tôt que les scanners, classiquement réalisés tous les trois mois. L’oncologue référent est alors directement alerté. Des tests sont à l’étude pour le cancer du sein, du rein, de la prostate ou encore le lymphome. Fort de son efficacité et du service médical rendu, l’application est  validée par la HAS et prise en charge par la sécurité sociale. 


Un marché qui s’ouvre aux géants du web 

Cette liste de projets de santé connectée en oncologie n’est pas exhaustive. Bien d’autres start-up travaillent sans cesse pour améliorer la prédiction, la détection précoce, le diagnostic et le traitement des cancers. L’élément déterminant, pour ces entreprises, c'est la collecte des big data. Ce facteur n’est pas limitant pour les GAFAMI américaines ou les BATX chinois. Les géants du web s’immiscent donc de plus en plus dans le domaine de la cancérologie. 

Nous l’avons vu, IBM se met à diagnostiquer des cancers rares et à identifier le meilleur traitement grâce à sa super IA Watson. De son côté, le laboratoire de biotechnologies de Google X, nommé «CALICO», travaillerait secrètement sur un projet d’Homme immortel, via les fameux «ciseaux à ADN» CRISPR-Cas9. L’idée est ici d’augmenter l’humain en modifiant son ADN afin qu’il ne tombe plus malade. Encore une fois, la mise en place d’un cadre juridique devient urgente, si l’on ne veut pas sombrer dans l’eugénisme. 

Google travaille également sur une nanoparticule qui pourrait se diffuser dans le sang afin,  par exemple, de découvrir des cellules cancéreuses ou les combattre. Cette nanoparticule pourrait même communiquer directement avec la montre de la personne pour l’alerter en cas de découverte d’une maladie.7

Tencent, la multinationale chinoise qui opère notamment l'application de messagerie WeChat a voulu se positionner en force. Elle a lancé en 2017 Artificial Intelligence Medical Innovation  System (AIMIS),un système d’imagerie médicale fondé sur l’intelligence artificielle. AIMIS permet le dépistage de plusieurs maladies, dont la rétinopathie diabétique et certains cancers. Le système, en cours de validation clinique dans une centaine d’hôpitaux du sud de la Chine, a permis aux médecins d'analyser plus de cent millions de clichés. D’après la firme, le taux d’exactitude de la reconnaissance d’images s’élève à 90% pour le cancer de l’œsophage et 97,2% pour le cancer colorectal. La puissance de frappe de ces géants, bien que déloyale envers les petites entreprises, permettra sans aucun doute des avancées spectaculaires en oncologie. 

Et vous, qu’en pensez-vous ? Le cancer sera-t-il prochainement une maladie rare grâce à l’IA ?

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Références :

1- OMS - Cancer : principaux faits
2- Ardila D, Kiraly AP, Bharadwaj S, Choi B, Reicher JJ, Peng L, et al. End-to-end lung cancer screening with three-dimensional deep learning on low-dose chest computed tomography. Nat Med. 2019;25(6):954–61.
3- An introduction to the Cyrcadia Breast Monitor: A wearable breast health monitoring device
4- Hexoskin. Vêtements biométriques pour le sport, la recherche et la santé
5- Ford D, Easton DF, Stratton M, Narod S, Goldgar D, Devilee P, et al. Genetic Heterogeneity and Penetrance Analysis of the BRCA1 and BRCA2 Genes in Breast Cancer Families. Am J Hum Genet. 1998;62(3):676–89.
6- Moovcare®
7- Slate Magazine.Oremus W. Google Wants to Monitor Your Body With Nanoparticles.