« L’accès à la contraception masculine devient une question de premier plan. »<br>(Alan Charissou)

Si la vasectomie suscite un certain engouement, les méthodes de contraception masculine réversibles, comme la contraception thermique, peinent à se développer. La recherche souffre d'un manque de financements, alors que la demande des hommes s'accroît.



Médecin généraliste, Alan Charissou a d’abord exercé en centre de santé avant de dériver progressivement vers la santé publique (municipalité de Montreuil puis PMI de Moselle).

Tout en conservant une activité clinique, il a développé une expertise en santé sexuelle et reproductive, notamment grâce à sa gestion de la mission départementale de planification familiale, et à son travail d’animation nationale des référents départementaux de la planification familiale.

Le Dr Charissou est également le responsable du groupe de travail «Contraception masculine» du Collège de la Médecine Générale.1 Par ailleurs, il coordonne à titre bénévole les projets de recherche et les actions de communication médicale d’Entrelac.coop, une structure créée en 2022 pour promouvoir toutes les formes de contraception masculine.


Dr Charissou, comment fonctionnent les contraceptions masculines ?

Deux méthodes permettent de bloquer, de manière réversible, la spermatogénèse. L’objectif, c’est de passer sous le seuil fixé par l’OMS d'un million de spermatozoïdes par millilitre d'éjaculat. En dessous, la probabilité de procréation est aussi faible qu'avec les méthodes de haute efficacité déjà existantes (vasectomie, ligature des trompes, DIU, implants).

À ce jour, la contraception hormonale orale ne fonctionne pas chez l’homme. Toutes les molécules testées sont détruites lors du passage hépatique. Par contre, des injections intramusculaires hebdomadaires d'énanthate de testostérone ont été testées avec succès dans les années 1990. L’OMS recommande de n’utiliser cette méthode que pendant 18 mois car les essais cliniques ne sont pas allés au-delà. Il faut aussi prévoir une contraception en parallèle pendant les trois premiers mois, le temps que le blocage de la spermatogenèse soit bien établi.

L’énanthate de testostérone étant commercialisé en France, les hommes peuvent avoir recours à cette forme de contraception hormonale. Pour trouver un.e professionnel.le qui assure ce type de suivi, le mieux est de prendre contact avec l’Association pour la Recherche et le Développement de la Contraception Masculine (Ardecom).2

D’autres pistes sont explorées concernant la contraception hormonale non orale. Des essais de phase 3 sont en cours sur un gel cutané qui contient de la testostérone et que l'on applique deux fois par jour, sur certaines zones du corps. Une mise sur le marché est envisagée dans 7 à 10 ans maximum. Le développement d’un implant, comme chez les femmes, est aussi à l’étude.

La deuxième méthode pour bloquer la spermatogénèse, c’est la contraception thermique. Elle consiste à élever la température des testicules. Pour y parvenir, on peut soit appliquer une chaleur exogène – avec un sous-vêtement chauffant par exemple –, soit utiliser la chaleur du corps qui est supérieure de 2 à 4° à celle du scrotum. Cette différence est faible mais suffisante. Le principe est simple : plus l’élévation de la température est modérée, plus le temps d’exposition à la chaleur doit être long.

Outre ces techniques de contraception réversibles, il faut évoquer la vasectomie. Elle  connaît un fort engouement 3 mais son développement est bridé pour deux raisons. D’abord, trop peu de professionnel.le.s de santé effectuent cet acte de chirurgie mineure. Ensuite, le cadre légal français impose que les vasectomies soient réalisées à l’hôpital ou en clinique. Des voix militent pour que la loi change et que les vasectomies puissent enfin être réalisées dans les cabinets médicaux et les centres de santé sexuelle, comme c’est déjà le cas depuis des décennies au Québec ou en Angleterre.


La contraception thermique, c’est nouveau ?

Pas du tout. Le principe est connu depuis longtemps. Hippocrate avait déjà observé que les testicules maintenus au chaud altéraient la fécondité.

La pionnière de la contraception masculine, c’est Marthe Voegeli, une médecin suisse. Dans les années 1930, elle travaillait en Inde dans son propre hôpital privé. C’est là qu’elle a commencé à mener des recherches pour limiter la fécondité de manière réversible, dans un contexte de famines.

Des volontaires baignaient leurs testicules dans un bain chaud, 45 minutes par jour pendant trois semaines. Voegeli a observé qu’à l'issue de cette expérimentation les hommes devenaient temporairement infertiles, puis pouvaient de nouveau avoir des enfants en pleine forme. La durée de l'infertilité variait selon la température de l’eau : un bain à 46,7°C assurait une contraception pendant six mois, contre quatre mois seulement avec une eau à 43,3°C.  

À partir de 1950, Marthe Voegeli s’est consacrée à populariser cette méthode mais avec peu de succès. Dans les années 1980, l’épidémie de VIH a marqué un coup d’arrêt aux expérimentations sur la contraception masculine, le préservatif devenant prioritaire.


Quels sont les dispositifs utilisés pour la contraception thermique ?

On peut isoler thermiquement le scrotum pour bloquer sa thermorégulation, avec des slips «isolants». Cela ne fonctionne pas très bien. La méthode la plus efficace est très simple : elle consiste à remonter les testicules pour les coller au corps. Trois dispositifs sont actuellement utilisés : le slip toulousain, le jockstrap et l’anneau en silicone. Aucun n’a pour l’instant obtenu la certification européenne nécessaire à tout dispositif médical pour être commercialisé en France.

La remontée testiculaire fonctionne très bien à condition qu'elle soit mise en oeuvre au moins 15h par jour. Le protocole, très strict, prévoit l'utilisation d'une autre contraception pendant les trois premiers mois, le temps que le blocage de la spermatogenèse soit effectif et confirmé par un spermogramme de contrôle. Cet examen doit par la suite être effectué tous les trois mois, aussi longtemps que la méthode est utilisée.

Le slip toulousain est une invention de Roger Mieusset, andrologue au CHU de Toulouse et par ailleurs membre de l’Ardecom. Cette association fut créée en 1979 par une dizaine d'hommes issus de milieux militants et soucieux de prendre en charge leur part dans la contraception.

À ce jour, ni le slip toulousain ni le jockstrap ne sont fabriqués de manière industrielle. Il est assez difficile de s’en procurer : soit il faut consulter au CHU de Toulouse, soit il faut les fabriquer soi-même. Dans les milieux militants, il existe depuis plus de dix ans des ateliers «couture» où des hommes expliquent comment faire.

Un infirmier, qui trouvait peu pratique de devoir fabriquer soi-même le slip toulousain, a conçu l’Andro-switch. C'est un simple anneau en silicone qui remonte et maintient les testicules. Le succès a été immédiat : plus de 10.000 exemplaires ont été écoulés depuis 2018. Conséquence : les médias se sont emballés et les instances sanitaires françaises ont commencé à s’intéresser à cette méthode et à ses dispositifs.

La démarche de l’inventeur de l’Andro-switch était purement pragmatique : il n’a effectué ni essai clinique ni test de conformité aux normes CE. L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a finalement interdit l’utilisation de l’anneau fin 2021, sauf dans le cadre de travaux de recherche. Ses arguments ? Un risque de grossesse non désirée, «d'éventuelles atteintes à la santé des utilisateurs, en particulier ceux qui présenteraient des facteurs d'hypofertilité» ou encore «des problèmes de santé aux enfants qui auraient été conçus avec ce dispositif de contraception ou au cours des six mois suivant son arrêt.»

 
Ces craintes vous semblent-elles justifiées ?

Dans le domaine de la contraception masculine, les travaux scientifiques réalisés ont toujours été de faible envergure. Nous l'avons vu avec les études pilotes de l’OMS sur les injections intramusculaires. Ces essais ne semblent pas intéresser les bailleurs de fonds, probablement car ils pourraient faire émerger des modes contraceptifs concurrents de la contraception hormonale féminine, un marché suffisamment rentable pour l’industrie pharmaceutique.

Nous avons donc peu de données cliniques fiables sur d’éventuels risques liés à la remontée testiculaire. Une augmentation du risque de développer un cancer des testicules est parfois évoquée. Cette crainte dérive d’un rapprochement un peu trop simpliste entre remontée testiculaire et cryptorchidie.

On sait que chez les hommes cryptorchides le risque de développer un cancer testiculaire est multiplié par 7. Mais l’analogie avec la remontée testiculaire n’est pas possible, pour deux raisons. La première, c’est que la cryptorchidie expose des testicules non matures à une température supra scrotale. Dans le cas de la contraception thermique, les testicules sont déjà pubères. C’est quand même très différent. D’ailleurs, les études épidémiologiques ou expérimentales qui ont exploré les effets d’une exposition des testicules pubères à une température équivalente à celle du corps humain n’ont jamais mis en évidence une augmentation du risque de cancer du testicule.

L’autre raison qui invalide cette analogie, c’est que les recherches visant à expliquer l’élévation du risque de cancer testiculaire chez les hommes cryptorchides ont disqualifié le facteur thermique ; ce n'est pas l’exposition à la chaleur intra abdominale qui serait responsable des cancers testiculaires, mais plutôt des facteurs génétiques ou hormonaux.

Par ailleurs, il a été question d'un risque théorique lié à la contraception thermique : l'altération de l’ADN dans les spermatozoïdes. Là aussi, les données manquent. Mais il est très simple d'écarter tout risque tératogène en demandant aux hommes concernés d’utiliser une autre contraception pendant les six mois qui suivent l'arrêt de la contraception thermique. Cette conduite à tenir est tout à fait similaire à celle  recommandée lors de l’utilisation des médicaments tératogènes commercialisés, comme le traitement de l’acné par l'isotrétinoïne par exemple.

Enfin, l’hypothèse d’un risque de sténose de l'urètre chez les hommes porteurs d’un Andro-switch a été avancée. L’anneau serre en effet légèrement la base du scrotum. Une étude rétrospective récente, la plus grande jamais réalisée sur tous les dispositifs de remontée testiculaire, semble écarter cette hypothèse.

Dans le cadre de sa thèse 4 de santé publique, Manon Guidarelli a réalisé un suivi – sur une durée allant jusqu'à quatre ans – de 970 hommes qui utilisent la contraception thermique. Parmi les 900 participants qui se servaient de l’anneau depuis au moins six mois, aucun cas de sténose de l'urètre n’a été signalé. Une gêne urinaire en fin de miction a par contre été évoquée dans 20% des cas. Il est donc conseillé de retirer l’anneau au moment de la miction.

Dans cette étude, aucune grossesse non désirée n’a été enregistrée chez les participants qui ont respecté le protocole : port du slip ou de l’anneau 15h par jour et spermogramme tous les trois mois. Au total, cela représentait 3.752 cycles d’exposition.


Quel est le rôle d’Entrelac.coop, la structure dans laquelle vous vous investissez bénévolement ?

Ce qui manque pour réaliser des essais cliniques d’envergure sur la contraception masculine, c’est le financement. Entrelac.coop est une société coopérative d'intérêt collectif, statut juridique qui nous permet de récolter des fonds. À défaut de trouver des bailleurs en Europe, nous venons de répondre à l’appel d’offre d’une organisation américaine, Male Contraceptive Initiative. Soutenue notamment par la Fondation Bill-et-Melinda-Gates, elle propose de financer des recherches sur les méthodes de contraception non hormonales.

Le premier projet accompagné par Entrelac.coop vise à soutenir l’obtention de la certification européenne pour l’Andro-switch. Nous avons fait ce choix car pour obtenir cette certification le dispositif doit être fabriqué de manière industrielle. Seul l’anneau en silicone est à ce stade de développement. Par la suite, nous espèrons pouvoir aider tous les autres dispositifs dans cette démarche.

Nous prévoyons donc de mener deux études sur l'Andro-switch. La première étude portera sur la sécurité : 60 participants utiliseront l’anneau pendant deux ans et nous mettrons en place une surveillance exhaustive de tous les effets indésirables qui pourraient survenir. La seconde étude concernera l’efficacité de ce produit. Nous échangeons actuellement avec l’ANSM pour baliser les protocoles de ces travaux.   


La contraception masculine a-t-elle une dimension féministe ?

Elle a surtout une dimension sociétale. Si la contraception masculine peut être intéressante pour les femmes qui sont en impasse contraceptive, le combat actuel de nombreuses femmes porte avant tout sur les possibilités d’avoir le contrôle de leur propre corps. Les mouvements féministes militent donc plutôt pour la mise au point et la diffusion de nouvelles méthodes contraceptives féminines.

Par contre, la contraception masculine reste pour beaucoup une démarche militante. Le slip contraceptif a été développé par des hommes post-soixante huitards, sensibilisés aux questions féministes. Ils ont fabriqué et testé eux-mêmes les premiers modèles. On retrouve cet état d’esprit militant dans les ateliers actuels de “Do It Yourself”. Là, on peut trouver des conseils de couture pour les slips ou des plans pour imprimer en 3D les moules permettant de fabriquer des anneaux contraceptifs.

Toutes proportions gardées, la dimension militante de la contraception masculine peut être comparée à celle qui a entouré les débuts de l’AZT, dans les années 1980. Quand cet antirétroviral a été commercialisé, il était disponible aux États-Unis mais pas en France, sous prétexte qu’il n’y avait pas suffisamment de demandes. Les malades du SIDA se sont battus pour y avoir accès, en disant «Laissez-nous prendre le risque de tester ce traitement.»

Aujourd’hui, de nombreux hommes réclament d’avoir accès à la contraception thermique, avec ou sans l’accord de l’ANSM. Bien sûr, les enjeux ne sont pas les mêmes ! Avec le sida il était question de mort, là le risque est celui d'une grossesse non désirée. Mais les hommes qui décident d’avoir recours à cette méthode de contraception revendiquent le fait que leur corps et leur santé leur appartiennent, que ce n’est pas au corps médical de décider à leur place. Ils interrogent de la même manière le pouvoir des soignants sur les soignés et la liberté de disposer de son corps.


Quel peut être le rôle des médecins par rapport à la contraception masculine ?   

Il faut être pragmatique. Malgré l'interdiction de l’ANSM et l’arrêt de la vente de l‘Andro-switch par la société Thorème, des milliers d’hommes continuent à utiliser la méthode de l’anneau en France. Soit ils en fabriquent dans des ateliers militants, soit ils s’en procurent via des circuits de distribution non réglementés. Un boxer chauffant est aussi commercialisé.

L’accès à la contraception masculine devient une question de premier plan. De plus en plus d’hommes veulent partager la responsabilité de la contraception. Dans le même temps, de plus en plus de personnes se méfient des traitements hormonaux. D'ailleurs, les députés ont fini par s'emparer du sujet : dans la dernière loi de financement de la Sécurité sociale, ils ont demandé au gouvernement de produire un rapport sur les moyens à mettre en œuvre pour développer et prendre en charge la contraception masculine.

Même si l’Andro-switch reste interdit par l’ANSM, et par jurisprudence tous les autres dispositifs de contraception thermique, je pense que les médecins doivent être capables d’informer et d’accompagner au mieux les hommes qui souhaitent débuter ou poursuivre une contraception thermique. Des ressources existent. Ces hommes peuvent être orientés vers les consultations dédiées à la contraception masculine, qu’elle soit thermique ou hormonale, proposées par le Planning familial depuis 2016. Par ailleurs, il existe pour les médecins une formation spécifique proposée par la Société d'andrologie de langue française au sein du CHU de Marseille.


(Propos recueillis par Benoît Blanquart)


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Notes :
1- CMG : Groupe de travail «Contraception masculine» 
2- Association pour la Recherche et de Développement de la Contraception Masculine (Ardecom).
3- 23.306 vasectomies réalisées en 2021, versus 1908 en 2010, année de son autorisation en France (source : Assurance maladie).
4- « Enquête transversale sur les dispositifs de contraception par remontée testiculaire : sécurité, acceptabilité, efficacité – TESTIS_ 2021 »
(Thèse d’exercice soutenue le 11j anvier 2023 par Manon Guidarelli).