La vaccination antigrippe renforcerait l'immunité contre la Covid-19

Le vaccin antigrippal aurait un rôle protecteur contre la Covid-19. L'étude aboutissant à cette conclusion s'appuie à la fois sur une enquête réalisée au sein d’un grand hôpital néerlandais et sur des travaux in-vitro. Le mécanisme mis en évidence consiste en un renforcement de «l'immunité entraînée», en l'occurrence par une augmentation de la production des cytokines dans le cas d'une vaccination antérieure par le BCG.

Une étude 1 publiée en pré-print le 16 octobre suggère un effet protecteur de la vaccination antigrippale contre la Covid-19 et propose une explication. Elle s’appuie sur une enquête réalisée au sein d’un grand hôpital néerlandais, et sur des travaux in-vitro.

 
Dans les pays où le climat est tempéré les épidémies de grippe saisonnière débutent généralement en hiver et se poursuivent durant l’hiver. En Europe, durant la saison la surmortalité liée à la grippe a été estimée à 125.000.

Plusieurs études récentes ayant suggéré un effet bénéfique potentiel de la vaccination contre la grippe sur la sensibilité à la Covid-19, les auteurs de cette étude ont voulu clarifier cet effet et en comprendre les mécanismes. Ils ont analysé l’impact de la vaccination contre la grippe sur les contaminations par le SRAS-CoV-2 et la sévérité des formes Covid-19 chez les employés d’un hôpital universitaires des Pays-Bas (situé dans la ville de Nimègue, à l’est du pays).


Les soignants vaccinés contre la grippe moins atteints par la Covid-19

Chaque année, tous les employés du Centre médical universitaire Radboud se voient proposer un vaccin contre la grippe. Les auteurs de l’étude ont recoupé la base de données de l'hôpital recensant les soignants atteints par le SRAS-CoV-2 avec celle indiquant le statut vaccinal des employés. Ils ont aussi pris en considération le taux de couverture vaccinale dans l’établissement.

 Au 1er juin 2020, à la fin de la première vague de la pandémie aux Pays-Bas, l’hôpital Radboud comptait 10.631 employés.

Par ailleurs, les employés testés positifs ont reçu un questionnaire pour évaluer les durées, gravités et comorbidités de la maladie.

Les auteurs ont donc constaté que l'infection par le SRAS-CoV-2 était moins fréquente chez les employés des hôpitaux néerlandais qui avaient été vaccinés contre la grippe pendant la saison hivernale 2019/2020. Ils soulignent pourtant une limite de cette étude, l’existence d’un facteur de confusion : les employés ayant développé le SRAS-CoV-2 avaient plus de contacts directs avec les patients. Toutefois, des études antérieures ont montré que la plupart des infections par le SRAS-CoV-2 constatées chez les membres du personnel hospitalier surviennent hors contexte professionnel.


Plusieurs études, des résultats discordants

Pour les chercheurs ces résultats sont conformes à ceux d’autres études, dont deux italiennes. L’une a montré une corrélation négative modérée à forte entre la vaccination contre la grippe et la mortalité liée à la Covid-19 chez les personnes âgées. L’autre étude italienne a trouvé une corrélation négative entre le vaccin contre la grippe et la séroprévalence du SRAS-CoV-2, le taux d'hospitalisation, les admissions en soins intensifs et la mortalité liée à la Covid-19 chez les personnes âgées. Une troisième étude, américaine, a même conclu après ajustement de plusieurs variables qu'une augmentation de 10% du taux de vaccination contre la grippe pourrait réduire de 28 % la mortalité liée au SRAS-CoV-2.  

A contrario, un rapport récent de l’Evidence-based medicine, public health and environmental toxicology consortium (EBMPHET) a comparé le taux de couverture vaccinale parmi les personnes âgées (≥ 65 ans) et le risque d'infection par la Covid-19 et la gravité de la maladie, en Europe et aux États-Unis. Les chercheurs ont constaté une corrélation positive statistiquement significative entre la couverture vaccinale et l’incidence de la Covid-19D-19 en Europe, et avec la mortalité en Europe et aux États-Unis. Toutefois dans ce rapport des facteurs de confusion n'ont pas été pris en compte.

Dans l'ensemble, la majorité des données biologiques penchent en faveur d'un éventuel effet protecteur du vaccin contre la grippe, mais elles présentent plusieurs limites :


Mécanisme

L'interaction potentielle entre des vaccins et des infections autres que celles ciblées ont déjà été constatées. Il a été démontré que certains vaccins (tels que le BCG, les vaccins contenant la rougeole ou le vaccin oral contre la polio) ont de forts effets protecteurs car ils renforcent à long terme l'immunité innée. Ce processus est nommé «immunité entraînée».

L'immunité entraînée est la modification des cellules du système immunitaire inné pour créer une «mémoire» d'un agent pathogène. Elle ne crée pas d’anticorps en préparation d'un deuxième contact avec cet agent. Le vaccin le plus étudié qui induit une immunité entraînée est le BCG ; il est actuellement examiné pour ses effets protecteurs présumés contre la durée et la gravité de la Covid-19 dans plusieurs essais cliniques.

Dans cette étude, les chercheurs ont démontré qu’in-vitro le vaccin quadrivalent inactivé contre la grippe utilisé aux Pays-Bas pendant la saison 2019-2020 a pu induire une réponse immunitaire contre le SARS-CoV-2. Il pourrait avoir amélioré la réponses des cytokines, en augmentant leur production dans les cellules mononuclées du sang périphérique (PBMCs).


Le rôle du BCG

Les chercheurs ont utilisé des PBMCs de donneurs sains (n=9) et les ont stimulées pendant 24h avec différentes dilutions (10, 50, 100, ou 400 fois) de Vaxigrip Tetra®, combiné ou non avec le BCG. La stimulation avec le Vaxigrip Tetra® seul n’a pas entraîné une augmentation de la production d'IL-6, de TNF-a ou d'IL-1β. Toutefois, sa combinaison avec le BCG a induit une production de cytokines significativement plus élevée que celle du BCG seul, ce qui suggère un effet synergique entre ces deux vaccins. Cet effet était dose-dépendant : une dilution plus élevée du vaccin antigrippal était associée à une production de cytokines plus élevée.

L'induction rapide de la réponse des cytokines au début de l’infection est cruciale pour diminuer la charge virale et prévenir l'inflammation systémique. La réponse amplifiée des IL-6 active les protéines de la phase aiguë, stimule le développement des cellules T ainsi que la production d’anticorps. Ceci explique le lien entre l'immunité innée et l'immunité adaptative, contribuant ainsi à l'élimination de l'infection.

Les cytokines anti-inflammatoires telles que l'IL-1Ra sont quant à elles nécessaires pour contrecarrer une inflammation excessive. Dans leur dispositif expérimental, après stimulation avec le vaccin anti-grippe et le BCG, les chercheurs ont observé une augmentation de la production d'IL-6 parallèlement à celle d'IL-1Ra. Ces cytokines pourraient donc contribuer à maintenir un équilibre dans le statut inflammatoire de l'individu.


Conclusion

Les résultats de cette étude suggèrent un rôle protecteur du vaccin antigrippal inactivé sur l'incidence de la Covid-19. Ils montrent qu'un vaccin quadrivalent inactivé peut induire une immunité entraînée, et qu’une vaccination au BCG antérieure à celle contre la grippe pourrait entraîner une amélioration de la protection.

Pour les auteurs, en l’absence d’un vaccin spécifique contre le SRAS-CoV-2 la vaccination contre la grippe peut réduire l’impact de la Covid-19. Ils recommandent toutefois qu’elle survienne en l'absence d’une infection active par le SRAS-CoV-2, en raison de la possibilité théorique d'induire une tempête de cytokines par une réponse immunitaire renforcée.


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Source :
The effect of influenza vaccination on trained immunity: impact on COVID-19
Priya A. Debisarun, Patrick Struycken, Jorge Domínguez-Andrés, Simone J.C.F.M. Moorlag, Esther Taks, Katharina L. Gössling, Philipp N. Ostermann, Lisa Müller, Heiner Schaal, Jaap ten Oever, Reinout van Crevel, Mihai G. Netea
doi: https://doi.org/10.1101/2020.10.14.20212498