Procrastination : affaire de gènes ou de genre ?

« Je commence... demain ». La procrastination est souvent interprétée comme un signe de paresse. Les résultats de nouvelles études concluent toutefois que les gènes peuvent jouer un rôle dans l'impérieuse envie de reporter des tâches. À ce jeu, femmes et hommes ne seraient pas à égalité.



Lorsque nous sommes confrontés à une tâche complexe, nous nous précipitons volontiers sur d'autres, plus simples... C’est tout l’art de la procrastination : retarder volontairement une activité pourtant nécessaire, même si nous savons que ce report aura des conséquences négatives : mauvais résultat scolaire, stress, etc.  

Certaines personnes parviennent à contrôler leur motivation et leur cognition d'une manière qui favorise l'action. D'autres n'ont pas ces compétences de « métacontrôle », indispensables pour protéger l’atteinte d’un objectif contre l’intrusion d’activités secondaires.


Amygdale, dopamine et métacontrôle

Des recherches antérieures suggéraient un lien assez complexe entre la dopamine et ce métacontrôle. Une augmentation du taux de dopamine semble conduire à une stabilisation de la mémoire de travail, ce qui permet d'obtenir un meilleur rapport signal/bruit entre les informations pertinentes pour atteindre un objectif et les informations non pertinentes. Un taux de dopamine plus élevé favoriserait donc un comportement « productif ». Mais cette élévation pourrait aussi améliorer la flexibilité cognitive qui elle peut favoriser la distraction et la procrastination.

Dans ce domaine, les différences entre les individus sont évaluées en termes d' AOD (decision-related action orientation). Une étude1 de 2018 avait montré une corrélation négative entre l’AOD d'une part et le volume de l'amygdale et sa connectivité fonctionnelle avec le cortex d'autre part : un volume plus conséquent et une connectivité plus faible semblaient associés à une plus grande propension à la procrastination.

Ceci pourrait s’expliquer par un déséquilibre permanent entre les deux régions du cerveau, en faveur de l'amygdale, qui entrainerait une altération du contrôle descendant nécessaire pour mener à bien une action. Ces recherches avaient également pointé le fait que dans 46 % des cas les gènes pouvaient entrer en jeu dans la procrastination.


Des gènes et des genres

Les mêmes chercheurs ont donc voulu étudier les mécanismes génétiques à l'origine de ces différences interindividuelles. Ils sont parvenus à une explication possible… qui ne concerne cependant que les femmes.

Issus de l'Université technique de Dresde et de l'Université de la Ruhr de Bochum (Allemagne), ils ont effectué une analyse génétique de 278 femmes et hommes. Cette étude2 s'est concentrée sur le gène responsable du développement de l'enzyme tyrosine hydroxylase (TYH). Le Dr Genç explique : « La dopamine, en tant que neurotransmetteur, a souvent été associée dans le passé à une flexibilité cognitive accrue [donc] un risque accru de distraction. » Les chercheurs sont parvenus à la conclusion que les effets de l'enzyme sur la maîtrise cognitive de soi pouvaient être d'une importance significative en termes de ciblage des tâches.

En plus de l'analyse génétique, tous les participants à l'étude devaient remplir un questionnaire où on leur demandait d'évaluer le contrôle de leurs actions. Dans le cas des hommes, les chercheurs n'ont pas pu établir de lien, mais la situation était différente dans le cas des participantes. Celles portant une variante du gène TYH ont déclaré avoir moins de contrôle sur leurs actions et être plus sujettes à la procrastination. Elles étaient aussi génétiquement plus susceptibles d'avoir des niveaux plus élevés de dopamine.

Cependant, les chercheurs n'ont trouvé aucun lien entre leurs découvertes antérieures sur l'amygdale et les différences dans le gène TYH. Ce qui, à leurs yeux, suggère que plusieurs facteurs différents mis en jeu quant à la procrastination fonctionnent indépendamment les uns des autres.


Les œstrogènes sont-ils la clé ?

Sur la base de ces résultats, les chercheurs aimeraient maintenant approfondir l'étude de ces hormones, ainsi que les effets de la noradrénaline sur le contrôle des actions.

«La relation entre le gène TYH et la procrastination chez les femmes n'a pas encore été clarifiée, mais les œstrogènes semblent jouer un rôle» souligne le Dr Genç. « Les œstrogènes pourraient rendre les femmes plus sensibles aux modifications génétiques des niveaux de dopamine. Ce qui, ensuite, pourrait affecter le comportement. »

La prochaine étape pour les chercheurs pourrait donc être d'étudier l'ampleur des effets des œstrogènes sur les gènes TYH. La coauteure Caroline Schlüter précise : «Pour ce faire, il faudrait chez les participantes de l’étude examiner de plus près le cycle menstruel et les évolutions connexes du niveau d'œstrogènes



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Sources : 
1- The structural and functional signature of action control
Schlüter, C., Fraenz, C., Pinnow, M., Friedrich, P., Güntürkün, O., Genç, E. (2018a).Psychological Science , 29(10), 1620–30.
2- Genetic Variation in Dopamine Availability Modulates the Self-reported Level of Action Control in a Sex-dependent Manner
Caroline Schlüter, Larissa Arning, Christoph Fraenz, Patrick Friedrich, Marlies Pinnow, Onur Güntürkün, Christian Beste, Sebastian Ocklenburg, Erhan Genc
Social Cognitive and Affective Neuroscience, nsz049, https://doi.org/10.1093/scan/nsz049