« La plus belle mort à laquelle j'ai jamais assisté. »

Cette série de tweets d’un médecin canadien relate la fin de vie d’une patiente ayant demandé à bénéficier de l’aide médicale à mourir.

Cette série de tweets d’un médecin canadien relate, avec son autorisation, la fin de vie d’une patiente ayant demandé à bénéficier de l’aide médicale à mourir.    

J'aimerais partager quelques réflexions sur la mort d'une patiente

J'aimerais partager quelques réflexions sur la mort d'une patiente. J'ai beaucoup pensé à elle. Environ quatre heures avant sa mort, elle m'a donné son consentement explicite pour tweeter les détails de cette histoire. Elle espérait que quelqu'un pourrait bénéficier de son expérience.

Elle est venue à l'hôpital comme le font souvent les octogénaires : faiblesse généralisée, chutes, mauvaise alimentation, fièvre, hypotension. Leucocytes à 17 000. Des hémocultures ont révélé la présence d'E. coli. Une septicémie, a priori traitable. Mais elle se plaignait aussi de douleurs à l'aine et à la cuisse. C'était nouveau, ça s’accentuait, ça devenait incapacitant, au point d’appréhender tout mouvement dans son lit d'hôpital.  

« Et maintenant ? » 

Un mois plus tôt, on avait découvert qu'elle souffrait d'un pseudo-anévrisme majeur au niveau de son artère iliaque externe, causée par la vis d'une prothèse de hanche qui l'avait transpercée. Après la pose d’une endoprothèse, elle est rentrée chez elle.

Elle était septique, elle souffrait, nous avons fait un nouveau scan qui a révélé la présence importante de gaz dans le pseudo-anévrisme. Celui-ci était infecté. C'était maintenant un problème sérieux.  
Nous avons poursuivi les antibiotiques. Son état s'est amélioré.  Nous avons maîtrisé sa douleur avec de l’hydromorphone et d'autres médicaments. Mais la grande question s'est posée : « Et maintenant ? » 

Vivre comme cela ne l’intéressait pas.

Elle ne voulait plus d'opération. Elle était parfaitement lucide, et très claire à ce sujet. Les antibiotiques seuls pouvaient juguler l'infection, pas la supprimer. Nous lui avons suggéré ce qui serait la meilleure option : prendre des antibiotiques pour le reste de sa vie. Avec elle, nous avons longuement discuté de cette option, dont elle ne voulait pas. Elle m'a expliqué pourquoi. La raison principale, c’était la douleur. Les médicaments la soulageaient un peu, tant qu'elle ne bougeait pas beaucoup. Mais nos possibilités en matière de médicaments étaient limitées et la douleur deviendrait persistante.

Ce qui l'inquiétait encore plus, c'était sa qualité de vie. Au cours des mois précédents, elle avait perdu sa mobilité et son autonomie. Elle n'allait pas les récupérer, elle le savait. Elle savait qu’elle serait confinée dans son appartement, qu’elle souffrirait, qu’elle dépendrait de son déambulateur. Finies les promenades au grand air, les courses à l'épicerie. Fini le bridge avec ses amis, qu’elle appréciait tant depuis des années. Mais vivre comme cela ne l’intéressait pas.

 Que cela se termine paisiblement...

Nous avons discuté des soins palliatifs : arrêter les antibiotiques, augmenter les analgésiques, lui procurer le plus de confort possible pendant que l'infection suivait son cours. Elle serait accompagnée de sa famille, jusqu’au bout. Mais mourir comme cela ne l’intéressait pas.

Elle savait qu'elle approchait de la fin de sa vie. Ce qu'elle voulait, nous a-t-elle dit, c'était que cela se termine paisiblement, avec son esprit toujours vif, entourée de sa famille et ses amis. Elle voulait une assistance médicale à la mort (NDT : Medical assistance in dying = MAiD).

Le jour est venu.

Nous avons rassemblé sa famille. Les parents, venus de près ou de loin, ont été d'un soutien inconditionnel. Au cours des dernières années elle avait déjà discuté à plusieurs reprises de la perspective d'une MAiD, au cas où ceci deviendrait une option. C’est devenu son projet.

Ensuite, je l'ai vue tous les jours. J'ai pris en charge sa douleur. J'ai écouté ses histoires. Nous avons parlé de membres de sa famille dont le décès avait influencé sa décision. Elle n'a jamais changé d'avis. Je l'aimais beaucoup, surtout son esprit vif et son stoïcisme lucide.

Après la période d'attente règlementaire et les examens médicaux nécessaires, le jour est venu. Je lui ai rendu visite à 7h30 ce matin-là. Elle était seule, optimiste, mangeant des Cheerios et des toasts (je regrette encore que ce repas fut le dernier, j'aurais aimé lui apporter un bagel frais avec du saumon fumé).

« Je suis prête »

Quelques heures plus tard, sa chambre était pleine de sa famille, de ses amis. C'était littéralement une fête. Il y avait des conversations, des rires et du cognac dans des tasses Dixie. L'ambiance était tout sauf funèbre. Tous se sont rassemblés autour de son lit. J'ai pris une photo. Tout le monde souriait. J'ai ensuite regardé un confrère tout vérifier une dernière fois, lui demander de confirmer sa volonté, lui expliquer ce qui allait se passer et répondre aux questions de chacun. 

Elle a dit « D'accord, je suis prête ». Son sang-froid était remarquable. Elle a ajouté : « Au revoir tout le monde. Merci pour tout. Merci pour tout. Je vous aime tous. » Elle a reçu du midazolam et s'est assoupie paisiblement, ses enfants lui tenant les mains et lui caressant la tête. Vint ensuite le propofol, un anesthésique. Puis le rocuronium, un curare. Enfin, du chlorure de potassium pour arrêter son coeur. Cinq minutes après son « au revoir », elle était morte.

Il y a eu des larmes

Il y a eu des larmes, bien sûr. Tout le monde pleurait. Mais l'atmosphère dans la salle était empreinte de sérénité et de gratitude. D'un véritable sentiment qu’elle avait fait ce qu'il fallait. Je ne suis pas un expert en MAiD, et je comprends que certaines personnes s'y opposent pour diverses raisons. Mais je suis médecin depuis 25 ans, et j'ai vu suffisamment de décès pour faire la différence entre un « bon » et un « mauvais ». Ce fut, sans exagération, la plus belle mort à laquelle j'ai jamais assisté.


Nous mourrons tous un jour ou l'autre. Cette patiente m'a aidée à réaliser que lorsque mon heure viendra, j'aurai de la chance si je peux choisir la MAiD. Et je lui serai toujours reconnaissant - ainsi qu'à ses proches et à ce confrère très compétent - de m'avoir permis de comprendre à quel point une « bonne mort » peut être belle.

NDLR : vous trouverez ici, en français, les conditions dans lesquelles est pratiquée au Canada l’aide médicale à mourir.