La peur de tomber malade chez l'enfant (Mme Özak)

La peur de tomber malade se manifeste généralement à l'âge adulte. Pourtant, elle se développe souvent dès l'enfance ou l'adolescence. Comment la repérer ? Quel impact de la pandémie ? Interview de Mme Özak, psychologue.



La peur de tomber malade se manifeste généralement à l'âge adulte. Pourtant, elle se développe souvent dès l'enfance ou l'adolescence. Comment la repérer ? Quel impact de la pandémie ?

Vera Özak, psychologue allemande, s'intéresse à la manière dont la peur de la maladie apparaît dès le plus jeune âge. Son étude en cours – intitulée «KaiKiJu»1 – vise à identifier précisément les signes d'alerte pour les pédiatres et à donner un aperçu des conséquences psychologiques à long terme qui pourraient être observées plus fréquemment après la pandémie.



Mme Özak, quel est l'état actuel de la recherche sur la peur de tomber malade durant l’enfance ?

«L'état actuel de la recherche, c’est précisément ça le problème. La majorité des recherches portent sur l'âge adulte. Dans ce cadre, les études rétrospectives montrent souvent que cette peur de la maladie existe depuis l'enfance et l'adolescence. Les quelques données disponibles montrent que chez les enfants et les adolescents la peur de la maladie est déjà chronique ou récurrente. C’est donc un trouble qui n'est pas vraiment étudié avant l'âge adulte, bien que les symptômes se manifestent en fait beaucoup plus tôt.

Plusieurs raisons expliquent cette lacune. Par exemple, il est possible que les enfants ne nomment pas leurs peurs de la maladie de manière assez spécifique jusqu'à un certain âge, et que celles-ci se fondent alors simplement dans d'autres troubles anxieux. Dans l'enfance, les troubles anxieux sont souvent moins clairement délimités que chez les adultes : les peurs peuvent encore «sauter» d'un domaine à l'autre, en fonction des impératifs auxquels l’enfant est confronté, à ce moment précis, pour son développement.

Il peut néanmoins y avoir des peurs de la maladie qui, pour l'enfant, se manifestent par des somatisations ou par la peur de mourir de la maladie. On peut alors l'interpréter davantage en termes de peur de la séparation. En fait, on ne sait pas encore très bien s'il existe chez l’enfant des symptômes spécifiques de la peur de la maladie, symptômes qui se fondent dans d'autres troubles anxieux.

Les résultats de la recherche sur l'anxiété liée à la maladie indiquent que des aspects tels que la surprotection parentale, le style d'attachement insécurisant ou certains facteurs génétiques peuvent avoir une influence. Bien sûr, comme pour tous les troubles psychologiques, nous supposons qu'une grande partie peut être due à l'«apprentissage du modèle» par les parents.



En quoi consiste votre étude ? 

Elle a été conçue avant la pandémie. Nous avions déjà commencé une première collecte de données, avec des questionnaires, distribués dans les écoles. Le questionnaire est désormais en ligne, et s’adresse aussi aux parents : les correspondances entre les réponses des parents et celles des enfants sont étudiées.

Nous commençons dès l’âge de 8 ans : c'est l'âge le plus précoce auquel les réponses à des questionnaires sont fiables, et c’est aussi à partir de cet âge que les concepts de santé et de maladie deviennent clairs. L’âge limite pour cette étude est 19 ans.

Nous étudions différents domaines de la détresse psychologique : l'anxiété liée à la maladie, les symptômes somatiques, la détresse psychologique générale, la symptomatologie dépressive, les compulsions chez les enfants. Il a été démontré que l'anxiété liée à la maladie implique généralement au moins un autre trouble mental cliniquement significatif en tant que comorbidité. Elle se manifeste rarement seule et de manière isolée.



Quels signes avant-coureurs devraient alerter les médecins sur le fait qu’un enfant commence à développer une peur particulièrement prononcée de la maladie ?

Cela se manifeste classiquement par des consultations particulièrement fréquentes : l’enfant a besoin d’être rassuré sur le fait qu'un symptôme ne signifie pas qu'il a une maladie grave. Ce mécanisme est bien connu chez les adultes, mais il est probablement moins facile à mettre en évidence chez les enfants. Des visites fréquentes chez le médecin, sans raisons identifiables, devraient donc alerter. A contrario, l'évitement total des visites chez le médecin doit aussi poser question : il témoigne d’un refus de savoir que quelque chose peut dysfonctionner. Il est également particulièrement important d'impliquer les parents : à quelle fréquence l'enfant demande-t-il au parent d'évaluer ses symptômes physiques ? 



En raison de la pandémie, les enfants risquent-ils de développer à long terme une peur excessive de la maladie ?

Nous partons d'un modèle dans lequel un événement stressant se surajoute à des expériences précoces avec des maladies ou des traitements médicaux. La pandémie actuelle réunit ces deux facteurs. Les enfants ont beaucoup plus conscience de la maladie et des traitements médicaux, que ce soit dans l'environnement familial ou à travers les médias. 

À cela s'ajoutent les mesures telles que la quarantaine ou la restriction des contacts, dont il a déjà été démontré qu'elles ont un impact majeur sur la détresse psychologique des enfants. Nous pouvons donc supposer que les enfants auront une manière différente de gérer les symptômes d’une maladie, et que ce fonctionnement se maintiendra à long terme.

L'étude COPSY 2 (Corona & Psyche) réalisée à Hambourg a déjà montré que l'anxiété est considérablement accrue chez les enfants, et qu'elle a souvent une évolution récurrente ou chronique. Nous pouvons donc supposer que les effets de la pandémie se feront sentir pendant un certain temps. Cette étude montre aussi que le stress dans le système familial a une influence majeure, et que les familles dans lesquelles les parents ont un faible niveau d'éducation ou celles qui vivent dans des conditions exiguës sont particulièrement accablées. Tous ces facteurs affectent durablement la santé mentale des enfants. On peut supposer que leurs difficultés ne seront pas soudainement résolues avec la fin du confinement ou de la pandémie. Celle-ci aura un impact à long terme sur la vie et le psychisme des enfants».



À lire aussi sur ce sujet, le bouleversant éditorial du JAMA Pediatrics paru en septembre 2020 : Enfances et Covid : «Si vous changez le début, vous changez toute l'histoire».



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Notes :
1- (Krankheitsangst im Kindes- und Jugendalter / L'anxiété liée à la maladie dans l'enfance et l'adolescence)
2- COPSY est une étude longitudinale basée sur une enquête en ligne menée en deux temps : de mai à juin 2020 (auprès de 1.586 familles ayant des enfants et des adolescents de 7 à 17 ans) et de  décembre 2020 à janvier 2021 auprès de 1.625 familles, dont 1.288 avaient déjà participé à la première enquête).
Il s’agissait de mesurer la qualité de vie liée à la santé (Health-related quality of life - HRQoL), les problèmes de santé mentale, l'anxiété, les symptômes dépressifs et les plaintes psychosomatiques.