Fin de vie : “Certaines populations, par leur fragilité, requièrent des garde-fous renforcés, et non un alignement aveugle.”<sup>1</sup>
La mort assistée devient un droit. Mais l’aide à mourir ne risque-t-elle pas de devenir une solution par défaut pour les plus vulnérables ?
20 ans de législation sur la fin de vie : vers une autonomie à double tranchant
2005 : le droit de “laisser mourir” un patient est reconnu aux médecins
L'accompagnement de la fin de vie a été encadré pour la première fois par la loi en 20054, en réponse à la très vive émotion suscitée par le cas de Vincent Humbert. Il s'agissait d'un jeune homme devenu tétraplégique, aveugle et muet suite à un accident de la route. Il demandait à mourir. Sa mère avait accédé à sa demande, avec l'aide du médecin, ce qui était à l’époque constituait un homicide. Les juges avaient cependant prononcé un non-lieu.
Suite à cette affaire très médiatisée, la “loi Leonetti” est venue poser un cadre légal clair, pour enfin encadrer ce genre de situation moralement insoutenable, mais courantes dans les hôpitaux. Le texte prévoit que les actes médicaux “ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris. Dans ce cas, le médecin sauvegarde la dignité du mourant”.
La loi permet au patient d’exprimer ses volontés à l’avance, à travers des directives anticipées, pour le cas où il ne pourrait plus le faire lui-même. Elle introduit aussi la personne de confiance. Toutefois, ni les directives anticipées ni l’avis de la personne de confiance ne s'imposent au collège de médecins à qui revient la décision finale d’arrêter les traitements ou non.
2016 : la décision d'arrêter les traitements passe du côté du patient
En 2016, un autre cas a suscité une très vive émotion. La femme et la famille de Vincent Lambert, un jeune homme plongé dans un état végétatif à la suite d’un accident de la route, se sont affrontées des années pour trancher s’il devait être maintenu en vie, ou si l´on devait le laisser mourir. Une révision de la loi, devenue “loi Claeys-Leonetti”5, a prévu que les directives anticipées du patient étaient désormais opposables, tout comme l’avis de la personne de confiance. Sans directive anticipée ni personne de confiance nommée et en cas de désaccord de la famille, le collège de médecins a cependant le dernier mot. Les conditions d’accès sont les suivantes :
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Le patient atteint d'une affection grave et incurable et dont le pronostic vital est engagé à court terme présente une souffrance réfractaire aux traitements ;
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La décision du patient atteint d'une affection grave et incurable d'arrêter un traitement engage son pronostic vital à court terme et est susceptible d'entraîner une souffrance insupportable.
Dans cette nouvelle version de la loi, l'idée poursuivie est toujours de permettre une mort apaisée et naturelle. Le patient gagne cependant sensiblement en autonomie de par l’opposabilité de ses directives anticipées et en confort, avec la possibilité d’une sédation profonde.
2025 : le patient peut imposer son choix de se donner activement mort ou de se faire euthanasier
Le projet de loi de 2025, “Vidal-Falorni”6 va beaucoup plus loin que les deux lois précédentes. Elle ne s’adresse pas aux personnes en train de mourir (car la loi Claeys-Leonetti existe déjà pour cela), mais aux personnes qui veulent mourir. Avec ce texte, sous respect de certaines conditions liées à son état, un patient peut demander à recevoir une substance létale et se l’auto-administrer (suicide assisté), ou de demander qu'un médecin lui administre (euthanasie). Ce respect absolu de la volonté du patient - la loi prévoit même un délit d’entrave - autorise chacun à définir la limite au-delà de laquelle sa propre vie ne lui semble plus digne d’être vécue, car la souffrance, physique ou psychique, est trop grande et l’espoir d’amélioration vain.
Cela représente très certainement une avancée majeure dans de très nombreux cas de figure, mais qu'en est-il de toutes ces personnes qui n’ont plus envie de vivre, non pas parce que médicalement leur corps ne leur permet plus, mais parce qu’handicapées, elles sont exténuées par une société pensée pour les seuls corps valides et performants ? Exténuées d’être perçues, jour après jour, comme des fardeaux ? Le suicide assisté est-il réellement la meilleure solution à leur proposer ? Et qu’en est-il aussi des personnes âgées qui présentent des syndromes dépressifs dûs à leur isolement ?
Validisme assumé, premier pas vers une incitation au suicide, les craintes des personnes vulnérables sont nombreuses
Des critères flous et une procédure rapide et simplifiée
Voici les conditions à remplir pour accéder à l’aide à mourir6 :
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Être âgée d’au moins dix‑huit ans ;
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Être de nationalité française ou résider de façon stable et régulière en France ;
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Être atteinte d’une affection grave et incurable, qui engage le pronostic vital, en phase avancée ou terminale ;
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Présenter une souffrance physique ou psychologique liée à cette affection, qui est soit réfractaire aux traitements, soit insupportable selon la personne lorsqu’elle a choisi de ne pas recevoir ou d’arrêter de recevoir un traitement ;
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Être apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée.
Ces critères sont pour la plupart sujets à interprétation. Il n’est plus question de “pronostic vital engagé à court terme”, mais de “phase avancée”. La Haute autorité de santé elle-même considère que cette notion est impossible à définir avec une certitude suffisante7. Elle englobe en réalité des milliers de personnes handicapées, physiques ou mentales, qui ne retrouveront jamais leurs facultés.
Dans ce nouveau texte, il n’y a plus de procédure collégiale obligatoire, aucune place laissée à une quelconque réflexion éthique de la part des médecins. Leur rôle se borne à vérifier que les critères légaux suscités sont remplis. Le médecin qui reçoit une demande informe le patient de l’existence d’autres dispositifs d’accompagnement et a ensuite 15 jours pour vérifier que les cinq conditions sont bien remplies. Il se base pour cela sur les avis consultatifs de collègues et aucune consultation des proches n’est prévue. Le patient, après approbation de sa demande, doit confirmer sa volonté de mourir au plus tôt 48 heures après. Dans le scénario le plus rapide, le patient peut donc recevoir la substance létale 17 jours après sa demande.
Ce temps de réflexion est d'une incroyable brièveté, ce qui est fort compréhensible lorsque le patient est réellement en fin de vie et souffre de manière intolérable. Mais est-il raisonnable pour les personnes souffrant certes d’une “affection grave et incurable en phase avancée”, mais pour qui c’est avant tout la souffrance psychique qui entrave leur désir de vivre ? Les informer simplement de l’existence de dispositifs d’aide, sans leur laisser le temps de les découvrir, a-t-il vraiment un sens ?
“Cette loi me fait l'effet d'un pistolet chargé déposé sur ma table de nuit”
« Cette loi me fait l'effet d'un pistolet chargé déposé sur ma table de nuit, afin que je mette fin à mes jours le jour où je me dirai que je suis un poids trop important pour mes proches ou que la société me dira que je coûte trop cher »8. C’est avec ces mots très simples que Edwige Moutou, atteinte de la maladie de Parkinson, résume les craintes de nombreuses personnes handicapées9. Un gros coup de mou et en 17 jours, ce peut être la fin.
La loi est adoptée alors même que l’accompagnement médical, psychique et social des personnes dépendantes reste largement insuffisant. Les gouvernements successifs enchaînent lois et plans ambitieux sur le papier, mais sur le terrain les moyens restent encore et toujours insuffisants10,11. Il en va de même pour la qualité des soins palliatifs, le nouveau projet de loi 2025 adopté par l’Assemblée nationale le 25 mai n’apportant en réalité que très peu d’avancées quand seul un tiers des malades qui en auraient besoin a accès aux soins palliatifs12 et que parmi eux, trop peu bénéficient d'un traitement contre la dépression13. Résultat : parmi toutes les personnes présentant une “souffrance psychologique insupportable”, combien le sont car elles sont isolées, vulnérables, du fait du manque de moyens investis par l’Etat pour améliorer leur accompagnement ?
Quant à la “souffrance physique insupportable”, de nouvelles alternatives ne sont volontairement pas proposées, cette fois-ci pour des raisons davantage politiques que budgétaires. La France refuse ainsi toujours d’inclure le cannabis médical dans l’arsenal thérapeutique, alors même que son bénéfice est avéré, justement pour les patients dont les souffrances sont réfractaires aux autres traitements.
Quelle expérience tirer de l’étranger, l’exemple du Canada
Il est intéressant de regarder ce qu’est devenue la situation dans les pays qui ont fait le choix avant nous de très peu encadrer l’accès au suicide assisté, avec une procédure d’évaluation expéditive. L’aide médicale à mourir existe depuis 2016 au Canada14. En 2021, elle a été étendue aux patients dont la mort n’est pas « raisonnablement prévisible ». En 2027, elle sera à priori étendue aux personnes souffrant exclusivement de troubles mentaux. Les conditions d’accès sont donc de plus en plus larges, tandis que la qualité des soins en fin de vie se dégrade. De nombreuses personnes handicapées - ou simplement pauvres - n’ont dans ce pays pas accès aux soins, à un logement adapté ou à des aides humaines suffisantes15. En d’autres mots, elles n’ont pas le droit à une vie décente, mais bien celui de l’abréger. En 2020, un très sérieux rapport parlementaire est venu chiffrer les gains nets que procure la mort administrée à 87 millions de dollars canadiens16.
En France, le risque de suivre exactement la même pente existe. L’exemple canadien cristallise toutes les craintes qui entourent la loi en cours de promulgation : la mort assistée qui devient la facilité pour tous, sans tenir compte des cas qui sortent de la norme, et en parallèle, la logique monétaire qui prend toujours plus le dessus dans les politiques, ce qui de facto aboutit à une hiérarchisation des vies humaines. Celles qui valent la peine d’être encore vécues et celles qu’il vaut mieux raccourcir, pour le bien de la société.
En 2022, esanum s’était déjà intéressé à la question éthique de fin de vie. Redécouvrez le dossier thématique, avec notamment l’interview du Dr Claire Fourcade, Présidente de Société française d'accompagnement et de soins palliatifs.
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Légalisation de la mort administrée : nous ne nous laisserons pas abattre !; Collectif un gros risque en plus; 27 mai 2025
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Jonathan Denis, président de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD); 27 mai 2025
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Nous demandons l'interdiction explicite de l'euthanasie et du suicide assisté pour les personnes porteuses de handicap mental; Figaro Vox; 11 juin 2024
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LOI n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie
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LOI n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie
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Proposition de loi relative à la fin de vie, n° 1100; déposée le mardi 11 mars 2025
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Pronostic vital engagé à moyen terme / phase avancée; Haute autorité de santé; 30 avril 2025
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Edwige Moutou, atteinte de la maladie de Parkinson; 24 mai 2025
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Aide à mourir : ses partisans saluent un "vote historique", les opposants y voient une "transgression majeure"; France 24; 27 mai 2025
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Les personnes handicapées n’ont pas accès à leurs droits les plus élémentaires; Politis; 11 février 2025
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Aide à mourir à l’assemblée, toujours délétère, toujours validiste; Collectif Lutte et Handicaps pour l'Egalité et l'Emancipation; juin 2025
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Soins palliatifs : les députés adoptent une proposition de loi minimale; Le Monde; 28 mai 2025
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Fin de vie : des psys en colère face à la promotion du suicide et de l’aide à mourir; Le nouvel Obs; 25 avril 2024
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La loi canadienne sur l’aide médicale à mourir; gouvernement du Canada
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Loi sur la fin de vie : au Canada, le difficile encadrement des dérives; Le Point 30; mai 2024
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Cost estimate for bill c-7 “medical assistance in dying”; Bureau du directeur parlementaire du budget; 20 octobre 2020