Enfances et Covid : «Si vous changez le début, vous changez toute l'histoire»

Quand on était enfant en l'an 2020... Que restera-t-il de la pandémie chez les enfants d'aujourd'hui devenus adultes ? Quels effets physiologiques et émotionnels ? Combien de fêtes manquées, de deuils précoces, de pertes de chance ? Combien de trajectoires à jamais abimées ? Cet éditorial du JAMA Pediatrics se conclut ainsi : «La pandémie a assurément changé le début pour des millions d'enfants.»



Ce texte est la traduction intégrale de l'éditorial du JAMA Pediatrics "Pediatrics and Covid-19".


«Si vous changez le début, vous changez toute l'histoire»

Les enfants d'aujourd'hui raconteront leurs expériences de la pandémie de coronavirus de 2019 à la prochaine génération. Ce qu'ils raconteront dépendra de leur âge actuel et des circonstances dans lesquelles ils vivent. Si un vaccin efficace est mis au point prochainement, les nourrissons d'aujourd'hui n'auront aucun souvenir des effets directs de la pandémie sur leurs vies. Les tout-petits pourront avoir des souvenirs vagues. Mais les enfants plus âgés se souviendront très précisément des étapes qu’ils auront à jamais manquées.  

Une génération entière d'enfants n’aura pas eu droit à ces événements marquants - remises des diplômes […], bals de fin d'études, saisons sportives - qui resteront absents de leur mémoire, leur annuaire d’école et leur fil Instagram. Ces trous dans leurs enfances se répercuteront sur leurs propres enfants, surtout lorsque ceux-ci s’apprêteront à vivre ces mêmes événements.

La plupart des enfants d’aujourd’hui ne raconteront pas qu’ils ont été atteints par la COVID-19. Moins de 6% des personnes atteintes sont des enfants et la plupart de ces cas présentent des symptômes mineurs. L'explication physiologique de cette particularité reste incertaine ; ce pourrait être dû à l'expression - variable selon l'âge - de l'enzyme de conversion de l'angiotensine 2 dans l'épithélium nasal, point d'entrée du virus. Pour les enfants, le risque médical majeur est le syndrome inflammatoire multisystémique (MISC). Cette affection inflammatoire post-infection, probablement rare et mal comprise, peut entraîner de graves complications mais est rarement mortelle.

Outre ces risques médicaux directs, et au-delà des souvenirs qui leurs manqueront, il faut pour mesurer les conséquences de la COVID-19 sur les enfants comprendre qu'ils subissent d'autres effets néfastes du virus. Des effets qui auront des suites durables - qu’il reste à évaluer - et dont la nature indirecte implique que dans de nombreux cas les enfants devenus adultes ne les attribueront pas à la pandémie.


«Leur bien-être psychologique et éducatif»

Le plus profond de ces effets néfastes concerne peut-être leur bien-être psychologique et éducatif. Certains nouveau-nés sont brièvement séparés de leur mère à la naissance par crainte de la transmission verticale ; cette séparation peut nuire à l'attachement et à l'allaitement. De nombreux enfants sont susceptibles de passer des années cruciales auprès de parents davantage stressés financièrement et psychologiquement en raison de la pandémie. Or il a été démontré que le stress parental est associé à des modifications de la régulation du cortisol mais aussi de la structure et des fonctions cérébrales chez les enfants et les jeunes adultes. Des dizaines de milliers d'enfants auront perdu leurs parents ou grands-parents à un âge où ils ne peuvent pas comprendre (ou se remémorer  plus tard) cette perte, mais les absences de ces proches influenceront leur vie de manières multiples et impossibles à appréhender.

Les enfants d'âge scolaire se souviendront de ces mois d'apprentissage à distance, mais ils ne réaliseront pas que ces mois devant un écran ont modifié de manière significative leur formation. Au vu notamment des lacunes de l'enseignement à distance pour les jeunes enfants, il est probable que beaucoup d'entre eux n'acquièrent pas, comme ils l'auraient fait normalement, les éléments de base de l'enseignement tels que la lecture et le calcul élémentaire. Des recherches ont montré que le meilleur indice prédictif de l'obtention d'un diplôme de fin d'études secondaires est la maîtrise de la lecture en troisième année. D'après une étude, 23% des enfants qui ne lisent pas à la fin de la troisième année n'obtiendront pas leur diplôme d'études secondaires, contre 9% de ceux qui en sont capables. Les risques sont encore plus grands pour les élèves noirs ou hispaniques issus de ménages à faible revenu ; 33% de ceux qui ne savent pas lire à ce moment-là ne termineront pas leurs études secondaires.


«Les effets sociaux et émotionnels de la COVID-19»

Combien d'adultes, demain, prendront-ils conscience du rôle que la pandémie de COVID-19 a joué dans leur jeunesse en les empêchant de terminer leurs études secondaires, alors même qu'ils en subiront les conséquences ? Qu’en est-il des effets sociaux et émotionnels de la COVID-19 sur les enfants de tous âges ? Les enfants d'âge scolaire de Wuhan, en Chine, ont connu une augmentation de la dépression et de l'anxiété pendant le confinement. Combien de temps ces effets perdureront-ils ? Quelles seront leurs conséquences au fil du temps ? Ces questions sont d’autant plus cruciales que les restrictions sur les rassemblements des personnes seront probablement encore étendues. Avant la COVID-19, l’addiction des enfants aux écrans était déjà une préoccupation émergente. Comment l'obligation faite aux enfants d'utiliser internet pour accéder à la majeure partie de leur scolarité et à leurs interactions sociales influera-t-elle sur ces addictions ?

L’essentiel du discours public et une grande partie des publications et de la couverture médiatique sur les effets de la COVID-19 se concentrent sur les implications sanitaires et économiques pour les adultes d’aujourd’hui. Tous les impacts de la COVID-19 sur les enfants ne seront par contre pas connus avant 15 à 20 ans. Malheureusement, ces impacts seront ressentis de manière plus importante par les enfants socialement défavorisés et les enfants de couleur, car leurs familles ont été touchées de manière disproportionnée par les effets sanitaires et économiques de la COVID-19, ce qui aggrave encore les inégalités existantes.

JAMA Pediatrics a essayé de faire sa part pour faire progresser les connaissances scientifiques actuelles sur la COVID-19. Au 31 août la revue avait publié 43 articles relatifs à divers aspects de la pandémie. Grâce aux énormes efforts scientifiques entrepris - et peut-être à un coup de chance permettant de trouver rapidement un vaccin efficace - les effets immédiats de la COVID-19 pourraient bientôt appartenir au passé.
Mais le virus laissera une longue trace.

«Si vous changez le début, vous changez toute l'histoire». C’est le mantra de mon laboratoire.
La pandémie a assurément changé le début de l'histoire pour des millions d'enfants.



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Source :
Editorial "Pediatrics and COVID-19" (sept 2020)
Michael Berkwits, MD, MSCE; Annette Flanagin, RN, MA; Howard Bauchner, MD; Phil B. Fontanarosa, MD, MBA