De la taurine pour éviter une cécité et une cardiomyopathie

Des chercheurs suisses ont découvert un nouveau gène provoquant une cécité et une cardiomyopathie. Ils ont pu arrêter la progression de la maladie oculaire et traiter l’atteinte cardiaque grâce à l’administration d’un complément alimentaire.

Notre génome est composé de 20 000 gènes, tous susceptibles de provoquer des pathologies. On estime qu’il reste 7 000 gènes inconnus responsables de maladies génétiques récessives. Des chercheurs suisses ont identifié 45 nouveaux gènes responsables de cécités ou de déficiences intellectuelles, dont le gène SLC6A6.

Celui-ci transporte un acide aminé indispensable au fonctionnement de la rétine et du muscle cardiaque : la taurine. En cas de mutations du gène SLC6A6, la personne atteinte manque de taurine et perd progressivement la vue. Elle devient aveugle et par ailleurs développe une faiblesse cardiaque.

Un nouveau gène identifié

Afin de pouvoir identifier toujours plus de gènes responsables de maladies génétiques récessives, des chercheurs suisses et pakistanais ont étudié les génomes de 500 familles pakistanaises. «Nous nous sommes intéressés aux familles pakistanaises, car celles-ci pratiquent encore couramment la consanguinité en favorisant à plus de 50% les mariages entre cousins germains. Les risques de développer une maladie génétique récessive sont augmentés par la consanguinité, car environ 12% du génome est identique chez des cousins.» explique Stylianos Antonarakis, professeur honoraire à la Faculté de médecine de l’Université de Genève (UNIGE).

Une famille a particulièrement intéressé les chercheurs. Les deux parents, cousins germains en bonne santé, ont quatre enfants dont deux malades. Leur garçon de 15 ans est devenu complètement aveugle en quelques années. Sa soeur de 4 ans perdait progressivement la vue mais était encore capable de discerner les formes et les couleurs.

Le séquençage de leur génome a montré que leur maladie était liée à une mutation du gène SLC6A6, qui produit une protéine de la membrane cellulaire servant à transporter la taurine. Cet acide aminé, essentiel pour le fonctionnement de la rétine et du muscle cardiaque, est aussi un complément alimentaire que l’on trouve en grande quantité dans certaines boissons énergisantes. Les patients souffrant de cette maladie ont un taux extrêmement bas de taurine dans le sang. D’après le professeur Keith Henry (Université du Dakota du Nord), l’anomalie génétique dans cette famille réduisait la capacité de transport de la taurine à 15% de son activité normale.

Une maladie récessive réversible?

Les scientifiques ont donc émis l’hypothèse qu’il était possible de stopper l’évolution de la maladie en administrant de la taurine à ces enfants. Malheureusement, seule la petite fille conservait encore une vision résiduelle.

«Nous avons donné 100 mg par kg de taurine chaque jour aux enfants, à poursuivre sur le long-terme, et nous avons organisé des suivis ophtalmologique et cardiaque réguliers au Pakistan» souligne Emmanuelle Ranza, médecin généticien aux Hôpitaux universitaires de Genève. En trois jours, leur taux de taurine dans le sang est passé de 6 à 85 μmol/l, atteignant des seuils normaux. Au bout de deux ans, la cardiomyopathie a totalement disparu chez les deux enfants. La dégénérescence de la vue de la fillette a été stoppée, avec même une amélioration qui lui redonne une autonomie dans ses déplacements. Une telle évolution a été malheureusement impossible pour le garçon.

«Cette petite fille a ouvert la voie à la guérison potentielle de nouveau-nés atteints de la même maladie récessive. Un patient peut changer l’histoire de la médecine ! » s’enthousiasme Stylianos Antonarakis.

Les chercheurs estiment qu’il y a potentiellement 6 000 bébés dans le monde qui pourraient être atteints de la même maladie liée à SLC6A6. «Notre objectif est aujourd’hui de dépister précocement les nouveau-nés affectés afin de pouvoir les traiter dès la naissance avec un complément de taurine et de potentiellement éviter l’apparition de symptômes» conclut Stylianos Antonarakis.

Identifier de nouveaux gènes responsables de maladies récessives…
Une priorité d’autant plus vive pour les chercheurs qu’ils savent désormais que certaines d’entre elles peuvent être traitées efficacement.