Covid-19 - Voyage aux pays des fakemed

«Les pseudo-médecines, c’est comme les Pokemons : elles évoluent et il y en a toujours de nouvelles…» Bienvenue à bord pour un tour du monde des fakemed au temps du Covid-19. Derrière le recours à des recettes traditionnelles ou fantasques se cachent toujours les mêmes ressorts : repli identitaire et tentatives de garder le contrôle, ou au moins la face. Mais la science n'est pas une épopée hollywoodienne ponctuée de «happy ends».

Quelqu’un m’a dit un jour «Les pseudo-médecines, c’est comme les Pokemons : elles évoluent et il y en a toujours de nouvelles…»
Avec la pandémie de COVID-19 - 3.544.222 cas confirmés et 250.977 décès depuis le 31 décembre 2019 à travers le monde - cette phrase ne fait que se vérifier tragiquement. De la Chine au Sénégal, de l’Inde à la Bolivie, aucun pays touché par le virus n’est épargné par le charlatanisme qui prétend apporter des remèdes miracles à une maladie qui, à ce jour, n’a ni traitement, ni vaccin.

Accrochez vos ceintures, n’oubliez pas la poche à vomi, nous vous convions à un tour du monde des fakemed au temps du coronavirus.

Des recettes traditionnelles

C’est un fait connu au royaume des pseudo-médecines : les remèdes de grand-mère sont toujours le premier recours, on s’y fie comme s’ils faisaient l’object d’un consensus universel. Ils sont parfois tellement simples, évidents et peu onéreux qu’on n’y penserait même pas… comme l’eau chaude vantée tant en Corée, associée à une exposition au soleil, qu’en France par le Pr. Joyeux, connu pour ses dérapages antivaxx. Évidemment, il n’y a aucune preuve d’efficacité tant en prophylaxie qu’en curatif.

D’autres font preuve d’un peu plus d’originalité en dégainant les potions magiques comme le Shuanghuanglian en Chine - un mélange de chèvrefeuille, de forsythia et de scutellaire du lac Baïkal - ou les inhalations de vapeurs de camomille ou d’Eucalyptus en Bolivie. Nouveauté ici : ces fulminations ont lieu dans des tentes collectives bleues, appelées «chambres de désinfection naturelle» portant des pancartes affublées de l’inscription : «ministère de la Santé».

Comment expliquer que même pour une maladie toute récente, les remèdes traditionnels soient portés aux nues ? «J’y vois un signe de ce qu’on appelle désormais la médecine, et plus généralement la science populiste.» explique Sebastian Dieguez, chercheur en neurosciences au Laboratoire de sciences cognitives et neurologiques de l'Université de Fribourg, en Suisse. «Ce n’est bien sûr pas nouveau, mais le contexte actuel met bien en lumière ce phénomène, d’une façon qui n’a jamais été aussi révélatrice. La pandémie couvre une grande partie du monde de manière à peu près simultanée, et il n’y a pas de remède connu ni de vaccin à disposition. Cette situation offre un boulevard aux rumeurs, désinformations et théories du complot de toutes sortes. On sait, en effet, que celles-ci se nourrissent à la fois de l’incertitude, de la défiance et d’un sentiment de compétition.

Un repli identitaire avant tout

Toutes les conditions sont donc remplies pour que le repli sur soi et le rejet de l’autre se renforcent mutuellement. Cette mécanique opère à plusieurs niveaux. D’abord au niveau transnational : on n’aime tout simplement pas l’idée qu’un autre pays nous impose “son” remède, surtout si ça vient de gros laboratoires pharmaceutiques, et on préfère se fier à “ce qui vient de chez nous”, surtout si c’est quelque chose qui nous est déjà familier, qui repose sur la tradition, qui est disponible, etc. Ensuite,  à l’intérieur même des cultures et des pays, on peut aussi voir des dissensions de ce type, parfois assez étranges : on a d’une part, bien sûr, la distinction classique entre ceux qui se fient à la science médicale et ceux qui préfèrent les approches “alternatives” (par exemple l’idée de “renforcer son système immunitaire”), mais on a aussi des fractions totalement artificielles. Tout cela est “populiste” dans le sens où les “solutions” sont avant tout déterminées par des facteurs identitaires très forts, qui s’opposent à celles que des “élites”, des “bureaucrates”, des “forces étrangères”, des “ennemis” ou des “multinationales” prétendraient imposer pour des motifs intéressés et malfaisants.»

D’autres remèdes sont plus… inventifs et proposent des traitements peu ragoûtants comme le «Tan Re Qing» en Chine, destiné aux patients gravement atteints. La recette ? Bile d’ours et poudre de corne de chèvre et d'extraits de plantes. En Inde, l’activiste politique Swami Chakrapani 1 et une membre de l'Assemblée législative de l’état d’Assam, Suman Haripriya, ont affirmé que boire de l'urine de vache et appliquer de la bouse de vache sur le corps pouvait soigner du coronavirus…

Plus c’est gros plus ça passe ? «On peut mentionner également l’huile de sésame, la cocaïne, la nicotine, l’eau de javel, la tisane, les ultra-violets…»  commente Sebastian Dieguez. «Non seulement c’est effectivement assez “gros”, mais surtout ce n’est pas basé sur grand chose. Ce que je trouve particulièrement intéressant dans cette affaire, c’est vraiment cette apparente nécessité de greffer tel ou tel “remède” à son système de croyance. C’est comme si chaque individu regardait autour de lui pour voir ce que chacun pense, et se joignait simplement au choeur qui lui ressemble le plus. Je ne vois pas d’autre manière d’expliquer des agrégats complotistes aussi étonnants que la passion pour la chloroquine, le rejet des vaccins et la colère contre la 5G. Ces sujets n’ont, en surface, strictement aucun rapport les uns avec les autres, mais en accepter un attire irrésistiblement les deux autres, comme par souci de cohérence…»

Du nationalisme thérapeutique

Partout dans le monde, chaque nation ou groupe identitaire aime à se trouver un héros découvreur d’un remède plus ou moins local… mais sans aucun fondement scientifique. Autrement dit, les druides fleurissent en ces temps troublés - et d’ailleurs beaucoup s’inspirent du prétendu succès de l’hydroxychloroquine pour faire leur bouillabaisse locale.

C’est tout particulièrement le cas du gouvernement malgache qui fait du «Covid-Organics» le fleuron de sa recherche nationale. Ce remède traditionnel amélioré composé d’artemisia (une plante traditionnellement utilisée dans la pharmacopée asiatique et africaine pour lutter contre le paludisme) et d’autres plantes médicinales endémiques - telles que le ravintsara produit par l'Institut malgache de recherche appliquée - serait prescrit sous forme de sirop à tous les élèves.

Pour autant, comme l’explique le docteur Michel Yao, responsable des opérations d’urgence de l’OMS Afrique basé à Brazzaville, interrogé par l’AFP : «Par rapport à ce médicament, notre position est claire : il n’y a pas eu de test, on encourage la recherche, mais tout médicament recommandé devrait avoir fait l’objet de tests et essais pour prouver son efficacité et son innocuité, afin qu’il ne soit pas néfaste à la population. Ce qui n’est pas le cas pour ce remède. Si on devait le recommander, il faudrait qu’il fasse l’objet d’un consensus scientifique.» Par ailleurs, des traitements locaux contenant soit-disant de la chloroquine «naturelle» se sont dangereusement développés comme ceux à base de feuilles de neem 2 en Côté d’Ivoire.

En Inde, le gouvernement noyauté par le nationalisme s’est tourné vers … la magie. Début avril, Narendra Modi, Premier ministre de l’un des pays les plus peuplés de la planète (1,3 milliards d’habitants) a lancé une opération assez atypique : au neuvième jour du confinement, à 9 heures du matin, il a adressé un message de neuf minutes à ses compatriotes, les invitant à éteindre, dimanche 5 avril 2020 (soit le cinquième jour du quatrième mois de l’année, que l’on additionne pour atteindre 9), à 21 heures (9 heures du soir, donc), toutes les lumières. Et à allumer bougies ou torches pendant neuf minutes. Autant dire que la magie du chiffre 9 n’a eu que peu d’effet…

L'art de garder la face

«Le chauvinisme et le nationalisme ne sont malheureusement pas étrangers à la “médecine populiste”, mais je dirais que ça n’en forme qu’un aspect parmi bien d’autres.» explique Sebastian Dieguez. «C’est quelque chose qui va énormément varier d’une région du monde, d’un régime politique, d’une culture à une autre. L’important semble avant tout de garder la face dans une situation d’adversité : nous ne restons pas les bras ballants à attendre que les “puissants” viennent à notre aide, nous sommes réactifs, créatifs et respectueux de nos traditions, nous faisons “à notre manière”. Mais de façon plus générale, je crois que ce genre de phénomènes illustre bien le caractère profondément social de toutes ces croyances. Mon opinion est que pour la plupart de ces remèdes, l’important n’est pas vraiment d’y “croire”, mais plutôt de montrer qu’on y croit, c’est-à-dire de signaler son appartenance à tel groupe, sa position dans tel débat, son implication personnelle, autonome et volontaire dans les enjeux. C’est une perspective parfois qualifiée de cynique, mais à moins que tout le monde ne soit soudainement devenu expert en chimie biomoléculaire ou spécialiste des essais cliniques, ça me paraît au moins une approche plausible de la situation actuelle

En Turquie, sur fond de dissidences avec le régime d’Erdogan, un médecin joue au seul contre tous en dépit de l’absence de publication appuyant ses intuitions : le réputé et médiatique hématologue Ercüment Ovali a annoncé avoir trouvé un vaccin contre le SARS-CoV-2. Celui-ci utilise la dornase alfa, employée habituellement pour traiter les maladies pulmonaires chez les personnes atteintes de mucoviscidose? L’annonce a suscité un réel espoir en Turquie, où le virus a officiellement déjà fait plus de 3.000 victimes. Des essais cliniques sur des animaux sont en cours et une partie de la population y croit dur comme fer…

Les pseudo-médecines, un remède à l’incertitude ?

Face à l’universalité des fakemed supposément capables de prévenir ou de guérir le COVID-19, on peut s’interroger sur notre incapacité à accepter l’absence de traitement, l’incertitude et l’attente. Sommes-nous cognitivement programmés pour combler le vide avec des pseudo-connaissances ? Rien n’est moins sûr : «On dit parfois que les gens, en général, n’aiment pas du tout l’incertitude et qu’ils préfèrent les réponses claires, simples et définitives aux questions qu’ils se posent.» précise Sebastian Dieguez. «Ce serait donc un biais cognitif, parfois appelé “le besoin de clôture”». Mais, ce n’est pas aussi simple.

«Certaines recherches récentes suggèrent en fait que la plupart des gens s’accommodent très bien de l’incertitude, et préfèrent qu’on leur dise “on ne sait pas” plutôt que des affirmations trompeuses. Il me semble donc qu’il y a un problème plus général de compréhension des sciences et de communication scientifique. On valorise trop, dans les médias, les films et même la vulgarisation scientifique, l’idée que la science consiste en découvertes incroyables, en révolutions soudaines ou en triomphes envers le scepticisme ambiant. La science serait une sorte de course d’obstacle avec la vérité à la fin. Peut-être qu’il est temps de parler de la science autrement, justement en arrêtant de la “raconter” comme un film hollywoodien avec un début et une fin.»

Plus que jamais, nous avons besoin de scientifiques et de médecins humbles, qui acceptent de dire «Je ne sais pas». Nous sommes capables de les entendre. Le temps viendra où nous les remercierons de ne pas avoir fait de fausses promesses.


Laure Dasinières


Notes :

1- Swami Chakrapani est un militant politique et ascète indien qui prétend être le président d'Akhil Bharatiya Hindu Mahasabha, une organisation nationaliste hindoue de longue date en Inde. Il a attiré l'attention des médias pour son achat des propriétés du criminel recherché Dawood Ibrahim lors de ventes aux enchères et ses tentatives de les convertir en toilettes publiques. En mars 2018, Chakrapani a été désigné comme un ascète frauduleux par l'Akhil Bharatiya Akhara Parishad, l'organisation faîtière des Sants (saints) et des Sadhus (ascètes) hindous en Inde (source : wikipédia).

2- Aussi connu sous le nom de « margousier », le neem est utilisé comme désinfectant en médecine ayurvédique, par application externe du jus des feuilles, ingestion ou en bains. Les graines et l’huile peuvent être utilisées comme moyen de contraception ou comme abortif. Les feuilles et les écorces sont utilisées pour traiter le paludisme (source : wikipédia). L’huile extraite de ses graines sert à fabriquer l’azadirachtine, un insecticide reconnu, qui «présente une faible toxicité aiguë par voies orale et cutanée et une légère toxicité aiguë par inhalation. C’est une substance légèrement irritante pour les yeux et elle est un sensibilisant cutané, mais elle n’est pas irritante pour la peau.» (source : Gouvernement du canada).