Consultations : fin des retards grâce à l'IA ?

Un marathon entrecoupé de sprints. Pour nombre de médecins, une journée de consultation est une course contre la montre, où le planning soigneusement calibré s'affole dès qu'arrivent les patients non programmés et les ordonnances à renouveler longues comme trois bras. Et si l'IA nous permettait de gagner un peu de temps ?



Joris Galland est spécialiste en médecine interne. Après avoir exercé à l'hôpital Lariboisière (AP-HP) il a rejoint le CH de Bourg-en-Bresse. Passionné de nouvelles technologies, il se propose dans notre blog «Connexion(s)» de nous en expliquer les enjeux. 



Titre un peu provocateur, certes... mais en tant que médecin je suis souvent gêné de devoir faire attendre les patients pendant mes consultations. Mais au fait, pourquoi une consultation peut-elle occasionner du retard ? Tout d’abord, rappelons qu’une consultation se déroule généralement en trois temps : l’interrogatoire du patient, l’examen physique et la rédaction des prescriptions. Une consultation est prévue pour durer un temps limité. En médecine interne, je peux théoriquement consacrer 40 min pour un patient qui me consulte pour la 1ère fois et 15-20 minutes pour les consultations suivantes. 

Je ne vous apprends rien, les consultations s’enchaînent et ne se ressemblent pas. Sans parler de celles dites «non programmées» où l'on doit voir un patient en urgence,  entre deux consultations. À la clef, retard et stress…Un planning de consultation, c’est un pari sur l’avenir qui se base sur une durée moyenne théorique par patient. Le temps étant incompressible, il arrive – je ne pense pas m'avancer trop – que l’on déborde. D’après moi, certains moments d’une consultation ne peuvent être écourtés : celui où l’on écoute les plaintes du patient et celui où on l’examine. Pour le reste, il s’agit d’une simple course contre la montre… Et dans cette course, l'IA entre en piste.

Quel professionnel de santé n'en a pas rêvé ? Fluidifier ses consultations grâce à un assistant virtuel, véritable prothèse cérébrale et technique qui l’aide à gérer son temps. Place aux nouvelles technologies et aux IA !



Gagner du temps avant la consultation

Sans entrer dans le domaine de la télémédecine ou de la télé-expertise, des applications simples à utiliser pour le patient permettent de recueillir ses données de santé avant ou entre deux consultations.

Ces applications proposent au patient :

Prenons l’exemple de l’oncologie. Le traitement d’un cancer nécessite de multiples consultations médicales qui engendrent des allers-retours domicile-hôpital éreintants pour le patient. Avec l’application Chimio1, le patient peut évaluer quotidiennement les symptômes provoqués par son traitement à domicile. En fonction de leur nombre, de leur sévérité, de leur fréquence et durée et de l’impact sur la vie quotidienne, un algorithme classe ces symptômes en quatre niveaux d’urgence. Selon la gravité de l’alerte, une télétransmission est réalisée afin de préparer une réponse graduée et de coordonner les soins entre ville et hôpital.

L’objectif est de diminuer les consultations et hospitalisations non programmées grâce à l’anticipation et la gestion en temps réel des situations urgentes. Mais cela permet aussi de prévoir un temps suffisant pour la consultation car en amont le médecin sait déjà si son patient est en bon état général – auquel cas la consultation sera rapide – ou bien s’il rechute, ce qui signifie que la consultation sera longue et débouchera peut-être sur une hospitalisation. 

Ces applications de santé pré-consultation permettent un suivi plus rapproché des patients et une collecte d’information sur l’évolution de la maladie plus pertinente. Surtout, elles utilisent des algorithmes qui prédisent le risque d’évolution défavorable. C’est le cas de l’application Moovcare : son algorithme détecte les rechutes de cancer pulmonaire en se basant sur un simple questionnaire que les patients remplissent une fois par semaine [lire à ce sujet : Les intelligences artificielles vaincront-elles le cancer ?].

En amont de la consultation, ces applications peuvent donc éviter que le patient consulte en urgence, par une meilleure anticipation de ses besoins. Mais elles peuvent aussi lui éviter de venir en consultation de suivi de manière systématique, alors qu’il ne pourrait consulter qu’en cas de besoin – l’IA étant alors chargée de programmer les consultations. Personnellement, je m’en veux toujours de faire venir des patients en consultation tous les trois mois pour respecter les recommandations, même si l’évolution de leur état de santé est favorable et nécessiterait une consultation tous les six mois. Reste à démocratiser ces IA pour le suivi d’autres maladies chroniques, et leur faire confiance pour décider du suivi adéquat en fonction de questionnaires de santé et des résultats biologiques…. À titre personnel, de telles applications pourraient me libérer des créneaux de consultation, et éviter à mes nouveaux patients d’attendre trois mois pour une première consultation.  



Second round : pendant la consultation 

Temps essentiel de la consultation, la prise des constantes. Un rituel qui se répète à chaque patient et prend 2 à 3 minutes. Cela paraît peu, mais représente au final entre 10 à 20% du temps de la consultation. L’IA peut nous aider à raccourcir ce temps, que pour ma part je préférerais consacrer à l’écoute du patient et à la mise en place d’une relation plus empathique.  La solution Binah.ai2 – citons aussi la solution française Quantiq, en cours de test – permet de prendre les constantes en quelques secondes, avec une simple caméra de smartphone braquée sur le visage du patient, plus précisément sur la aprtie supérieure des joues. Les données physiques issues de la vidéo sont ensuite  analysées par l’IA.

Magie ? Non, juste une pointe – affûtée – de technologie… et surtout de physique : Binah.ai mesure les changements dans la réflexion de la lumière rouge, verte et bleue sur la peau, en quantifiant le contraste entre la réflexion «spéculaire» et la réflexion «diffuse». Le procédé se nomme «imagerie photopléthysmographique à distance» (Remote Photoplethysmographic imaging) et fonctionne aussi en plaçant le doigt de l'utilisateur sur la caméra du smartphone. Mieux… Cet outil fonctionne en téléconsultation, et pourrait même permettre de «monitorer» des patients en réanimation, en se passant des scopes et des capteurs...



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Crédits : binah.ai



Fin de la consultation. Voici venu le temps d'une «bête noire» de nombre de médecins : la rédaction des ordonnances. Sans parler des fameuses consultations de «renouvellement d’ordonnance», si chronophages quand le patient vient avec son ordonnance longue comme le bras. Difficile de faire le tri, difficile de connaître toutes les interactions… et quel abattement à l’idée de devoir tout recopier !

Heureusement, l’IA est là pour nous aider. Les applications (françaises !) Synapse3 et Posos4 permettent de numériser l’ordonnance via l’appareil photo d’un smartphone ou de détecter les médicaments présents sur l’ordonnance afin de les analyser et même d'afficher les interactions médicamenteuses dangereuses ou les contre-indications. Cerise sur le gâteau, Posos propose même des substances alternatives ! De mon point de vue de médecin, c’est une petite révolution.

À court terme, ces apps permettront de communiquer directement avec le dossier patient informatisé, par exemple pour mettre en lien l’adaptation de la posologie avec la fonction rénale et  hépatique ou les allergies du patient. L’erreur de prescription médicamenteuse devrait rapidement appartenir à l’histoire ancienne… Une aubaine, vu que chaque année, en France, ces erreurs sont responsables de 10.000 à 20.000 événements indésirables graves, et pourraient être la cause de 1.000 décès. Un coût humain inacceptable, un coût financier non négligeable.



Du stétho au smartphone

Nous voyons par ces quelques exemples (il en existe bien d’autres !) que l’IA pourra dégager le médecin d’une certaine charge mentale – et administrative ! – pour se concentrer sur le patient. C’est d'ailleurs l’idée que défendait le Conseil national de l’Ordre des médecins dans son livre blanc sur l’IA.5

La consultation médicale est un moment de rencontre et d’échange dans un temps limité. Pas de place pour les tâches parasites. L’IA peut nous assister à tous les stades de nos consultations : préparation, synthèse des données, examen clinique et prise de décision thérapeutique. Cette complémentarité Homme/IA permettra à court terme de fluidifier le parcours du patient et d’améliorer les performances et la rapidité du médecin…  tout en préservant la qualité et la sécurité des soins.



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Notes :
1- Application CHIMIO   https://applichimio.com/professionnels-de-sante-test/professionnels-de-sante/#programmemedical
2- Binah.ai – Vital Signs Monitoring for Everyone, Everywhere
3- Application Synapse
4- Application Posos
5- Cnom – Médecins et patients dans le monde des data, des algorithmes et de l’intelligence artificielle