Annoncer au mieux les mauvaises nouvelles... et les bonnes (Jalid Sehouli)

Entretien avec Jalid Sehouli, professeur de gynécologie à l'hôpital universitaire La Charité (Berlin), qui partage son expérience de l'annonce d'une mauvaise nouvelle... ou d'une bonne.


 

Annoncer au mieux une mauvaise nouvelle devrait être une compétence essentielle des médecins. Pourtant, l’enquête réalisée dans le cadre du projet Breaking Bad News montre que la moitié des médecins interrogés ont déclaré ne disposer d'aucun outil adéquat pour annoncer une mauvaise nouvelle à leurs patients. 

Le professeur Jalid Sehouli, directeur médical du département de gynécologie et chirurgie oncologique de l’hôpital universitaire La Charité (Berlin), est à l’origine de cette étude. Il est aussi l’auteur du livre Von der Kunst schlechte Nachrichten gut zu überbringen («L'art de bien annoncer les mauvaises nouvelles»). 


Professeur Sehouli, quels conseils donneriez-vous aux jeunes médecins concernant l'annonce d'une mauvaise nouvelle  ? 

Avant-tout, il faut toujours être conscient qu’à chaque fois que l’on communique un résultat relatif à une pathologie c’est potentiellement une mauvaise nouvelle pour le patient, dans la mesure où ensuite sa vie, la qualité de sa vie et ses perspectives changent. Premier conseil : souvenez-vous qu’il y a souvent une discordance entre ce que le médecin évalue et ce que le patient ressent. Le médecin peut penser qu'une hystérectomie mettra fin aux saignements, mais pour la patiente cela peut avoir une toute autre et douloureuse signification. Deuxièmement, la relation est plus importante que les mots eux-mêmes, elle doit être directe, authentique et sincère. Troisièmement, veillez à ce que le patient ait l'espace nécessaire pour «digérer» le message. En d'autres termes, ne surchargez pas un entretien d’annonce d'informations : faites délibérément des pauses dans vos explications, et prêtez attention à la communication non verbale.


Comment le médecin peut-il se préparer pour un entretien d’annonce ?

Le plus important à mon sens est de se poser la question : «Est-ce que je veux vraiment annoncer cette mauvaise nouvelle, et est-ce que j'en ai les moyens ? ». Le médecin doit apprendre à dire non. Si je ne dispose que de deux minutes, je ne peux pas avoir une telle conversation. Je dois la déléguer, demander l'aide de collègues ou convenir d'un meilleur moment avec le patient. C'est comme pour le pilotage : Si le pilote a un problème, le copilote prend le relais.


Comment avoir une attitude émotionnelle juste dans ce moment si particulier ?

L'empathie ne signifie pas souffrir ou mourir avec le patient. Et le professionnalisme signifie que je dois aussi pouvoir faire preuve d'empathie envers le prochain patient et celui d'après. Pour cela, nous avons aussi besoin de limites. Le médecin ne doit pas tout assumer seul, il peut utiliser des structures professionnelles et doit donc les connaître. Les policiers sont toujours deux lorsqu'ils doivent annoncer une mauvaise nouvelle. Les médecins sont généralement seuls. Ce n'est pas bon. Nous, les médecins, pouvons aussi apprendre des autres professions.


Pourriez-vous citer une chose à faire et une à ne surtout pas faire ?

Plutôt ce qu'il faut absolument savoir, en l’occurrence qu'un entretien de qualité est tout aussi important qu'une intervention chirurgicale compliquée. La communication avec le patient reste le plus beau des cadeaux et la plus grande des responsabilités. Il n'est pas nécessaire d'avoir un bon classement pour étudier la médecine, il faut aimer la communication, les mots. Ce qu'il ne faut surtout pas faire ? Faire un tel entretien même si on n'en a vraiment pas envie ou si on ne le supporte pas. 


Comment démarrer ce type d’entretien ? 

Les patients ne sont souvent pas préparés. Il faut donc les prévenir, leur annoncer «J'ai de mauvaises nouvelles» puis faire une pause de quelques secondes. Mais il faut aussi penser à annoncer les bonnes nouvelles, sinon, les patients pensent qu'un tel entretien ets synonyme de mauvaise nouvelle.


Qu’en est-il de la formation à ces entretiens en Allemagne ?  

L’hôpital berlinois de La Charité est en avance sur cette thématique. Nous avons des séminaires obligatoires sur la communication, l'interaction, le travail en équipe. Nous avons aussi un centre de formation sur les interactions, où nous apprenons à porter un regard professionnel sur nos propres attitudes. L'université de Fribourg et celle de Leipzig font également beaucoup d'efforts dans ce domaine.

Dans beaucoup d'autres, le thème des compétences en communication fait son entrée dans les programmes d'études. Il s'agit notamment de cours avec des patients de simulation. Les scénarios sont construits en fonction d’aspects didactiques. Les actrices sont spécifiquement formées et peuvent également donner leur feedback. Ces initiatives ne sont malheureusement pas généralisées. Il y a aussi un manque de continuité, durant la formation continue. Mais d’un autre côté on ne peut vraiment bien conduire que si l'on continue à conduire seul après l'auto-école, et sous sa propre responsabilité.


Pour finir, parlons des bonnes nouvelles...

J'ai pris des notes à ce sujet pendant un certain temps et j'ai découvert que sur treize conversations quotidiennes, il y avait dix bonnes et trois mauvaises nouvelles. Là aussi, il faut réfléchir à la manière de faire. Nous avons tendance à évoquer le niveau de potassium qui n'est pas bon… et à oublier que nous avons examiné toutes sortes d'organes qui vont bien. Là aussi nous avons aussi besoin de changer de perspective.



Alors, après "Breaking Bad News"… voici "Breaking Good News" : les 5 règles d'or du Pr Sehouli pour annoncer de bonnes nouvelles :



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