Allemagne : les revues médicales Springer renouvellent le genre

Exit «Le chirurgien», la revue médicale allemande s'appellera désormais «La chirurgie». Un premier pas qui paraît tardif. À quand le suivant ?



La version originale de cet article, écrit par notre collègue allemande Elske Brault, a été publiée sur le site esanum.de. Vous la retrouverez ici.     



Jusqu'à présent, les titres des revues spécialisées allemandes publiées par la maison d'édition Springer étaient basés sur des noms de métier masculins. Par exemple : "Der Hautarzt” [Le dermatologue]. À partir de juin 2022, ces revues auront pour titre le nom de la spécialité : “Die Dermatologie".

Dans un communiqué de presse, Springer explique que ce changement de nom fait partie de «l'initiative d'égalité à grande échelle de la maison d'édition Springer Medizin». Springer précise que ces revues s'adressent à un «public médical spécialisé, indépendamment du sexe, de la couleur de peau et de l'origine». En Allemagne, 48% des médecins sont des femmes (2020).


Non, Le chirurgien ne devient pas La chirurgienne

Cela semble prometteur. Un peu trop, peut-être. Sur la photo qui accompagne ce communqiué, une femme à l’allure plutôt conservatrice (notamment sa veste à carreaux) tient en main la revue spécialisée nouvellement intitulée. Ses ongles vernis laissent entrevoir l’article féminin "Die" mais cachent la fin du titre. À cet instant, le cœur de l'auteure de cet article s’emballe… Le chirurgien [Der Chirurg] devient La chirurgienne [Die Chirurgin] !

Las… Les éditeurs allemands ne sont pas si courageux. Exiger des hommes qu'ils se sentent concernés par "Die Chirurgin" – tout comme ma mère dermatologue se sentait concernée en lisant pendant des décennies "Der Hautarzt" [Le dermatologue] –, ce serait une petite révolution. 

Surtout, ce ne serait pas aussi correct que la veste à carreaux sur la photo. Un titre de revue féminisé serait original et audacieux. Et cela exigerait des hommes et des minorités, car il y a aussi des médecins transgenres, une approche très ouverte. Imaginez : pour une fois, les femmes pourraient faire la couverture ! Dans dix ans, peut-être, cette revue pourra s’appeler «Chirurgx» [néologisme utilisable quel que soit le genre]. Pas maintenant. 


Égalité "light” et neutralisation

"Der Chirurg" s'appelle donc désormais "Die Chirurgie", "Der Kardiologe" est rebaptisée "Die Kardiologie" et ainsi de suite… La justification de Springer est très convaincante : après tout, c'est le contenu scientifique qui compte. Un éditeur précise d’ailleurs que «Le nouveau titre tient de la solution de Salomon. Il se focalise sur la discipline, c'est aussi simple que cela».

Je suis bien consciente qu'il est difficile de trouver un titre qui soit à la fois juste et concis. Mais reconnaissons que les anciens titre des revues Springer s'adressaient au lecteur, ou à la lectrice. «Bonjour dermatologue, tu es important, tu es une personne très importante pour tes patients. C'est de toi qu'il s'agit dans cette revue». 

Désormais, la revue parle de la spécialité. C’est le prix à payer pour une désignation gender-correct : elle neutralise souvent, désensibilise, déshumanise. Quitte à choisir cette option, Springer aurait pu envisager une alternative : supprimer l’article et rebaptiser la revue «Chirurgie». Comme s’il s’agissait d’un nouveau territoire, prompt à susciter la curiosité des lecteurs. Mais il aurait fallu pour cela rompre un peu plus avec la tradition, et on ne voulait pas aller aussi loin.

Vous trouverez le communiqué de presse original de Springer ici.


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