Allemagne : feux d'artifice, l'innocence perdue

En Allemagne, le nouvel an est l'occasion d'un gigantesque feu d'artifice « sauvage » et populaire. Pétards et fusées sont lancés dans toutes les rues. Cette tradition, menacée par son bilan écologique désastreux et ses conséquences sanitaires, cherche à se réinventer.



La tradition remonte au XVe siècle : faire du bruit pour éloigner des maisons les mauvais esprits de l’année écoulée. Les coups de fusil d’antan ont été remplacés par pétards et feux d’artifice. Le 31 décembre, peu avant minuit, les villes allemandes prennent un air de guérilla urbaine, plus ou moins joyeuse. Enfants, ados, adultes, tous sortent dans les rues pour une grande furie. Sitôt le sekt bu (une sorte de mousseux) la bouteille devient rampe de lancement pour les fusées colorées.    

Mais cette catharsis collective a un prix. Trois morts aux alentours de Berlin en 2017-2018. Chaque année des doigts arrachés, des pétards qui explosent au visage, des troubles auditifs à vie. Sans compter les yeux qui brûlent, la gorge qui gratte et l’odeur âcre de la poudre. Le bilan environnemental est lui aussi désastreux, avec une profusion de déchets, la perturbation de la faune, et surtout la dissémination massive de particules fines.    

Un feu d'artifice, c'est fait avec quoi ? 

Papier, carton, bois et plastique constituent 60 à 75 % des feux d'artifice. Les 25 à 40 % restants, qui assurent la partie purement pyrotechnique, sont principalement de la poudre noire et un mélange de nitrate de potassium (75 %), de charbon (15 %) et de soufre (10 %). Les couleurs sont produites par des composés de strontium, de cuivre et de baryum. D’autres substances peuvent être présentes : hexachlorobenzène, métaux lourds (arsenic, plomb, mercure), picrates ainsi que des mélanges de chlorates avec des métaux, du soufre ou des sulfures. Cette composition est encadrée par une norme européenne.

La catégorie F1 comprend des feux d’artifice à risque très faible (cierges magiques, fontaines) et des pétards. La catégorie F2 qui comprend les feux d'artifice typiques de la veille du Nouvel An dont l’utilisation, par des personnes de plus de 18 ans, est autorisée du 31 décembre au 1er janvier. Ils contiennent au maximum 6 grammes de poudre noire et 250 grammes de composition pyrotechnique. Les catégorie F3 et F4 sont réservée aux artificiers professionnels.

Depuis 10 ans, les ventes ont augmenté en moyenne chaque année de 43 000 tonnes, sans compter les importations illégales (de Pologne notamment, où la législation sur la puissance des pétards est plus souple). 

Bilan environnemental

L’émission de dioxyde de carbone est de moindre importance. Si la poudre noire est responsable chaque année de la production de 7 200 tonnes de CO2, cela représente seulement 0,0008 % des émissions allemandes de gaz à effet de serre.

Par contre près de 5 000 tonnes de particules fines sont libérées dans l’atmosphère en quelques heures, soit environ 20 % de l’ensemble de particules fines dégagées par le trafic routier allemand sur une année. Cette comparaison est critiquée par les industriels, qui précisent que les particules résultant de la combustion de la poudre noire sont principalement composées de carbonate de potassium, et n'ont rien à voir avec celles, très nocives, issues du diesel. Le marché annuel allemand de la pyrotechnie est estimé à 137 millions d'euros.

La fumée dégagée par les explosions - si dense qu’elle empêche par exemple de voir la Tour de la télévision à Berlin - est constituée de particules fines : PM10 (< 10 micromètres) et PM2.5 (< 2.5 micromètres). La concentration en particules dépend des conditions météorologiques : le vent fort ou la pluie peuvent aider à les disperser

Environ 4 200 tonnes de PM10 sont libérées dans l’air à cette occasion, ce qui représente 25 % des particules fines produites par les chauffages au bois et 2 % de la production totale. D’après l'Agence fédérale de l'environnement1, au cours de la première heure de la nouvelle année la pollution de l'air par les particules fines atteint environ 1 000 microgrammes de particules par mètre cube d'air (µg/m³) dans les grandes villes. Pour comparaison, en 2018 la concentration moyenne sur l’année, en zone urbaine, était d’environ 18 µg/m³. La valeur limite quotidienne fixée par la Commission européenne est de 50 µg/m3. Elle ne doit pas être dépassée plus de 35 jours par an. Un quota entamé, en Allemagne, dès le 1er janvier.

Quels effets sur la santé ?

Les PM10 se retrouvent dans les bronches, causant des irritations notamment chez les personnes sensibles (asthmatiques, enfants et personnes âgées). Celles produites par les feux d’artifices sont plus toxiques que les particules « habituelles ». D’ailleurs, la Fédération allemande de pneumologie recommande aux seniors et aux personnes atteintes d'une maladie respiratoire chronique d’éviter de s’exposer.

Les PM2.5 sont plus nocives car elles peuvent atteindre les alvéoles pulmonaires, voire passer dans le sang. La valeur limite recommandée par l’OMS - 25 µg/m3 sur 24h - ne devrait pas être dépassée plus de 3 jours par an.

Généralement les allemands laissent sur place les feux d’artifices utilisés. Des tonnes de résidus de pétards, d’emballages, de tubes en carton à moitié consumés (fontaines) ou de baguettes de bois (fusées) jonchent les rues. Dans les cinq plus grandes villes (Berlin, Hambourg, Munich, Cologne, Francfort) s’accumulent le 1er janvier 6 fois plus de détritus que les autres jours. S’ils ne sont pas ramassés rapidement, les produits chimiques résiduels peuvent être emportés par l'eau de pluie et pénétrer dans le sol et les nappes phréatiques.

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Autre pollution, le bruit. En Allemagne, environ 8 000 personnes souffrent chaque année de dommages à l'oreille interne en raison des feux d'artifice. Un tiers d’entre elles garderont des séquelles. Pour la catégorie F2, les normes prévoient pourtant un niveau sonore de 120 dB maximum, mais il est mesuré à une distance de huit mètres. Pour une personne placée à un mètre seulement, le niveau sonore augmente de 18 dB. 

Interdire, restreindre, ou réinventer ?

Dans ce pays où les traditions, et l’industrie de la chimie, pèsent lourd, difficile d’imaginer une interdiction à court terme. Les allemands sont ambivalents. D’après une enquête YouGov de 2018, 61 % d’entre eux voulaient que les pétards soient interdits dans les centres-villes et 60 % estimaient que seuls les feux d'artifice officiels devraient être autorisés en ville. Mais seules 43 % des personnes interrogées ont approuvé une interdiction totale, qui semble de plus en plus soutenue par les jeunes. 

À défaut d’interdiction, la préoccupation grandissante pour l’environnement pourrait restreindre cette aberration écologique. L’ONG Deutsche Umwelthilfe - généralement concentrée sur l'interdiction des voitures diesel dans les centres-villes - réclame que les feux d’artifice y soient aussi interdits. Plusieurs chaînes de magasins ont cette année refusé de vendre pétards et fusées et souhaitent recommencer.

À Berlin, Alexanderplatz et la Porte de Brandebourg ont été déclarées « sans feux d’artifices », comme la vieille ville de Munich et la cathédrale de Cologne. Ce qui émerge, dans la population et la classe politique, c’est une demande de spectacles organisés, avec des feux d’artifice « professionnels » utilisant éventuellement des lasers ou des drones, comme à Shangai. 

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« Fais des câlins, pas des Boum ! »

Les autorités de la ville de Berlin ont quant à elles lancé fin novembre la campagne « Knutschen statt ». Court métrage, affiches, autocollants distribués dans 467 restaurants…Tout est bon pour inciter les Berlinois à délaisser les feux d’artifices pour d’autres amusements, théoriquement moins bruyants et tout aussi hauts en couleurs.   

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1- Umwelt Bundesamt
Zum Jahreswechsel: Wenn die Luft „zum Schneiden“ ist (décembre 2019)https://www.umweltbundesamt.de/sites/default/files/medien/479/publikationen/hgp_wenn_die_luft_zum_schneiden_ist_2019.pdf