Suisse – La psychothérapie assistée par psychédéliques disponible à l'hôpital<br>(Federico Seragnoli)

Aux Hôpitaux Universitaires de Genève, il est possible de suivre une psychothérapie assistée par psychédéliques. LSD, psilocybine et MDMA amplifient les effets de la thérapie. La MDMA est utilisée pour traiter le stress post-traumatique.



Federico Seragnoli est psychologue et doctorant aux Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG). Ses travaux portent sur l’utilisation thérapeutique des substances psychédéliques.

Aux HUG, les résidents suisses peuvent désormais bénéficier de séances de psychothérapie assistées par psychédéliques (PAP). Une cinquantaine de patients ont déjà été traités. La Suisse est l’un des seuls pays où trois substances – LSD, psilocybine et MDMA – sont utilisées en usage compassionnel.


M.Seragnoli, quel est l'intérêt des substances psychédéliques au cours d’une psychothérapie ?

Le but, c’est d’amplifier les effets de la psychothérapie. En modifiant temporairement les perceptions du patient, les substances psychédéliques «ouvrent» ses représentations. Le patient dispose ainsi de plus de flexibilité psychologique.

Les addictions ou encore l'anxiété sont des moyens d’éviter ses propres émotions, pour s’en préserver. Avec ces substances, les émotions sont ressenties de manière intense, sans échappatoire. Confronté à ses émotions, le patient peut accéder à des souvenirs traumatiques et ensuite modifier certains automatismes. Par ailleurs, le transfert et l’alliance thérapeutique entre le patient et le thérapeute sont augmentés.

Plusieurs études ont montré que la psychothérapie assistée par psychédéliques peut atténuer les symptômes anxieux ou dépressifs, ou encore réduire certaines dépendances. Ces substances n’agissent pas de la même façon sur le cerveau : la psilocybine est surtout utilisée pour traiter la dépression et le LSD pour traiter l’anxiété.


Quelle est l’indication spécifique de la MDMA ?

En Suisse, nous utilisons la MDMA1  – aussi connue sous le nom d’ecstasy – dans le traitement du stress post-traumatique (Post-traumatic stress disorder – PTSD). Cette substance se trouve en phase 3 au niveau de son développement en tant que médicament, nous l’utilisons donc dans le cadre de l’usage compassionnel. La Food and Drug Administration (FDA) lui ayant accordé le statut de “Breakthrough therapy”2, nous pensons que la MDMA utilisée dans le traitement du stress post-traumatique recevra un agrément dès 2024. L'Agence européenne des médicaments devrait suivre. La MDMA deviendrait ainsi la première substance psychédélique à être considérée officiellement comme un médicament.

Le PTSD résulte d’un dérèglement de la réponse au stress chez des personnes qui ont vécu des moments très difficiles. Faute de pouvoir les «métaboliser», leur psychisme a mis en place des défenses très fortes. Souvent, les patients n’ont plus accès à leurs souvenirs, même en thérapie. Par contre, ils sont victimes de crises biopsychologiques majeures, avec des flashbacks, déclenchées par des faits anodins. Ces patients vivent donc avec un sentiment de menace permanente. Certains présentent même des épisodes de dépersonnalisation.

En activant un noyau de l’amygdale, la MDMA favorise la régulation de la réponse au stress donc permet d’accéder aux souvenirs traumatiques pendant la thérapie. Cela semble être plus efficace que l’EMDR [Eye Movement Desensitization and Reprocessing], la technique classiquement utilisée contre le PTSD.

En usage «récréatif», la MDMA permet de vivre une expérience tournée vers les autres. Dans un cadre thérapeutique, elle tourne le patient vers lui-même. Il peut accéder à ses souvenirs et exprimer sa rage et son sentiment d’injustice.


Quels résultats peut-on attendre de ces thérapies assistées par psychédéliques ?

C’est comme pour une thérapie classique, l’intensité de l’insight peut varier [processus par lequel un sujet se saisit d'un aspect de sa propre dynamique psychique jusque-là méconnu de lui]. Mais l’expérience est toujours intéressante car le patient apprend sur lui-même.

Nous avons pu vérifier l’efficacité des psychothérapies assistées par psychédéliques sur des sevrages alcoolique. Un patient présentait des crises d'angoisse invalidantes cinq à six fois par jour, depuis des années. Après la séance, il n’a pas eu de crise pendant quelques jours, puis elles sont revenues mais avec une intensité moindre. Parfois le résultat est immédiat et spectaculaire : un patient essayait d'arrêter de fumer depuis 20 ans et y est parvenu dès le lendemain de la séance.

Certains patients ne ressentent pas les effets mais nous constatons que la séance à quand même fait bouger les lignes. Dans tous les cas, s’il n’y a pas de bénéfice clair, on ne propose pas d’autres séances.


Comment se déroulent-t-elles ?

Il y a toujours une ou deux séances préparatoires, pour réaliser des examens sanguins et un ECG. Les traitements habituels doivent être poursuivis, sauf les triptans et les antiépileptiques. Concernant les antidépresseurs, nous évaluons la situation avec le patient et s’il est d’accord il interrompt provisoirement le traitement.  

Ensuite nous demandons à l'Office Fédéral de la Santé Publique une autorisation de traitement. Chaque patient peut bénéficier de trois séances de PAP par an. Par contre, l’achat de substances reste à sa charge.3

Le jour de la prise de substance, l’équipe soignante est présente en permanence près du patient, mais nous n'intervenons qu'à sa demande. C’est uniquement une expérience d’introspection, il n’y a pas de psychothérapie à ce moment-là. Le patient est allongé dans un lit sécurisé, avec s’il le souhaite un masque sur les yeux et de la musique. La séance dure entre six et dix heures, selon la substance.

Une séance d’«intégration» a lieu le lendemain, en présence des thérapeutes des HUG et éventuellement du thérapeute qui suit habituellement le patient. Ce dernier évoque son vécu de l'expérience. L’entretien est enregistré afin que le patient puisse le réécouter ultérieurement, seul ou avec son thérapeute. 

Enfin, une séance d’«amplification» a lieu dans notre service quatre à six semaines plus tard. Nous abordons les effets que le patient aurait pu observer dans son quotidien, suite à l’expérience. Cette séance est aussi l’occasion de d’évoquer la suite du processus et, le cas échéant, de planifier la prochaine séance de PAP.


Quelles sont les contre-indications ?

Dans des contextes d’utilisation récréative, les psychédéliques induisent très rarement des états psychotiques ou maniaques. Toutes les mesures de sécurité et de supervision mises en place dans un contexte thérapeutique préviennent ce risque. Par précaution, des antécédents personnels ou familiaux de troubles bipolaires ou d’épisode psychotique sont une contre-indication absolue.

Sinon, à l’exception d’une maladie cardiovasculaire sévère et non contrôlée, d’un trouble épileptique ou d’une cirrhose hépatique sévère, il n’y a pas de contre-indication.


Y a-t-il des risques ?

Durant la séance, le psychothérapeute peut malgré lui se retrouver en position de «gourou» car le patient peut projeter sur lui des images de grandeur. II faut donc être très vigilant au niveau éthique.

Par ailleur, des effets indésirables physiques légers et transitoires peuvent survenir pendant quelques heures après la prise de la substance. Les dosages utilisés sont relativement faibles et ne présentent pas de risque de toxicité. Il n’y a pas non plus de risque de dépendance.

Nous sommes très attentifs aux effets indésirables psychiques, qui dépendent notamment de l'état psychique du patient au moment de la séance. Les substances psychédéliques peuvent provoquer des angoisses voire un sentiment de persécution, souvent juste après la prise. C’est pourquoi la séance se déroule dans un environnement très calme et en présence de soignants.

En amont, nous décidons avec le patient jusqu'où aller dans le contact physique pendant la séance: poser la main sur son épaule, lui prendre la main, etc. Si besoin, nous pouvons l’apaiser avec du lorazépam ou du risperdone.

Hors contexte thérapeutique, d’autres effets indésirables sont possibles. Ils peuvent se produire lorsque des usagers mélangent plusieurs substances. Mais dans le cadre de la psychothérapie assistée par psychédélique, aucun effet indésirable grave induit par ces substances n’a jamais été observé. 
 


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Federico Seragnoli



(Propos recueillis par Benoît Blanquart)


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Notes :
1- La MDMA (méthylènedioxy-N-méthylamphétamine) est une molécule psychostimulante de la classe des amphétamines.
2- "Breakthrough therapy" (thérapie innovante et décisive).
Statut prioritaire accordé par la Food and Drug Administration américaine à un produit médicamenteux en cours de validation et de nature à procurer une avancée thérapeutique décisive.
3- Le prix dépend du dosage (1 CHF vaut environ 1 euro) :   
15mg de psilocybine : 225 chf
25mg de psilocybine : 375 chf
100mcg de LSD : 128.40 chf
200mcg de LSD : 256.80 chf