Pandémie en Europe : l'hospitalisation privée, un atout négligé

Quel rôle fut alloué aux hôpitaux privés des pays européens dans la lutte contre la Covid-19 ? Comment ont-ils été impactés par la pandémie ? Interview du Dr Garassus, président de l’Union européenne de l’hospitalisation privée.

Paul Garassus, neurologue, est le président de l’Union européenne de l’hospitalisation privée (UEHP) qui représente douze fédérations nationales*, soit plus de 5.000 établissements de santé privés. L’objectif de l’UEHP est de promouvoir l’hospitalisation privée en Europe en tant que service complémentaire au système hospitalier public. Ses principes : garantir l'égalité d'accès aux soins, la qualité des soins et la viabilité des systèmes de santé. En Europe, 20% de l’offre hospitalière est gérée par des acteurs privés.


Dr Garassus, l’Europe a-t-elle montré ses limites face à la pandémie ?

Il y avait au niveau européen des plans prévus en cas d’épidémie. Les États savent bien qu’une épidémie se joue des frontières. Aucun de ces plans n’a pu être appliqué car tout le monde a été pris de court. Les anticipations, les raisonnements à froid ont été battus en brèche. En fait il n’y a pas eu de réponse européenne concertée mais uniquement des tentatives de réactions nationales face à un débordement.

Au final aucun gouvernement n’a été vraiment bon, car aucun ne pouvait l’être. Suite à cette crise, Ursula Von der Leyen [Présidente de la Commission européenne] et Stélla Kyriakídes [Commissaire à la santé] ont logiquement appelé à une réflexion sur l’Europe de la santé, avec des outils partagés, y compris organisationnels, entre tous les acteurs.  

Il est de toutes manières difficile de réfléchir en termes d’États car cette crise sanitaire a quasiment toujours été régionale et non nationale. Milan ou Bergame ont été dévastées lors de la première vague alors que le sud de l’Italie a été relativement épargné. En France, c'est l’Alsace qui a énormément souffert à l'époque, contrairement à Bordeaux, Montpellier ou Marseille. Les gouvernements auraient donc dû faire preuve d’une très grande adaptabilité pour être efficaces, et aucun ne sort vraiment du lot.   

Cet aspect régional est trop peu débattu. Face à une deuxième vague nous devons être capables de mobiliser très rapidement l’offre de soins sur les zones à forte densité de population qui seront impactées les unes après les autres, en cascade, dans différentes parties de l'Europe. Cela nécessite un dispositif souple avec des transferts interrégionaux de ressources, comme des vases communicants. Il y a eu face à la pandémie quelques belles actions d’entraide entre les États, mais c’est à l‘échelon régional que cela se joue.    


L’hospitalisation privée peut être très réactive. A-t-elle été suffisamment sollicitée ?  

L’hôpital public a été mobilisé en première intention parce qu’il dispose d’une activité de médecine et d’une capacité d’accueil de moyenne durée plus fortes. Surtout, le secteur public est toujours le partenaire évident pour l’administration sanitaire puisqu’ils co-régulent l’offre de soins. Cette «monoculture publique» s’est vérifiée cette fois encore, que ce soit en France ou dans les autres pays européens. 

Je suis un «vieux» médecin mais j’ai été pourtant surpris de voir qu'en France, malgré l’ampleur des besoins, le secteur privé a d’abord été quelque peu négligé jusqu’à ce que les hôpitaux soient engorgés. On se souvient du transfert vers Bordeaux de patients alsaciens alors qu’à proximité des cliniques étaient vides. On peut parler d'un «retard à l’allumage». 

Lorsque nous avons enfin été appelés en renfort nous avons aussitôt accueilli des patients. 22% des lits de réanimation dédiés à la prise en charge de la Covid-19 en Île-de-France dépendaient du secteur privé. Nous avons aussi mis à disposition nos locaux et matériels, et surtout nos personnels : des médecins et soignants sont venus de cliniques de toute la France pour épauler les collègues dans les hôpitaux. Il n’y avait plus d’étiquette «public» ou «privé ». Idem en Italie : l’hôpital universitaire privé San Donato de Milan a été très sollicité. Quand il fut à son tour saturé des collègues du secteur privé roumain sont même venus à la rescousse.     

 
L’Europe a-t-elle appris de cette première vague ?

Certains points faibles ont été identifiés. La question de l’approvisionnement fut très emblématique de l’absence de cohésion européenne. Face à un manque cruel de matériel stratégique - masques, respirateurs, médicaments - les États ont fait cavalier seul, voire se sont «tirés la bourre». Pendant qu’Emmanuel Macron sollicitait directement le gouvernement chinois Angela Merkel rassemblait à la chancellerie une centaine d’industriels pour leur demander de trouver des solutions directement là-bas. Ce sont eux qui ont ramené des masques.

Autre leçon à tirer, les barrières administratives. Nous nous souvenons du Boeing chargé de masques à destination de la France, bloqué sur le tarmac chinois avant de finalement s’envoler pour les USA. Officiellement les américains ont payé cash et beaucoup plus cher, mais il y a une autre explication. L’avion aurait été bloqué car ces masques avaient une certification internationale mais pas européenne. Je pense que les leçons ont été tirées, au niveau des approvisionnements et de la gestion des ressources. Et désormais les stocks sont pleins. 


Le secteur privé européen est-il prêt pour affronter la seconde vague ?

Bien sûr, nous serons de nouveau là. Encore faut-il que les gouvernements, qui sont à la fois les régulateurs et les payeurs, fassent appel à nous et nous soutiennent. En Europe, certains établissements privés ont été tenus à l’écart. D’autres - dotés d’une réanimation - ont été mobilisés mais pas rémunérés. Enfin de nombreuses cliniques fermées par manque d’activité ou sur injonction n’ont pas été indemnisées. Si l’hôpital en général est bel et bien la seconde victime de cette crise, l’hospitalisation privée en particulier peine à s’en remettre. En la matière, on observe de fortes disparités selon les pays.  

La France et l’Allemagne sont des pays qui ont eu l’intelligence d’impliquer ou de maintenir à flot financièrement l’ensemble des infrastructures hospitalières, ce qui les rend capables de faire face à une deuxième vague. La Suisse pour sa part a mis en place pendant la crise sur un partenariat public-privé inédit : dans le canton de Genève, c’est un collège mixte qui décidait des interventions à maintenir. Elles étaient ensuite programmées dans un établissement en fonction des disponibilités mais sans tenir compte du statut. L’Italie a aussi su bâtir cette coopération. En Émilie-Romagne l’offre public-privé s’est efficacement structurée en trois niveaux face à la Covid-19 ; le secteur privé a donc joué un rôle important dans cette région, avec 5.000 des 20.000 lit d’hospitalisation disponibles. Idem en Lombardie, où 18% des patients Covid-19 ont été pris en charge par le groupe privé San Donato.  

D’autres États ont pris le risque de concentrer toutes les ressources sur le secteur public, même lorsqu’il était débordé. Le gouvernement portugais a refusé de payer pour les patients Covid admis en réanimation dans le secteur privé. En Pologne et en Hongrie les gouvernements ont carrément refusé qu’ils soient pris en charge dans le privé. La moitié des hôpitaux privés polonais sont d’ailleurs encore fermés. La Grèce a été très peu touchée par la première vague mais pourtant tous les établissements privés ont dû fermer, avant de reprendre 50% de leur activité à la mi-mai. Ils n’ont reçu aucune aide de l’État. En Espagne, 14% des patients Covid-19 en réanimation ont été pris en charge dans des établissements privés. Pendant ce temps les revenus des cliniques ont chuté de 60%, et seule la région de Catalogne leur a accordé une compensation financière. Ces gouvernements qui choisissent de faire l’impasse sur l’hospitalisation privée ou de la mettre en péril prennent le risque de saborder l’offre de soins.
 


Dr Paul Garassus

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