Dr Fleck – « 75% de nos patients décèdent à la maison »

En Allemagne, Ullrich Fleck a développé un réseau de soins palliatifs ambulatoires. Farouchement opposé à l'euthanasie, il défend une conception des soins palliatifs où le médecin s'investit sans compter.

Soins palliatifs ambulatoires : l’initiative du Dr Fleck 


Dr Fleck, votre inititiative fut pionnière dans le domaine des soins palliatifs ambulatoires. De quelle manière ? 

En 2008, l’Assemblée de l’État du Brandebourg [Land qui entoure Berlin] a publié un rapport d’expertise. Notre réseau de soins ambulatoires spécialisés, qui combine soins à domicile et soins hospitaliers, a été cité comme l’un des leaders dans le champ des soins palliatifs. Ce rapport concluait qu’il fallait développer une dizaine de centres de ce type dans l’État de Brandebourg. Comme j’étais déjà impliqué dans ces structures et dans l’Association médicale de Brandenburg, nous avons pu faire reconnaître officiellement notre structure. 

Les Soins Palliatifs Médicaux Généraux [Allgemeine Ambulante Palliative Versorgung – AAPV] sont désormais des Soins Palliatifs Médicaux Spécialisés [Spezialisierte Ambulante Palliative Versorgung – SAPV]. Ceci a permis de proposer à tous les médecins – généralistes, hospitaliers, chefs de services – une formation complémentaire spécifique. Tous les médecins qui souhaitent coopérer avec notre centre ont maintenant besoin de cette qualification supplémentaire en médecine palliative.


Auriez-vous un exemple des prises en charge que vous assurez ?

Nous avions un patient – un homme de 74 ans atteint d’un cancer de l’intestin – dont le médecin généraliste ne pouvait plus assurer le suivi. Une tumeur intestinale avait été enlevée chirurgicalement quelques années auparavant. Malheureusement, comme c’est souvent le cas, il avait développé de petites métastases partout dans le péritoine. Il avait également eu une occlusion intestinale, qui avait nécessité une autre opération, après quoi il avait été renvoyé chez lui avec une iléostomie. 

Le traitement de la plaie était difficile, car les selles liquides sont agressives et irritent la peau. L’équipe infirmière a géré les choses de manière très professionnelle, et le patient a pu se remettre de cette occlusion intestinale. Cependant, les métastases ont continué de croître, entraînant une récidive d’occlusion intestinale.

Nous devions décider s’il fallait trouver une nouvelle solution thérapeutique afin de le maintenir en vie un peu plus longtemps. Une fois par mois, nous étions confrontés à une situation particulière d’occlusion intestinale, avec des vomissements de matière fécale. Dans une telle situation, on s’interroge forcément sur la nécessité de poursuivre les soins.

Les métastases se développaient entre la stomie et la paroi abdominale, et il fallait constamment s’assurer qu’elles ne percent pas. Mais en ayant recours notamment à un traitement anxiolytique puissant, nous avons réussi à procurer à ce patient une qualité de vie acceptable. Il passait beaucoup de temps dans le jardin avec sa compagne. Puis il a pu dire au revoir à sa famille et s’est endormi paisiblement. C’est le genre de situation qui peut être trop lourde pour un médecin généraliste.


Ce patient comprenait-il que sa vie touchait à sa fin ?

Tout le monde a un principe d’espoir. On ne peut pas dès le départ d ela prise en charge asséner au patient une prétendue vérité, car nul ne sait à ce moment-là quand ni comment il va mourir. Alors nous essayons de laisser vivre le principe d’espoir, mais sans mentir. Nous disons honnêtement au patient quelles sont les options thérapeutiques et lui décide s’il les accepte ou non.

Il y a presque toujours un moment où le patient évoque son désir de mourir. En d’autres termes, il pose la question : «Docteur, pourrez-vous me faire une injection pour que je puisse rapidement quitter ce monde si j’ai trop mal ?» Nous devons à chaque fois réaffirmer que nous ne sommes pas un «escadron de la mort», que nous sommes là pour traiter les nombreux symptômes et soulager la douleur au mieux. Si ces médicaments ont pour effet secondaire de faire partir le patient un peu plus tôt, alors soit. Mais ce n’est pas à nous en tant que médecins de déterminer le moment. 


Que penseriez-vous d’une législation plus permissive en Allemagne, comme celle de la Suisse sur le suicide assisté ou celle des Pays-Bas sur l’euthanasie ?

Ce n’est pas quelque chose que je verrais d’un bon œil. Nous devons encourager les médecins à prendre plus de responsabilités dans cette dernière phase de vie. Il n’est pas nécessaire de légiférer pour réglementer cela. Chaque loi a ses failles juridiques, et celles-ci ouvrent un champ d’action personnel où ce sont finalement les compétences du médecins qui importent. 


En Allemagne, les caisses d’assurance maladie ont un rôle prépondérant. Devraient-elles modifier leurs pratiques ?

En 2015, une révision de la loi sur les soins palliatifs est entrée en vigueur. Chaque citoyen a le droit de recevoir en fin de vie des soins spécialisés. Le paragraphe 132d exige que les médecins et les infirmières suivent une formation supplémentaire en médecine palliative. Encore faut-il que cette activité soit rémunérée de manière raisonnable. 

Notre travail est complexe. Il ne peut pas être pris en compte avec une tarification à l’acte. On ne peut pas décomposer les prises en charge en disant : «J’y étais pendant 15 minutes, j’avais 15 minutes de route pour m’y rendre, j’ai administré tel et tel médicament». Nous devons être rémunérés en fonction d’un taux forfaitaire. Parfois je dois parler longuement au patient, ou bien rester avec lui pour vérifier les effets du traitement. D’autres fois, je peux déléguer certaines tâches à un proche. 

Les caisses d’assurance maladie voudraient que les prestations soient facturées de manière individuelle, mais alors les choses seraient comme à l’hôpital. Je connais trop bien ce système : la paperasse nous accapare et nous n’avons plus le temps de tenir la main du patient, d’écouter ses besoins, d’être vraiment là pour le soutenir. 

Les caisses d’assurance maladie doivent nous donner ce temps sous forme de forfait au lieu de nous suspecter de vouloir nous enrichir. Nous ne faisons pas ce métier pour ça. Certaines caisses appliquent des taux forfaitaires mais elles ne doivent pas pour autant penser qu’elles peuvent continuer à diminuer ces taux.  

Les soins palliatifs ambulatoires de proximité sont d’une grande qualité : les patients et les proches souhaitent vivement y avoir accès. D’après la loi, ils en ont le droit. Grâce à notre réseau, nous parvenons à ce que 75% de nos patients décèdent à la maison, entourés de leurs proches.


Quels conseils donneriez-vous aux jeunes ou futurs médecins ? 

Au cours des dernières années, les soins palliatifs se sont considérablement développés. Les connaissances scientifiques dans ce domaine ont fortement progressé et de nouvelles directives ont été adoptées. Désormais, les soins palliatifs sont au programme des études de médecine : des aspects de la médecine palliative ont été inclus dans les différents champs de la formation initiale. C’est important, car même si les aspects psychologiques jouent un rôle majeur dans l’accompagnement d’une personne en fin de vie, la prise en charge est quelque peu différente par exemple en gynécologie ou en urologie.

Maintenant, c'est aux chefs de service de faire évoluer leur point de vue. Ils doivent expliquer lors des formations initiales et continues comment chaque médecin peut faire face lorsque les traitements deviennent inefficaces. Après tout, la mort fait partie de la vie. C’est un processus dont tout médecin qui veut guérir le patient devrait être conscient. 

De même, tout médecin doit admettre qu’il y a un stade où le traitement curatif n’est plus l’objectif principal, ou la priorité est de débattre avec le patient du changement d’objectif thérapeutique et de lui apporter aussitôt un fort soutien. Lorsqu’une personne est atteinte d’une BPCO sévère, à un moment donné le médecin est confronté à des troubles respiratoires si graves que la seule chose à faire est de sédater le patient pour l’empêcher de s’étouffer.

Dans ces cas-là, le pneumologue ne peut pas se contenter de suivre le patient uniquement jusqu’à ce que la situation empire, puis de lui dire : « Maintenant vous allez rentrer chez vous, nous allons appeler un spécialiste en soins palliatifs qui viendra vous voir et vous expliquera tout.» Le médecin spécialiste doit toujours être impliqué dans la construction de l’accompagnement de la fin de vie. 


Comment des praticiens hospitaliers peuvent-ils trouver le temps nécessaire pour ces accompagnements ? 

Ce n’est pas du temps que vous prenez sur vos heures de travail quotidien. Dans ces situations, les médecins en milieu hospitalier devraient rendre visite aux patients après leur temps de travail pour discuter de certaines étapes avec eux. Un tel accompagnement nécessite que l’on prenne le temps. Cela implique de l’empathie. En retour, nous recevons tellement. Ces patients réalisent bien qu’un effort particulier est fait pour eux et ils sont très reconnaissants. 

Si je repense à mon propre travail, à la façon dont je me suis impliqué pendant mes années en tant que médecin-chef, je peux vous dire que parfois il faut aller voir les patients à l’hôpital le week-end. Ou bien prendre le temps de leur parler longtemps au téléphone. Il est arrivé que je sois au bloc opératoire et qu’une infirmière m’appelle à propos d’un patient en soins palliatifs et me demande : «Docteur, je fais quoi ?»

Je dis toujours qu’il faudrait beaucoup plus de nombreux médecins formés. Chacun ne peut s’occuper que de deux à quatre patients à la fois, car il faut leur rendre visite plusieurs fois par semaine pour voir si tout se passe comme prévu. C’est important car c’est là que nous comprenons précisément leurs besoins et ajustons le suivi : à certains moments, l’intervention d’un physiothérapeute sera plus efficace qu’un traitement médicamenteux.  


Vous avez un nouveau projet. Quel est-il ?

Mon épouse est décédée l’an dernier d’un cancer du sein. Elle a pu dire au revoir à ses enfants et ses petits-enfants, et mourir à la maison. Bien sûr, ça a été très dur pour moi. Alors je me concentre sur un projet que je veux absolument mener à bien. Je veux créer un hôpital de soins palliatifs pour les enfants, ici, dans notre secteur. 

On ne sait pas encore exactement comment cet établissement sera organisé, si les enfants seront admis pour des périodes longues ou seulement pour quelques jours à la fois, afin de soulager les familles. Mais je sais que nous avons besoin d’une telle structure.



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