Ventilation non invasive et Covid-19 : Magnéto vs Batman... et Aquaman

Journal Club n°3<br>Largement utilisée dans le cadre de la pandémie Covid-19, la VNI peut rendre inutile l'intubation endotrachéale chez les patients souffrant d'une insuffisance respiratoire aiguë. Masque facial vs casque ? Pour y voir plus clair, une étude américaine et l'analyse d'experts italien et français. C'est aussi l'occasion de revenir sur les adaptations de masques de plongée.



Nous publions ici, avec son accord, le Journal Club que le Pr Nicolas Peschanski * propose à ses étudiant.e.s afin de leur présenter certaines études relatives à sa spécialité. Nous l'en remercions chaleureusement.
(Cet article – publié initialement sur esanum.fr le 29 mai 2020 – est la version française et enrichie d’un article1 écrit par Salim Rezaie, publié sur son blog REBEL.EM le 1er mai).


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Journal Club n°3
 


Contexte


La ventilation non invasive (VNI) délivrée par le casque est-elle meilleure que le masque pour prévenir le taux d'intubation chez les patients atteints de SDRA ?


L’étude

Effect of Noninvasive Ventilation Delivered by Helmet vs Face Mask on the Rate of Endotracheal Intubation in Patients with Acute Respiratory Distress Syndrome:
A Randomized Clinical Trial
1
 


Résultats


Inclusion


Exclusion


Résultats

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Points forts


Limites


Discussion


Clinical Take Home Point


Conclusion de l'auteur

«Parmi les patients atteints de SDRA, le traitement par la VNI avec casque a entraîné une réduction significative des taux d'intubation. Il y a également eu une réduction statistiquement significative de la mortalité à 90 jours avec la VNI avec casque. Des études multicentriques sont nécessaires pour reproduire ces résultats.»
 



Notes :

1- COVID-19 NIV: Helmet vs Mask
Post Peer Reviewed By: Anand Swaminathan, MD (Twitter: @EMSwami)
2- Patel BK et al. Effect of Noninvasive Ventilation Delivered by Helmet vs Face Mask on the Rate of Endotracheal Intubation in Patients with Acute Respiratory Distress Syndrome: A Randomized Clinical Trial. JAMA 2016. PMID: 27179847



Avis d'experts : en Italie, Roberto Cosentini


Équipement




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Avis d'experts : en France, Nicolas Peschanski

Depuis le début du mois de mars 2020, la pandémie de coronavirus 2019 (COVID-19) a causé plus de 120.000 décès en Europe. Les différents systèmes de santé européens ont connu une charge pressante, notamment en termes de recours aux systèmes d'assistance respiratoire aux soins intensifs et en réanimation.

En effet, la principale manifestation clinique des patients COVID-19 est représentée par une insuffisance respiratoire hypoxique aiguë secondaire à des infiltrats pulmonaires bilatéraux, qui dans de nombreux cas, entraîne un syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA) et nécessite souvent une assistance respiratoire invasive.

Bien qu’exclue des recommandations de l’OMS initialement[1], l’utilisation d’un support respiratoire précoce avec une ventilation non invasive ou de l'oxygène à haut débit ont été finalement intégrées aux recommandations de nombreuses sociétés savantes européennes et internationales au cours des mois de mars et avril 2020.[2,3]

En effet, afin de limiter la dispersion des gouttelettes dans l'air et la contamination du personnel de santé, leur usage d’abord restreint a nécessité la validation de leur utilisation associée à des filtres anti-bactériens et/ou des mesures de protections renforcées.

L'expérience de l’Italie a montré que l’application d'une pression positive continue des voies respiratoires (CPAP) au moyen d'un casque peut représenter une alternative efficace pour recruter des unités alvéolaires malades et améliorer l'hypoxémie. Elle peut également limiter la contamination de la pièce, améliorer le confort des patients et permettre une meilleure assistance clinique avec une tolérance à long terme.

Cependant, le lancement d'une CPAP «Helmet» n'est pas sans écueils. Comme pour d’autres supports de ventilation non-invasive, elle nécessite un titrage et un suivi attentifs pour éviter un retard d'intubation. Dans cette analyse de Salim Rezaie, nous discutons de la comparaison de l’Helmet avec le masque facial et de certaines considérations importantes concernant le timing, les critères et les exigences de surveillance pour les patients atteints d'insuffisance respiratoire COVID-19 nécessitant un traitement CPAP.


Le casque en réanimation en France : des limitations supplémentaires et un manque d’expérience

La première limite à l’utilisation des dispositifs «Helmet» est représentée par la régularité de son utilisation. Or, les réanimations italiennes ont une longue tradition de pratique avec ces dispositifs dont ils dominent parfaitement l’utilisation dans leurs services de soins continus et de réanimation.

Cependant, comme le précise nos collègues italiens interrogés par REBEL EM, la VNI (VS-AI ou CPAP) avec l’Helmet reste difficile. En effet, son utilisation nécessite un patient compliant, indemne de lésions aiguës ou chroniques de la face, mais également un respirateur performant compte-tenu de l’énorme espace mort à ventiler qui doit assurer l’absence d’accumulation de CO2.

Outre la surveillance spécifique de la VNI (synchronisation et tension interne de l’Helmet) qui est plus contraignante que le masque facial, il est impossible de surveiller le volume courant, comme le précise nos collègues italiens, ce qui constitue en effet une information importante sur l'évolution de la maladie. À mon avis, pour aller dans le sens de Roberto, cela limite l’application généralisée des résultats aux réanimations et USC françaises, et encore plus aux services d’urgence.


Sortez équipé… Pas forcément casqué !

La complexité du tableau clinique chez les patients atteints de pneumonie COVID-19 mérite une grande attention dans l'identification des patients présentant un risque élevé de détérioration rapide de la fonction respiratoire sous VNI.

L'application de la CPAP «Helmet» peut représenter un support respiratoire valable mais dans un environnement adapté et avec du personnel formé à son utilisation. Une titration de la PEP soigneuse doit être alors effectuée peut optimiser le recrutement alvéolaire et améliorer l'hypoxémie, ce qui en fait un dispositif à réserver aux soins intensifs ou un traitement temporaire pour améliorer les fonctions respiratoires des patients en attente d’un transfert.

Ses avantages sont une meilleure tolérance des appuis de l’interface et une contamination réduite de la pièce par rapport aux masques oro-nasaux. Quant à établir la supériorité de cette interface par rapport à la VNI avec les interfaces que nous utilisons habituellement, des études comparatives sont nécessaires et nous ne pouvons pas être aussi catégorique que les auteurs dans leur conclusion.


À fond la forme ! Et si la solution ultime nous venait de l’océan ?

Un masque de snorkeling (Easybreath Subea de Décathlon) adapté à un usage médical a été et reste utilisé pour protéger les professionnels de réanimation lors de gestes critiques sur les patients atteints ou suspects de COVID-19. Il est aussi proposé à des fins d’interface de ventilation par l’application d’un kit développé par plusieurs sociétés et start-up.


Capture d’écran 2020-05-29 ..

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(Crédits : Icare Technologies)


En effet, dans le cadre de la pandémie SARS-CoV-2, ce masque Easybreath a pu être adapté dans le but de se protéger contre l’aérosolisation du SRS-CoV-2 ou comme masque d’oxygénothérapie, de CPAP ou de VNI. Plusieurs entreprises, universités, hôpitaux s’y sont intéressés, au départ en Italie puis en Espagne et en France.

Ainsi, l’adaptation proposée par une société a été utilisée en Italie sur plus de 10.000 masques et d’autres versions dérivées sont actuellement expérimentées en Espagne, en Belgique ou aux Pays-Bas. Cependant, elles ont toutes comme point commun de remplacer le tuba par une valve qualifiée de «Charlotte» située sur l’orifice supérieur, d’où l’appellation de «voie haute».

En France, une société propose un kit d’adaptation double «voie haute et basse». À la différence des dispositifs proposés antérieurement, l’utilisation de la voie basse, placée en face de la cavité buccale, a pour but de faciliter la respiration et de réduire les volumes morts à fort taux de CO2. Par ailleurs, elle permet d’accroître les possibilités de raccordements et ainsi les possibilités d’utilisation et de traitements (oxygénothérapie, CPAP, VNI...).

Ce système correspond à une interface imaginée comme une solution d’urgence, dégradée, pour pallier la pénurie d’équipements liée à la crise du COVID-19. Cependant, on peut imaginer que ce système peut être destiné à devenir un substitut utilisable aux équipements classiques d’interface de support d’oxygénation avec support respiratoire mécanique ou non. Outre l’excellente protection à l’aérosolisation qu’il semble apporter, son cahier des charges correspond aux exigences réglementaires nécessaires à la validation des interfaces d’oxygénation/ventilation non-invasive usuelles (masques, «helmet», etc.).

Par ailleurs, la combinaison du masque Easybreath et d’un adaptateur validé, auquel un filtre antiviral est ajouté sur l’orifice supérieur, vise à permettre l’utilisation de cette interface tout en protégeant le personnel en milieu hospitalier contre le transfert de micro-organismes, de fluides corporels et de particules, lors de gestes critiques sur les patients atteints ou suspects de COVID-19.


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Kit Easybreath™ Anticovid pour la protection des soignants (vidéo)
(Crédits Safran / Segula Technologies)


Enfin, la disponibilité du masque Easybreath en différentes tailles permet de s'adapter au plus grand nombre dès l’âge de 10 ans avec une efficacité garantie dans plus de 92% des conformations de visage. On peut donc envisager, au décours de la crise, l’usage médical de ce dispositif dans les indications proposées pour permettre une ventilation non invasive dans les USC et services d’urgence.

Il faudra cependant attendre quelques mois car il est nécessaire d’envisager la réalisation de tests en situation clinique sur des petites séries de malades avant de valider définitivement son utilisation dans l’un ou plusieurs des trois modes proposés (oxygénation, CPAP et VSAI-PEP), en particulier pour apprécier la tolérance du masque en utilisation prolongée chez les malades, sous réserve du choix des bons connecteurs (absence de fuite) et de la bonne configuration interne des valves des kits proposés.



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Références :
Clinical management of severe acute respiratory infection (SARI) when COVID-19 disease is suspected: Interim guidance V1.2 - WHO/2019-nCoV/Clinical/2020.4
Surviving Sepsis Campaign: Guidelines on the Management of Critically Ill Adults with Coronavirus Disease 2019 (COVID-19).
Crit Care Med. 2020 [Ahead of print] DOI: 10.1097/CCM.0000000000004363
Doctrine d’usage des dispositifs de ventilation et respirateurs pour les patients COVID-19
Préconisations du groupe d’experts « Ventilation » mandaté par le ministère des solidarités et de la santé – MARS. 2 avril 2020.



* Nicolas Peschanski est professeur de médecine d'urgence et praticien hospitalier au CHU de Rennes. Membre actif de longue date de la SFMU – avec six années passées au sein de la commission scientifique – il siège depuis 2020 à la commission des référentiels.
Le parcours international du Pr Peschanski, notamment aux USA, lui a permis de devenir membre de la Commission Internationale de l'American College of Emergency Physicians ainsi que du comité de pilotage de l'EMCREG-International (Emergency Medicine Cardiac Research and Education Group). Il fait également partie de l'Eusem (European Society for Emergency Medicine) et plus particulièrement de son comité «Web & social media».
Le Pr Peschanski est très attaché au principe de la FOAMed (Free Open Access Meducation - Partage en libre accès des ressources éducatives médicales). Il utilise les réseaux sociaux (@DocNikko) à des fins pédagogiques et de partage des connaissances en médecine d’urgence.



Liens d'intérêts
Le professeur Peschanski déclare les liens d'intérêts suivants :
- sur les trois dernières années : Vygon SA (consultant),  Fisher&Paykel (symposium), AstraZeneca (symposium)
- sur les vingt dernières années :
Symposiums : Fisher&Paykel Healthcare , AstraZeneca, Lilly, Sanofi, Daiichi-Sankyo, HeartScape, The Medicine Company, Thermofisher, Roche Diagnostics
Boards : Bayer, AstraZeneca, Vygon SA, Portola USA, Sanofi, Boehringer Ingelheim
Congrès : Lilly, Sanofi, Vygon SA, Portola, Roche Diagnostics, Thermofisher
Fonds de recherche (non personnels) : Servier, Boehringer Ingelheim