Patients des urgences souffrant de sepsis : peut-on vraiment débuter les antibiotiques dans l’heure ?

Journal Club Rebelem<br>Aux États-Unis, l'administration d’antibiotiques dans l'heure suivant le triage pour tous les patients septiques ou considérés comme tels fait débat. Des recommandations réalistes ?


Nous vous présentons ici la version française d’un article* écrit par Anand Swaminathan et publié sur REBEL EM le 7 novembre 2020 (Traduction d’Arnaud Depil-Duval, commentaires du Pr Yann Erick Claessens - CH Princesse Grâce - Monaco).

Contexte 

Malgré des preuves scientifiques limitées (Seymour 2017, Liu 2017, Ferrer 2014, Sterling 2015), les organismes de réglementation ont fait pression pour imposer des délais de référence quant à l'administration d'antibiotiques pour les patients souffrant de sepsis.

Si les cliniciens s’accordent sur une administration d’antibiotique la plus précoce possible en cas de choc septique, cette approche est plus nuancée pour les patients infectés moins sévères.

Aux États-Unis, les Centers for Medicare and Medicaid Services (CMS) exigent que les antibiotiques soient administrés aux patients dans les trois heures suivant l'apparition d'une nouvelle dysfonction d’organe, chez les patients présentant un syndrome de réponse inflammatoire systémique et une infection confirmée.

Les recommandations de la Surviving Sepsis Campaign (SSC) sont plus extrêmes, suggérant une administration d’antibiotique dans l'heure suivant le triage des patients septiques (Levy 2018).

Des expériences antérieures en matière de délai arbitraire d'administration des antibiotiques questionnent sur la pertinence de recommandations susceptibles d'accroître l'utilisation inappropriée d'antibiotiques, de distraire les cliniciens de tâches plus importantes et d'avoir un effet modeste sur le devenir des patients.

Ces raisons sous-tendent la décision de l'Infectious Disease Society of America (IDSA) qui a refusé d'approuver les lignes directrices de la SSC.

Même si ces recommandations ont un certain mérite, il est important de s’interroger sur leur faisabilité. Aucun des membres du comité de la SSC ne travaille dans les services d'urgence et leur connaissance des contraintes logistiques est limitée.

Article de référence

Filbin MR et al. "Antibiotic delays and feasibility of a 1-hour-from-triage antibiotic requirement: analysis of an emergency department sepsis quality improvement database"
Ann Emerg Med 2019. PMID : 31561998

Question

Est-il possible d’administrer la première dose d’antibiotique dans l’heure suivant le triage pour les patients des urgences présentant un sepsis ?

Population

Tous les patients adultes (>18 ans) reçus aux urgences présentant :

Résultats

Primaire

Proportion de patients présentant un retard d'administration des antibiotiques (plus de 3 heures après l'apparition documentée de l'hypoperfusion et plus de 1 heure après le triage).

Secondaire

Délai d'administration des antibiotiques, taux d'admission aux soins intensifs, mortalité intra-hospitalière.

Intervention

Étude sur 12 mois comprenant une intervention (protocole de dépistage : fréquence cardiaque > PAS, PAS < 100 mm Hg et signes cliniques d'infection) et l’évaluation des délais d'administration des antibiotiques avant et après cette intervention.  

Forme

Analyse rétrospective des cohortes d'avril 2014 à mars 2016

Exclusion

Les patients en soins palliatifs ou transférés d'un autre établissement et déjà traités pour une infection.

Principaux résultats

Les caractéristiques des patients étaient semblables entre les deux cohortes.

Conclusions

Antibiotics-for-Sepsis-in-On..

Points forts

Limites

Discussion

Conclusions des auteurs

« L'intervention pour améliorer la qualité a permis de réduire considérablement les délais d'administration des antibiotiques, mais la plupart des patients atteints de septicémie n'ont pourtant pas reçu d'antibiotiques dans l'heure suivant le triage. La conformité à la SSC de 2018 nécessiterait une modification profonde de la prise en charge des patients présentant une incertitude quant au diagnostic d’infection ou ne présentant pas d'hypotension au moment du tri. »

Nos conclusions

Dans cette étude monocentrique, la mise en œuvre d’un protocole pour accélérer l'administration d’antibiotiques en cas de sepsis supposé ou avéré n’a impacté qu'une fraction mineure des patients concernant l’administration dans l'heure suivant le tri.

Dans la pratique

Cette étude valide le fait que l'administration d'antibiotiques conformément aux mesures de la CMS (< 3 heures) est réaliste alors que l'administration d'antibiotiques dans l'heure suivant le triage exigerait une révision profonde de nos pratiques et de notre organisation pour les patients présentant de signes vitaux stables et/ou dont le diagnostic est incertain.

L’impact négatif des stratégies « agressives » n’est pas évalué chez les patients dont le diagnostic final n’est pas un sepsis.

Bien que cette étude nécessite une validation à plus grande échelle, elle apporte des preuves concernant la difficulté d'administrer des antibiotiques aux patients atteints de sepsis dans l'heure suivant leur présentation.

En conclusion

Malgré la formation et la mise en place de protocoles, il peut s'avérer irréaliste sur le plan logistique de fixer un objectif d'une heure pour l'administration d'antibiotiques aux patients atteints de sepsis.

Avant que des efforts supplémentaires ne soient consentis pour atteindre cet objectif, des données réelles prouvant un bénéfice clinique sont nécessaires.

* Anand Swaminathan, "Are Antibiotics for Sepsis in One Hour Feasible in the ED?", REBEL EM blog, November 7, 2019.
Post Peer Reviewed By: Salim R. Rezaie, MD (Twitter: @srrezaie)


Références :

- Seymour CW, Gesten F, Prescott HC, et al. Time to treatment and mortality during mandated emergency care for sepsis. N Engl J Med. 2017;376:2235-2244. PMID: 28528569
- Liu VX, Fielding-Singh V, Greene JD, et al. The timing of early antibiotics and hospital mortality in sepsis. Am J Respir Crit Care Med. 2017;196:856-863. PMID: 28345952
- Ferrer R, Martin-Loeches I, Phillips G, et al. Empiric antibiotic treatment reduces mortality in severe sepsis and septic shock from the first hour: results from a guideline-based performance improvement program. Crit Care Med. 2014;42:1749-1755. PMID: 24717459
- Sterling SA, Miller WR, Pryor J, et al. The impact of timing of antibiotics on outcomes in severe sepsis and septic shock: a systematic review and meta-analysis. Crit Care Med. 2015;43:1907-1915. PMID: 26121073
- Levy MM, Evans LE, Rhodes A. The Surviving Sepsis Campaign bundle: 2018 update. Intensive Care Med. 2018;44:925-928. PMID: 29767636


 


 

La French Touch
par le Pr Yann Erick Claessens
Chef de service des urgences
Centre hospitalier Princesse Grâce (Monaco)

Cette étude souligne un fait intéressant. Les patients les plus graves bénéficient d’une antibiothérapie précoce avant comme après l’intervention. Ainsi, les cliniciens ont intégré dans leur pratique l’introduction précoce d’antibiotiques chez les patients les plus sévères.

Intuitivement comme dans les études, c’est cette sous-population chez laquelle l’antibiothérapie précoce semble la plus opportune.

L’article de Seymour publié récemment dans le JAMA souligne à nouveau la grande variété des patients répondant aux critères de sepsis. Les critères de Bone édictés au début des années 1990 avait pour but d’inclure dans les études traitant du choc septique des patients dont la sévérité était avérée : la mortalité à un mois de ces malades était particulièrement élevée, comprise entre 30 et 50 %.

Depuis, les définitions ont été modifiées et le concept de sepsis s’est élargi, faisant apparaître une hétérogénéité dans la sévérité des malades inclus. Le nombre d’admission en réanimation et la mortalité des patients de l’étude de Filbin souligne la sévérité des patients inclus et donc la pertinence d’utilisation des critères de Bone pour le choc septique et le sepsis sévère.

C’est dans cette population que l’antibiothérapie précoce peut avoir un bénéfice. Si l’étude n’est pas dessinée pour montrer une différence en termes de mortalité, elle pose la question d’utiliser des critères d’inclusion plus ciblés pour tester l’efficacité des actions thérapeutiques chez les patients septiques.

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