Médecine d'urgence : les résultats alarmants d'une enquête internationale sur le burn-out

La Société européenne de médecine d'urgence vient de publier les résultats d'une enquête internationale sur le burn-out au sein des services d’urgence. 62% des professionnels sont concernés.



Depuis 2018 et son lancement par l’European Society for Emergency Medicine (EUSEM), le 27 mai est la Journée internationale de la médecine d'urgence. Quatre ans plus tard, cette Journée fut l’occasion de rappeler que, face à la pandémie, les services d’urgence ont toujours tenu. Mais à quel prix ? Début 2022, l’EUSEM a diffusé auprès des urgentistes une enquête visant à évaluer la prévalence du burn-out. Les résultats viennent d’être publiés.    


La médecine d’urgence, particulièrement exposée au burn-out

«Burn-out». Le terme est partout et souvent galvaudé. Aussi appelé «épuisement professionnel», ce trouble psychologique qui touche plus particulièrement les professionnels impliqués dans une relation d’aide est pourtant très précisément défini. L’intensité de chacune des trois dimensions du burn-out est évaluée séparément par le Maslach Burnout Inventory (MBI). 

La dépersonnalisation est le facteur identifié comme étant le plus prédictif d’un burn-out. Elle se manifeste par un cynisme apparent. Chez les soignants, on retrouve typiquement une attitude négative envers les patients, une irritabilité et une perte de conviction. Deuxième dimension du burn-out, la réduction de l'accomplissement personnel se traduit par une dévalorisation de soi et de ses compétences. Le soignant ne se sent plus efficace. Enfin, l'épuisement émotionnel prend la forme d’une fatigue physique et psychique qui s'installe insidieusement jusqu’à ce que le soignant se sente «vidé». 

Plusieurs études ont déjà montré que le burn-out, fréquent chez les médecins, l’est plus encore dans le domaine de la médecine d'urgence. En cause : une charge émotionnelle lourde, une quantité de travail difficile à prévoir et le non-respect du rythme circadien. Les urgentistes souffrent également d'un manque de considération de la part d’autres spécialistes.


L'impact de la pandémie 

Pour Abdo Khoury, président de l’EUSEM, «les problèmes chroniques auxquels sont confrontés les spécialistes de la médecine d'urgence, tels que le manque d'effectifs, les ressources limitées et le manque de reconnaissance de la spécialité ont été considérablement exacerbés par la pandémie». 

En effet, le Covid-19 a augmenté de manière brusque et prolongée la charge de travail  dans les services d’urgences. Dans le même temps, les soignants furent exposés pendant des mois à une forte charge émotionnelle et au risque permanent de contamination. Où en sont les urgentistes aujourd’hui ? C’est ce que l’EUSEM a voulu éclaircir, en diffusant début 2022 une enquête en ligne.  


L’enquête

Parmi les 1.925 répondants, 84% étaient médecins et 12% infirmiers ou infirmières. Le questionnaire fut diffusé dans le monde entier. 87% des réponses provenaient d'Europe, mais au total des soignants de 89 pays ont participé. 

Dans cette enquête, le «burn-out global» a été caractérisé lorsqu'au moins une des deux dimensions «dépersonnalisation» ou «épuisement émotionnel» atteignait un niveau élevé. 

Les résultats sont édifiants : un burn-out ainsi défini fut retrouvé chez 62% de l’ensemble des soignants ayant participé à l’enquête. Un niveau élevé de dépersonnalisation, d'épuisement émotionnel et de réduction de l'accomplissement personnel a été identifié chez respectivement 46%, 47% et 48% des répondants. 

Plus inquiétant, 31% des répondants présentaient à la fois un niveau élevé de dépersonnalisation et d’épuisement émotionnel. Un burn-out aussi sévère nécessite une évaluation clinique et un soutien psychologique. 


Les jeunes professionnels et les femmes sont plus exposés

Les professionnels moins expérimentés ont signalé un niveau d'épuisement plus élevé. Il atteignait 74% chez les urgentistes avec moins de 5 ans d'expérience, versus 60% chez ceux ayant plus de 10 ans d’ancienneté. Or, la survenue d’un burn-out «précoce», survenant chez un jeune professionnel, semble majorer le risque de récidive ou de dépression dans la vie professionnelle future.  

Par ailleurs, l’enquête montre que les femmes ont un niveau d'épuisement global plus élevé que les hommes, statistiquement significatif (64% versus 59%). Enfin, les infirmières semblent présenter un risque de burn-out supérieur à celui des médecins (73% versus 60%). Leur contact direct et prolongé avec les patients semble ici en cause. Toutefois, le faible nombre de réponses provenant de cette catégorie de personnels compromet la validité de l’analyse. 


Les facteurs de risque : sous-effectif et travail exclusif en service d’urgence

L’enquête montre une association claire entre le sous-effectif et le niveau d'épuisement des urgentistes. 57% des répondants déclarent «un manque fréquent de personnel sur leur lieu de travail», or les professionnels qui travaillent dans de telles conditions présentent un risque de burn-out dix fois plus élevé. 

Autre facteur important, le lieu de travail. Il s’agit du seul facteur indépendant associé au burnout global. Les professionnels des services d'urgence présentent des niveaux de burn-out global plus élevés que ceux qui travaillent aussi en préhospitalier ou exercent par ailleurs en tant que formateurs. La diversification de l’activité est donc une mesure de protection effective. 


Conséquences individuelles et sociétales

Au niveau individuel, l’épuisement professionnel peut évoluer vers un syndrome anxio-dépressif sévère, des conduites addictives ou encore un syndrome de stress post-traumatique.  

Chez l’urgentiste, dont le quotidien consiste à prendre rapidement et de manière souvent autonome des décisions cruciales, le risque d'erreur s’en trouve majoré. Or, l’erreur nourrit la perte de l'estime de soi, entraînant le professionnel dans un cercle vicieux. 

Comme tous les médecins confrontés à des troubles psychiques, l’urgentiste rechigne encore à demander de l'aide. S’agissant de personnes ayant accès à des substances létales, le suicide est toujours redouté. Le soutien psychologique, qu'il soit sur place ou virtuel, a déjà montré son efficacité. Mais seuls 41% des répondants déclarent avoir déjà bénéficié de ce type d'intervention.

Les conséquences pour les patients sont réelles. Outre le risque accru d’erreur médicale, la qualité globale des soins prodigués par des soignants en situation d’épuisement professionnel peut être dégradée.  

Autre enseignement de cette enquête, il existe chez les urgentistes une association très claire entre le niveau élevé de burn-out et l'envie de changer de travail. 25% des répondants envisagent de quitter cette spécialité, ce qui déstabiliserait encore plus les systèmes de santé.

Dans un contexte aussi délétère, le Dr Khoury appelle les pouvoirs publics à prendre en compte «les besoins non satisfaits» des personnels des services d’urgence, pointant que ceux-ci «augmentent de manière exponentielle». Le burn-out s’intensifie chez les professionnels des services d’urgence. Des mesures efficaces sont plus que jamais nécessaires, avant que ne déferle la prochaine vague ou une nouvelle épidémie.   


Sur ce sujet, vous pourrez lire l'interview du Dr Khoury (président de l'EUSEM) Médecine d'urgence : « Qui veut travailler dans ces conditions-là ? »


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Références :

- European Society for Emergency Medicine
- Burnout chez les professionnels de la médecine d'urgence après 2 ans de pandémie de COVID-19 : une menace pour le système de santé ?
- Burnout syndrome in emergency medicine: it’s time to take action