Dosages hypersensibles de troponine : quelle est la pertinence des protocoles accélérés ESC ?

Journal Club n°22<br>Pour le diagnostic de syndrome coronarien aigu, l’European Society of Cardiology recommande les protocoles utilisant des dosages de troponine cardiaque dits à «haute sensibilité». Quid dans notre pratique ?



Nous publions ici, avec son accord, le Journal Club que le Pr Nicolas Peschanski * propose à ses étudiant.e.s afin de leur présenter certaines études relatives à sa spécialité. Nous l'en remercions chaleureusement.

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Journal Club n°22


Les protocoles de diagnostic accéléré utilisant des dosages de troponine cardiaque dits à «haute sensibilité» (Tn-Hs) présentent une précision analytique élevée pour le diagnostic de syndrome coronarien aigu (SCA). Ils sont recommandés par l’European Society of Cardiology (ESC).1  


En quoi cela est-il important ?

Plusieurs études ont conduit à ces directives de la Société Européenne de Cardiologie pour l’exclusion ultra-rapide du SCA à l'aide de Tn-Hs T ou I, jusqu’à préconiser des cycles en H0-H1. Quelle est la précision de ces protocoles de diagnostic accéléré en 0/1, 0/2 ou 0/3 heures ?


Exclusion rapide, quesaquo ?

Le bref article couvrant cette grande revue systématique est un "Brass Tacks" de la revue Academic Emergency Medicine associée au site TheNNT.com (Number Needed to Treat – Excellent blog d’EBM d’urgences et soins critiques). Cet article s’intéresse aux études ayant été à l’origine des algorithmes de cinétique des dosages de troponine recommandés par l’ESC.1

Au total, les deux auteurs ont sélectionné 32 études portant sur 30.066 patients. Les résultats montrent qu’il n’y a pas de différence majeure en termes de précision des résultats entre les différents tests diagnostiques à sensibilité augmentée de Roche (TnT-Hs), Abbott (TnI-Hs) et Siemens (TnI-Hs). 

Pour l’ensemble des tests recommandés par l’ESC, la stratification de chaque dosage «hypersensible» de la troponine a montré des sensibilités et des spécificités similaires. La précision diagnostique globale était la suivante :


Algorithme 0/1 heure


Algorithme 0/2 heures


Algorithme 0/3 heures



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Ces résultats sont-ils transposables en pratique clinique aux urgences ?

Les auteurs relèvent très justement certaines limites quant aux études ayant donné lieu à aux recommandations de l’ESC. Il existe une très grande hétérogénéité entre ces études. Certaines ont utilisé des critères de jugements cliniques plutôt que biologiques, basés sur les dosages de Tn-Hs. D’autres, au contraire, se sont appuyées avant tout sur les troponinémies sans tenir compte des critères cliniques évolutifs ou non. 

Par ailleurs, la prévalence du SCA était très variable, allant de 4% à 37%, ce qui pose la question de l’homogénéité des populations étudiées. Ainsi, les auteurs ont supposé que les études présentant une prévalence très élevée de SCA incluaient probablement aussi une plus grande proportion de patients présentant élévation du taux de Tn-Hs sans rapport avec un infarctus de type I, c’est-à-dire non liée à une occlusion coronaire.3

Enfin, le respect de la temporalité des différents protocoles interroge car les prélèvements de laboratoire n'étaient souvent pas effectués à la bonne heure avec un écart-type pouvant atteindre plus de 30 minutes (1, 2 ou 3 heures).


Qu'en déduire pour appliquer le protocole le plus adapté à notre pratique ?

Les trois algorithmes possèdent une spécificité importante qui permet une performance diagnostique élevée pour poser le diagnostic des SCA, c’est-à-dire un ratio de vraisemblance positif élevé et proche de 10 lorsque la troponinémie est supérieure au seuil dès le premier dosage hypersensible. 

Cependant, les auteurs n'ont pas recommandé un protocole plutôt qu’un autre sur la base de cette seule méta-analyse, car le bénéfice en termes de diagnostic constaté n'était pas différent. Ils soulignent que le bénéfice de l’un ou de l’autre des protocoles pourrait être basé sur un effet «population étudiée» plutôt que sur le choix du protocole lui-même. Il est possible qu’il existe une petite différence en faveur de l’un ou de l’autre mais la méta-analyse était trop hétérogène pour la détecter. 

Le protocole H0-H1 semble le plus sensible mais c’est également celui qui présente la plus grande hétérogénéité en termes de respect de la temporalité de la réalisation des prélèvements. En effet, la réalisation pratique d’un dosage de troponine sur une chaîne analytique de biochimie avant le rendu de résultat se situe entre 40 et 55 minutes selon les centres (sauf lorsque le laboratoire est au sein des urgences). Cela entraîne souvent une indisponibilité d’obtention des résultats en moins de 60 minutes, ce qui laisse peu de place à l’application d’un protocole H0-H1. 

À l’opposé, le protocole H0-H3 apparaît comme étant le moins performant avec une sensibilité et une spécificité moindres. Au final, le protocole H0-H2 possède la meilleure combinaison sensibilité-spécificité et devrait être privilégié à la fois pour des raisons de performance diagnostique mais également pour les aspects pratiques car il s’agît de ne jamais demander un deuxième dosage sans avoir obtenu les résultats du premier dosage prescrit. 

Ainsi, un taux de troponine d’emblée élevé est certainement significatif sur le plan clinique et constitue une raison impérieuse de choisir avec les acteurs de sa filière (cardiologues, biochimistes et urgentistes) le bon protocole à appliquer. 

Un essai multicentrique de plus grande ampleur pourrait être en mesure de clarifier ce point. Cependant, cette méta-analyse, dont on peut s’étonner qu’elle ait donné lieu à des recommandations aussi marquées de la part de l’ESC, n’apporte pas de réponse définitive. Il est donc peu probable que le débat sur les protocoles rapides d’exclusion (et de diagnostic) du SCA par les dosages hypersensibles de troponine ne se poursuive pas…

Suite au prochain épisode…

En attendant, voici une proposition ultra-rapide H0-H0,5 ! Oui, oui, vous avez bien lu, une cinétique de troponine en 30 minutes chrono ! 4

 

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Références :

1- Collet JP, Thiele H, Barbato E, Barthélémy O, Bauersachs J, Bhatt DL, Dendale P, Dorobantu M, Edvardsen T, Folliguet T, Gale CP, Gilard M, Jobs A, Jüni P, Lambrinou E, Lewis BS, Mehilli J, Meliga E, Merkely B, Mueller C, Roffi M, Rutten FH, Sibbing D, Siontis GCM; ESC Scientific Document Group. 2020 ESC Guidelines for the management of acute coronary syndromes in patients presenting without persistent ST-segment elevation. Eur Heart J. 2021 Apr 7;42(14):1289-1367. doi: 10.1093/eurheartj/ehaa575. Erratum in: Eur Heart J. 2021 May 14;42(19):1908. Erratum in: Eur Heart J. 2021 May 14;42(19):1925. Erratum in: Eur Heart J. 2021 May 13;: PMID: 32860058.

2- Long B, Gottlieb M. Accuracy of the European Society of Cardiology 0/1-, 0/2-, and 0/3-hour algorithms for diagnosing acute myocardial infarction. Acad Emerg Med. 2022 Jan 22. doi: 10.1111/acem.14444. Online ahead of print.

3- Thygesen K, Alpert JS, Jaffe AS, Chaitman BR, Bax JJ, Morrow DA, White HD; Executive Group on behalf of the Joint European Society of Cardiology (ESC)/American College of Cardiology (ACC)/American Heart Association (AHA)/World Heart Federation (WHF) Task Force for the Universal Definition of Myocardial Infarction. Fourth Universal Definition of Myocardial Infarction (2018). J Am Coll Cardiol. 2018 Oct 30;72(18):2231-2264. doi: 10.1016/j.jacc.2018.08.1038. Epub 2018 Aug 25. PMID: 30153967.

4- Bang C, Andersen CF, Lauridsen KG, Frederiksen CA, Schmidt M, Jensen T, Hornung N, Løfgren B. Rapid Rule-Out of Myocardial Infarction After 30 Minutes as an Alternative to 1 Hour: The RACING-MI Cohort Study. Ann Emerg Med. 2022 Feb;79(2):102-112. doi: 10.1016/j.annemergmed.2021.08.024. Epub 2021 Dec 28. PMID: 34969529.


* Nicolas Peschanski est professeur de médecine d'urgence et praticien hospitalier au CHU de Rennes. Membre actif de longue date de la SFMU – avec six années passées au sein de la commission scientifique – il siège depuis 2020 à la commission des référentiels.
Le parcours international du Pr Peschanski, notamment aux USA, lui a permis de devenir membre de la Commission Internationale de l'American College of Emergency Physicians ainsi que du comité de pilotage de l'EMCREG-International (Emergency Medicine Cardiac Research and Education Group). Il fait également partie de l'Eusem (European Society for Emergency Medicine) et plus particulièrement de son comité «Web & social media».
Le Pr Peschanski est très attaché au principe de la FOAMed (Free Open Access Meducation - Partage en libre accès des ressources éducatives médicales). Il utilise les réseaux sociaux (@DocNikko) à des fins pédagogiques et de partage des connaissances en médecine d’urgence.
 

Liens d'intérêts
Le professeur Peschanski déclare les liens d'intérêts suivants :
- sur les trois dernières années : Vygon SA (consultant),  Fisher&Paykel (symposium), AstraZeneca (symposium)
- sur les vingt dernières années :
Symposiums : Fisher&Paykel Healthcare , AstraZeneca, Lilly, Sanofi, Daiichi-Sankyo, HeartScape, The Medicine Company, Thermofisher, Roche Diagnostics
Boards : Bayer, AstraZeneca, Vygon SA, Portola USA, Sanofi, Boehringer Ingelheim
Congrès : Lilly, Sanofi, Vygon SA, Portola, Roche Diagnostics, Thermofisher
Fonds de recherche (non personnels) : Servier, Boehringer Ingelhei