Burn-out aux Urgences : quand la coupe est pleine, tout le monde trinque

Journal Club n°26<br>Le burn-out frappe plus spécifiquement les équipes des services d'urgence. Les résultats d'une étude de grande envergure sont formels : lorsque les soignants souffrent, la sécurité des patients est en jeu.



Nous publions ici, avec son accord, le Journal Club que le Pr Nicolas Peschanski * propose à ses étudiant.e.s afin de leur présenter certaines études relatives à sa spécialité. Nous l'en remercions chaleureusement.

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Journal Club n°26



Des chercheurs anglais viennent d’effectuer une revue de littérature avec méta-analyse, dont les résultats sont riches d’enseignement pour la médecine d’urgence. Leur étude montre que le niveau d'épuisement professionnel des médecins (ou burn-out) est décrit dans de nombreux pays comme étant historiquement le plus élevé.

Les systèmes de santé du monde entier sont confrontés à une grave crise de main-d'œuvre. Un nombre croissant de médecins travaillent à temps partiel, démissionnent ou prennent une retraite anticipée, en réponse à une charge de travail excessive et à des symptômes de burn-out. Il s’agit principalement de médecins de première ligne en médecine d'urgence et en soins intensifs. 

Le burn-out des médecins a des effets délétères considérables, d’abord sur eux-mêmes mais aussi sur les filières hospitalières et l’ensemble du système de soins. La qualité de prise en charge, la sécurité et la satisfaction des patients sont compromises. 

L’article1 que nous présentons ici est l’aboutissement de la plus grande étude jamais réalisée sur ce sujet : l’analyse systématique de l’ensemble de la littérature et une méta-analyse de 170 études observationnelles – dont 48 européennes – sur les symptômes d’épuisement professionnel. Au final, les données obtenues concernent 239.246 médecins.

Qu’ont découvert les auteurs de cette étude ? Et surtout : quels enseignements peut-on en tirer en vue de modifier notre pratique en médecine d’urgence ?


Impact sur les soignants et les patients   

Concernant le critère primaire, la conclusion des auteurs de cette étude est sans appel : oui, l’épuisement professionnel nuit à la fois aux personnels soignants (médicaux et paramédicaux) et aux patients.

Les chercheurs ont mis en évidence des associations significatives avec l'épuisement professionnel, à savoir : 

Concernant la qualité des soins :

Ce travail remarquable nous fournit aussi des éléments sur le profil des médecins les plus susceptibles d’être touchés (toutefois, ces associations n’apparaissent plus dans le cadre d’une analyse en régression multivariée). 

D’après cette étude, les victimes d'épuisement professionnel sont plus fréquemment :  


Du burn-out à la dégradation de la qualité de soins

Aucune méta-analyse n'avait jusqu’alors scruté l'association entre l'épuisement professionnel des médecins et leur engagement professionnel, donc la qualité des soins.



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Diagramme issu de l'article Associations of physician burnout with career engagement and quality of patient care: systematic review and meta-analysis représentant le flux des associations entre l'épuisement professionnel des médecins, leur engagement professionnel et la qualité des soins. Les résultats évalués dans l'analyse sont en jaune ou en rouge. Ceux en rouge montrent un risque potentiel accru par rapport à ceux en jaune.



Pour les auteurs, cette étude fournit «des preuves irréfutables que l'épuisement professionnel des médecins est fortement associé au désengagement professionnel des médecins et à des soins aux patients sous-optimaux».

Les médecins en situation d'épuisement professionnel sont : 

S’ils ont l’impression de manquer de temps, ces médecins peuvent en venir à prendre davantage de risques inutiles. Or, la survenue d’un événement indésirable – ou simplement la prise de conscience de la mauvaise qualité des soins donnés – peuvent ensuite nourrir l’épuisement professionnel. Les auteurs qualifient ce processus de «traumatisme secondaire». 


Des effets différents selon les composantes du burn out

L’épuisement professionnel est classiquement défini comme un syndrome impliquant trois dimensions :

Cette étude met en évidence les liens suivants :

Pour les auteurs, les interventions auprès des médecins concernés devraient donc être proposées en sous-groupes, selon la dimension de l'épuisement professionnel qui prédomine.


En quoi ces résultats sont-ils importants pour nous, urgentistes ?

D’abord, quand on constate que la sécurité des patients est particulièrement impactée par des jeunes médecins épuisés, en particulier chez les urgentistes, l’association m’apparaît détonante.  

Lorsqu’on explore les arcanes de cette méta-analyse, on apprend également que l’insatisfaction professionnelle est fortement associée au fait d’être interne – a fortiori s’il s’agit d’une spécialité hospitalière, et surtout au sein d’un service d'urgence.

Par ailleurs, le syndrome d’épuisement professionnel n’est pas délétère que pour les médecins, et pas uniquement sur le plan psychologique. Il a des répercussions négatives sur la sécurité, la qualité des soins et la satisfaction des patients. Dans cette étude, les auteurs mentionnent aussi les conséquences économiques colossales liées à la perte d’efficacité et aux événements indésirables. 

Pour réduire les risques d’épuisement professionnel, il ne suffit pas d’apporter des croissants le dimanche matin (conservons toutefois cette « tradition » !). Assurons-nous que la charge de travail dans nos services reste raisonnable. Instaurons sans relâche une culture des interactions professionnelles saines, que ce soit entre nous, avec nos pairs des autres spécialités ou avec nos administrations.

Enfin, au sein de la médecine d’urgence, nous devons faire en sorte que chaque individu soit reconnu et puisse s’épanouir tout au long de son parcours professionnel. Portons une attention particulière à nos internes, puis aux médecins en début de carrière.2

Les internes et médecins urgentistes sont particulièrement vulnérables au burn-out, ce qui s’avère plus qu’ailleurs dangereux pour les patients... Deux bonnes raisons pour redoubler de vigilance dans nos services et parmi nos troupes. 


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Notes :

1- Associations of physician burnout with career engagement and quality of patient care: systematic review and meta-analysis.
BMJ. 2022 Sep 14;378:e070442. doi: 10.1136/bmj-2022-070442.
2- ”Going through the motions": A qualitative exploration of the impact of emergency medicine resident burnout on patient care.
AEM Educ Train. 2022 Sep 27;6(5):e10809. doi: 10.1002/aet2.10809.



* Nicolas Peschanski est professeur de médecine d'urgence et praticien hospitalier au CHU de Rennes. Membre actif de longue date de la SFMU – avec six années passées au sein de la commission scientifique – il siège depuis 2020 à la commission des référentiels.

Le parcours international du Pr Peschanski, notamment aux USA, lui a permis de devenir membre de la Commission Internationale de l'American College of Emergency Physicians ainsi que du comité de pilotage de l'EMCREG-International (Emergency Medicine Cardiac Research and Education Group). Il fait également partie de l'Eusem (European Society for Emergency Medicine) et plus particulièrement de son comité «Web & social media».

Le Pr Peschanski est très attaché au principe de la FOAMed (Free Open Access Meducation - Partage en libre accès des ressources éducatives médicales). Il utilise les réseaux sociaux (@DocNikko) à des fins pédagogiques et de partage des connaissances en médecine d’urgence.
 

Liens d'intérêts
Le professeur Peschanski déclare les liens d'intérêts suivants :
- sur les trois dernières années : Vygon SA (consultant),  Fisher&Paykel (symposium), AstraZeneca (symposium)
- sur les vingt dernières années :
Symposiums : Fisher&Paykel Healthcare , AstraZeneca, Lilly, Sanofi, Daiichi-Sankyo, HeartScape, The Medicine Company, Thermofisher, Roche Diagnostics
Boards : Bayer, AstraZeneca, Vygon SA, Portola USA, Sanofi, Boehringer Ingelheim
Congrès : Lilly, Sanofi, Vygon SA, Portola, Roche Diagnostics, Thermofisher
Fonds de recherche (non personnels) : Servier, Boehringer Ingelhei