Lung Gut Cross Talk : une communication (malheureuse) entre poumons et intestins

Quels sont les mécanismes physiopathologiques réciproques entre atteinte pulmonaire et maladies inflammatoires chroniques de l’intestin ?

(par les Drs Hubertus Glaser et Jörg Zorn)

On voit rarement, en tant que pneumologue, des patients présentant une maladie inflammatoire chronique de l’intestin (MICI) et une atteinte pulmonaire. C’est en partie dû au fait que l’atteinte pulmonaire ne fait pas partie des manifestations extra-intestinales les plus fréquentes de la maladie de Crohn et de la rectocolite hémorragique.

Par ailleurs, on ne pense pas spontanément que les poumons et les intestins puissent avoir affaire l’un avec l’autre. D’autant plus lorsque - voir cas clinique1 - la manifestation pulmonaire précède les symptômes de la MICI.

Liens réciproques entre maladies respiratoires et MICI

Lorsque les patients atteints de MICI ont aussi des problèmes pulmonaires, cela est dû, dans la majorité des cas à leur traitement. Mais indépendamment de cela, une incidence accrue des maladies respiratoires chez les personnes atteintes d’une MICI a été évoquée pour la première fois dans une étude de cas publiée il y a environ quarante ans.

L'hypothèse des auteurs, selon laquelle l'inflammation intestinale chronique en tant que maladie systémique peut également être associée à une atteinte pulmonaire, a été confirmée par la suite. Inversement, on a également observé une augmentation de l'incidence de MICI chez les patients atteints de maladies respiratoires chroniques.

Une dysfonction de la barrière muqueuse intestinale, des réponses inflammatoires et immunitaires mal régulées

Surprenant ? Pas tant que ça, su l’on observe les ressemblances embryologiques entre la muqueuse du système respiratoire et celle du côlon. Dans les deux cas, il s’agit d’une zone frontière entre l’extérieur et l’intérieur du corps, et l’on retrouve dans chacune des muqueuses un épithélium cylindrique et un système lymphatique sous-muqueux fortement développé (tissu lymphoïde muqueux associé, MALT).

Il est ici question de fonctions immunologiques importantes et en même temps d’un rôle clé dans le dérèglement physiopathologique. Une barrière épithéliale intacte empêche l’entrée de pathogènes et antigènes jusque dans la sous-muqueuse très vascularisée.

Dans les maladies pulmonaires chroniques et les MICI un dysfonctionnement de la barrière épithéliale entraîne des processus de remodelage inflammatoire chronique. De plus, une mauvaise régulation inflammatoire ou immunologique peut être observée.2-4 Sur le plan clinique, ce qui est impressionnant, en plus de la chronicité, ce sont les phases intermittentes d'aggravation aiguë présentes dans ces deux groupes de maladies.

Le Lung Gut Cross Talk comme tentative d’explication

Dans ce contexte, nous sommes interpelés par le terme « Lung Gut Cross Talk » inventé par Keely et al.5,6 Ceux-ci postulent que ce n'est pas un mécanisme unique mais un chevauchement de plusieurs composantes qui pourrait être responsable de la concomitance accrue de la BPCO dans les MICI et vice versa, par exemple :

Au sujet du Lung Gut Cross Talk, il semblerait que les champignons aient aussi leur mot à dire.
Par exemple, une dysbiose fongique peut survenir après une antibiothérapie si des micro-organismes spécifiques qui favorisent la résistance naturelle sont éliminés. Dans certains cas, des modifications de l'équilibre fongique semblent favoriser les maladies respiratoires allergiques.7

La dysbiose fongique semble favoriser les maladies respiratoires allergiques

C’est le résultat d’expériences sur des animaux : chez la souris, l'administration de fluconazole a aggravé les symptômes d'allergie aux acariens présents dans la poussière domestique.

Les phagocytes mononucléaires positifs à CX3CR1 jouent un rôle, car ils sont capables de reconnaître et d'absorber les champignons dans l'intestin.
Les chercheurs ont découvert que l'effet fongique favorisant les allergies nécessitait l'activation des phagocytes mononucléaires par le biais de la spleen tyrosine kinase (SYK), peut-être en amorçant les cellules T-spécifiques du champignon.

Références :
1. Chew MT et al. A Rare Cause of Pulmonary Nodules. Case Rep Gastroenterol 2016;10(3):633-9.eCollection 2016
2. Bernstein CN et al. The clustering of other chronic inflammatory diseases in inflammatory bowel disease: a population-based study. Gastroenterology 2005;129:827-36
3. Black H et al. Thoracic manifestations of inflammatory bowel disease. Chest 2007;131:524-32
4. Lu DG et al. Pulmonary manifestations of Crohn's disease. World J Gastroenterol 2014;20:133-41
5. Keely S, Hansbro PM. Lung-gut cross talk: a potential mechanism for intestinal dysfunction in patients with COPD. Chest 2014;145(2):199-200. doi:10.1378/chest.13-2077
6. Douschan P, Olschewski H. Wenn sich der Darm auf die Lunge schlägt. CliniCum pneumo 2017;2:18-23
7. Scanlon ST. Fungi affect gut-lung cross-talk. Science 2019;363(6423):138-9. doi:10.1126/science.363.6423.138-d