(Par la Dre Sophie Christoph)
Après une autorisation accélérée, les connaissances sur l’efficacité ou l’innocuité d’un traitement sont moins nombreuses qu’après une approbation standard. En effet, les médicaments ne sont pas testés dans le cadre d’études randomisées de grande envergure, mais peuvent être approuvés sur la base de résultats prometteurs des premières études à bras unique ou de phase I ou II (chez des sujets sains ou quelques malades).
Les autorités réglementaires exigent donc que ces autorisations soient examinées rapidement et modifiées au besoin, dès que des données cliniquement significatives sont disponibles1. Un examen des autorisations d’IPCI publiée dans la revue Nature en août montre que la FDA ne respecte pas cette promesse2 dans de nombreux cas.
Entre 2011 (date à laquelle l’ipilimumab est devenu le premier IPCI à entrer sur le marché) et la fin de l’analyse (juillet 2019), 58 autorisations ont été accordées pour 7 IPCI différents, dont 31 par dispositif accéléré utilisant des paramètres de substitution comme le taux de réponse global ou la durée de la réponse.
Seules 8 de ces indications ont confirmé le bénéfice clinique dans des études ultérieures et ont reçu une approbation « ordinaire ». Les restrictions de l’indication ont été appliquées pour 2 traitements. Tous les autres médicaments sont demeurés inchangés en l’absence de données sur l’efficacité post-commercialisation jusqu’au moment de l’analyse. Dans le cas du nivolumab dans le lymphome de Hodgkin, cela faisait 38 mois en juillet 2019, et 35 mois pour le pembrolizumab dans le traitement du carcinome épidermoïde des voies aérodigestives supérieures.
Le plus alarmant est que cinq traitements sont restés disponibles pour les patients, malgré des études post-commercialisation n’ayant démontré aucun avantage sur le plan de la survie globale (SG).
L’un de ces traitements est le pembrolizumab pour le traitement du cancer de l’estomac et de la jonction œsogastrique. L’autorisation subsiste après que les deux essais randomisés et contrôlés « KEYNOTE-061 » et « KEYNOTE-062 » n’aient montré aucune amélioration de la SG sur une période de 16 mois (et ce dans les première, deuxième et dernière intentions thérapeutiques).
Bien qu’il ait clairement perdu son statut initial « d’efficacité incertaine » après 3 mois, il reste disponible sur le marché (19 mois après que les résultats négatifs soient connus, si l’on arrête de compter au moment de l’analyse, en juillet 2019).
L’atezolizumab dans le carcinome urothélial est un autre exemple : après 12 mois sous le statut « efficacité inconnue », des résultats négatifs ont été disponibles, mais il reste autorisé pour cette indication (26 mois plus tard).2
On peut en premier lieu critiquer le fait que si l’autorisation peut être accordée dans le cadre du dispositif accéléré, ses modifications ou son retrait doivent également intervenir rapidement.
En outre, les autorisations accélérées sont principalement destinées aux « besoins non satisfaits », c’est-à-dire aux patients gravement malades pour lesquels aucune option thérapeutique efficace n’était disponible à ce jour.
Les auteurs notent que paradoxalement, ces « besoins non satisfaits » persistent après l’autorisation de nouveaux principes actifs. Par exemple, l’atezolizumab a reçu une autorisation accélérée pour le traitement de deuxième intention du carcinome urothélial localement avancé ou métastatique, sur la base d’un taux de réponse globale de 14,8 % dans une étude de phase II à bras unique. En moins d’un an, le nivolumab, le durvalumab et l’avélumab ont obtenu une autorisation accélérée pour la même indication (taux de réponse globale respectifs de 19,6 %, 17 % et 13,3 %).
On pourrait alors soutenir qu’un plus grand nombre de médicaments sur le marché implique plus d’options pour les patients. Mais dans le cas des autorisations accélérées, certaines de ces options sont incertaines. Des taux de réponse globale similaires dans la même population de patients ne devraient pas ajouter de valeur à ces IPCI.
Les autorités réglementaires ne devraient pas envisager de procédure accélérée pour une deuxième substance ayant la même cible moléculaire ou une cible moléculaire comparable dans le même groupe cible avec un taux de réponse globale similaire. Sinon, cela donnerait lieu à de nombreuses données comparables et ambiguës permettant de commercialiser des préparations « me-too ».2
Selon les auteurs, un troisième problème repose sur le fait que les autorisations accélérées fondées sur des paramètres de substitution non validés sont parfois accordées, même quand des essais randomisés avec des taux d’événements élevés et des paramètres cliniquement significatifs (comme la SG) n’auraient pas pris beaucoup plus de temps. L’autorisation accélérée devrait être utilisée uniquement lorsque la procédure régulière entraînerait un retard dans la disponibilité d’un traitement.
Le nivolumab dans le CPPC métastatique était l’un des cinq IPCI autorisés par dispositif accéléré, pour lequel aucun avantage sur la SG n’a été démontré par la suite. L’approbation était basée sur un taux de réponse globale de 12 % dans une analyse de sous-groupe de l’étude de phase I/II « CheckMate 032 ». Seulement 8 semaines plus tard, les résultats (négatifs) de l’étude randomisée de phase III « Checkmate 331 » étaient annoncés (ils ont été publiés en octobre 2018 et l’autorisation n’a pas changé depuis lors).
Il en va de même pour le pembrolizumab pour le CHC avancé ou le cancer de l’estomac avancé. Moins de 4 mois après l’autorisation accélérée, les résultats négatifs des études confirmatoires ont été publiés.2
Un article paru l'année dernière dans Nature3 parle d'un « compromis social » : les patients et les médecins sont prêts à accepter des médicaments avec des preuves limitées parce que la FDA garantit que toutes les mesures nécessaires seront prises en temps opportun pour réduire les risques et garantir le bénéfice.
En ne retirant pas les approbations accélérées de médicaments qui échouent dans les études post-commercialisation, la FDA ne parvient pas à fournir cette assurance, ce qui profite aux promoteurs des médicaments plutôt qu'aux patients. Pour les IPCI, une classe de médicaments qui est souvent présentée dans les médias et commercialisée directement auprès des patients, la FDA devrait être plus vigilante dans l'exercice de son rôle de protection des patients.2
L'un des auteurs de cette analyse est le professeur Vinay Prasad, un jeune hématologue de l'Oregon Health et Science University, auteur de plus de 200 articles scientifiques. Il s'intéresse particulièrement aux médicaments anticancéreux, aux politiques de santé et à la médecine fondée sur des preuves.
Au printemps 2020 sera publié son nouveau livre «Malignant: How bad evidence and bad policy work against cancer patients » (Maladie maligne : comment des données probantes erronées et des politiques défectueuses desservent les patients atteints de cancer).
Références :
1. Ärzteblatt, D. Ä. G., Redaktion Deutsches. Arzneimittelzulassung: Wie schnell ist noch sicher? Deutsches Ärzteblatt (2018). Available at: https://www.aerzteblatt.de/archiv/202078/Arzneimittelzulassung-Wie-schnell-ist-noch-sicher. (Accessed: 1st September 2019)
2. Gill, J. & Prasad, V. A reality check of the accelerated approval of immune-checkpoint inhibitors. Nat Rev Clin Oncol 1–3 (2019). doi:10.1038/s41571-019-0260-y
3. Gyawali, B. & Kesselheim, A. S. Reinforcing the social compromise of accelerated approval. Nat Rev Clin Oncol 15, 596–597 (2018).