(Par la Dre Sophie Christoph)
Les décisions de l’Agence européenne des médicaments ou de la FDA reposent sur un large éventail de preuves scientifiques. Les études de phase III randomisées et contrôlées (ECR) représentent une part importante de ces études.
Toutefois, une étude publiée dans le dernier numéro de Lancet et l’éditorial qui l’accompagne mettent en garde contre le fait que les données probantes utilisées pour l’autorisation des traitements anti-tumoraux présentent certaines faiblesses préoccupantes1,2.
Une analyse des études d’autorisation des médicaments oncologiques de 2014 à 2018 a montré qu’un peu plus de la moitié des ECR avaient un indice de fragilité de 2 ou moins. Ceci signifie que si 2 patients du groupe d’intervention ou moins n’étaient pas restés en vie et sans événement (si un événement comme la progression ou le décès s’était produit), les résultats de l’étude ne seraient plus statistiquement significatifs. C’est à dire qu’aucune différence significative entre les cohortes d’intervention et de contrôle n’aurait pu être détectée.
L’indice de fragilité - en d’autres termes, le nombre minimum de passages de « sans événement » à « un événement entraînant une perte de signification statistique » (p < 0,05) - est donc un type de paramètre de confiance de la présence réelle d’un effet positif rapporté dans un ECR.
L’évaluation a permis d’identifier 36 ECR de phase III, dont 17 se prêtaient à la détermination d’un indice de fragilité. L’indice médian de fragilité n’était que de 2 et dans 9 des 17 études (53 %), il était de 2 ou inférieur. Dans ces études, l’indice de fragilité représentait 1 % ou moins de la taille totale de l’échantillon. Dans 5 études le nombre de pertes au suivi était supérieur à l’indice de fragilité.
Devrait-on exiger plus d’un ECR de phase III positif significatif pour les nouvelles autorisations de médicaments oncologiques ?
De nombreux arguments s’y opposent : les coûts élevés, les critères d’évaluation de la survie qui nécessitent de longues périodes d’observation, notre volonté de nous assurer que les patients aient accès au traitement potentiellement supérieur le plus rapidement possible, et de nombreux promoteurs qui hésitent à financer plus d’une étude. Cependant, tout ceci passe à côté d’un point essentiel : au vu de l’étude susmentionnée, un deuxième résultat positif n’est pas une évidence.
La nécessité de différenciation entre bénéfice statistique et bénéfice clinique est l’un des autres problèmes abordés dans cet article.
L’éditorial du Lancet conclut par une suggestion logique : si la quantité de données probantes requises pour les autorisations réglementaires ne change pas, nous devrons exiger des données réelles sur l’efficacité (et pas uniquement sur la toxicité) de tous les médicaments approuvés - soit par des études de phase IV ou de pharmacovigilance, soit par des données réelles sur les patients - et agir en conséquence si ces résultats diffèrent sensiblement des données initialement présentées comme probantes.
Une autre idée serait d’inclure l’indice de fragilité comme marqueur supplémentaire dans les études. Même s’il ne s’agit pas d’une mesure de l’efficacité, il permettrait d’évaluer l’importance pouvant être accordée aux résultats.
Références :
1. Editor. Are results from clinical trials reliable? The Lancet Oncology 20, 1035 (2019).
2. Paggio, J. C. D. & Tannock, I. F. The fragility of phase 3 trials supporting FDA-approved anticancer medicines: a retrospective analysis. The Lancet Oncology 20, 1065–1069 (2019).